Chapitre 64 : Avant le chaos (1/2)

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FLIBERTH


Une éclaircie dans le ciel ? Malheureusement, elle n’a duré que quelques instants…

Jusqu’à ce jour, Fliberth avait uniquement entendu des descriptions d’Amberadie. Il en allait de même pour sa Place Suprême, que l’on vantait à la fois comme chamarré et fantasmagorique. Tours blanchâtres et dômes diaprés étaient complétés de piliers et cernaient un large pavé doré que limitaient des arcs outrepassés. Les gardes auraient indubitablement admiré ce décor si les circonstances étaient plus favorables.

Au lieu de quoi l’obscurité encore grandissante estompa la beauté des lieux.

— Cette cité a connu de meilleurs jours, commenta Vendri, son épée oscillant au bout de son bras relâché.

— Le coût humain et matériel est inimaginable, ajouta Fliberth. Il est trop tard pour reculer…

Aucun citoyen dans les parages, d’ailleurs. Qui vit par ici ? Continuons d’ouvrir une voie, plutôt, nous le saurons bien assez tôt. Interpellant ses compagnons, le chef ne put même pas s’octroyer une once de répit, tant l’on requérait des renforts alliés au cœur de la place. Il respirait par saccades. Plusieurs taillades salissaient son équipement et entamaient sa chair. Cela eut beau le tarabuster, il ne ralentit guère pour autant. Ni une, ni deux, Fliberth lança un assaut supplémentaire. Des flèches et des carreaux furent encochés pendant que le flux tourbillonnait à en ébranler les environs. Unies par le métal, ternie par le fluide vital, les armes se joignirent par un concert de tintements.

Aussitôt immergé de cette nouvelle mêlée, Fliberth remarqua que de nombreuses personnes avaient déjà rencontré la fatalité en ce lieu. Tant de personnes gisantes ici-bas avait de quoi rendre plus d’un émétique. De nombreux gardes en levèrent les yeux. D’une part, leurs réflexes et leurs sens étaient sollicités face à une kyrielle de soldats et miliciens se coalisant contre eux. D’autre part, des cris familiers percèrent depuis le centre de la place.

— Camarades inquisiteurs ! Où êtes-vous ? M’avez-vous abandonné en me précédant dans la tombe ? Face à une réalité aussi injuste, comment suis-je censé tenir ? Même ma robustesse doit faillir un moment ou à un autre !

Ses épaulières de teinte or s’harmonisait avec celui du dallage. Bien que de nombreuses déchirures striaient sa cuirasse, bien que de profonds plis et taches de sang ternissaient sa figure, l’inquisiteur s’était hissé sur la sculpture en cipolin. Meribald levait son épée, hurlait à tue-tête. Sous ses bottes triomphait l’orbe que son seul poids échouait à briser. Il s’acharnait cependant, attirait le regard au milieu des cinq platanes, si bien que Vendri grogna simplement en le reconnaissant.

— Qui que vous soyez, ayez un peu de courage ! Si vous ne vous sacrifiez pour la préservation de tout, à quoi aurez-vous servi ? À rien !

Fliberth émit un râle à son tour, quoiqu’il se gardât de paraître trop expressif. Nous étions tellement focalisés sur Godéra que nous en avions oublié Meribald. Les précédentes batailles ont prouvé qu’il n’avait rien à lui envier en termes de dangerosité. Son sang bouillonnait tant qu’il conféra une impulsion à ses jambes usées. Synchronisée avec son amie de toujours, il effectua une percée dans les rangs adverses, pourtant opiniâtres dans leur résistance. Une distance et densité considérables les séparait encore de leur cible principale.

— Persistez, ripostez ! Soyez solides, soyez forts ! Prenez conscience du poids qui vous incombez. Contemplez brièvement tout ce qui vous entoure. Ce n’est pas pour rien que beaucoup vantent Amberadie comme le joyau du désert ! Plus que cela, il a été le centre de la révolte contre le courroux des mages !

Il passe vraiment son temps à se perdre dans ce charabia ? Le rôle de meneur se doit être au front, avec ses alliés ! Une lueur dédaigneuse étincela dans l’expression de Fliberth. À son désarroi, son adversaire ne remarqua même pas sa présence. Le garde écarquilla alors des yeux face à l’insignifiance de l’individualité. Chaque combattant était littéralement noyé contre la marée ascendante que constituaient les deux armées en collision. Dans cette lutte était exigée résilience, sinon la lugubre mélodie tintinnabulait, alors beuglements et sanglots emplissaient le vide. Si de l’espace se libère, c’est pour d’innommables raisons…

— Vous vous croyez déjà défaits parce qu’ils déferlent par milliers ? Détrompez-vous ! Les armées impériales ont écrasé chacune des insurrections. Inquisiteurs et soldats belurdois renforcent un mur déjà imprenable ! N’ayez crainte. Bientôt, vous réaliserez que cette clarté que nous avons contemplée n’était pas éphémère !

Inégale mais puissante, la voix de Meribald se répercutait au-delà des attentes. Rythmait par surcroît un combat n’épargnant aucun de ces participants. Il agissait tel un spectateur extérieur et se complaisant dans ce rôle. Il se mouvait seulement pour mieux se mettre en exergue. Vendri et Janya fulminèrent à force de le voir agir impunément, et même Taarek glissa quelques injurieux épithètes. Fliberth, quant à lui, chercha à l’atteindre par tous les moyens.

— Moult batailles ont été perdues, mais d’autres ont été gagnées ! Rappelez-vous votre parcours. Vos camarades qui ont péri sur la voie du retour. Vos amis et votre famille sans lesquelles votre éphémère existence n’aurait aucun sens. Vous avez un cœur et des idéaux purs, au contraire de vos adversaires, tâchez de vous en souvenir !

Des nerfs se durcirent, des visages devinrent érubescents. Fliberth en était tant impulsé que son épée virevoltait avec fracas. Il nous provoque et je tombe dedans ! Au vu du danger qu’il représente, ce n’est que justice de le mettre hors d’état de nuire. S’épaississait le mur ennemi, composé de haches, cimeterres et hallebardes, l’obligeant à négocier quelques foulées de retrait. Bientôt à hauteur de ses homologues, il tendit un bras vacillant, destiné à récupérer lors des instants à venir. Ni la transpiration dégoulinant de son faciès, ni ses halètements ne le ralentir lors des mouvements subséquents.

— Devant vous se dresse une légion de félons. Ils ont abandonné leurs principes car les mages les ont corrompus. Ils luttent à leurs côtés. Pire encore, ils meurent pour eux ! Personne de sain d’esprit ne peut agir ainsi ! En les pourfendant, vous leur faites une faveur, croyez-moi !

Quelles sont ces accusations ? Toutes ses institutions ont déversé leur venin. Ils auront beau essayer de nous faire sombrer, nous nous relèverons encore et toujours ! Voici mes années que je défends mes principes et je m’y tiendrai quoi qu’il arrive ! Miliciens et militaires se réduisaient à vue d’œil tout en chargeant en continu. Face à ce flux et reflux incessant, Fliberth n’eut d’autres choix que d’adapter la disposition de ses troupes. Il ordonna d’abord de former une ligne. Là où se coalisèrent mages, gardes et soldats s’accumulèrent le flux et les armes. L’un s’amplifiait quand l’autre faiblissait. Non seulement les blessés en furent protégés, mais la riposte éclata de part et d’autre de la place. Contre leur affluence abonda une réplique tout ravageuse. Ils échouèrent à estomper chacun des sorts, ils ne se prémunirent pas de l’ensemble des estocades et projectiles, pourtant réussirent-ils à faucher bon nombre de malheureuses âmes. La cornée de Fliberth s’humidifia tandis que sa lame traçait des courbes. Déplorant les pertes grandissantes, ses directives se répercutèrent d’autant plus. Il réunit ses alliés en cercle, lesquels s’exécutèrent aussitôt. Et le mouvement synchronisé tonitrua encore plus qu’une contre-attaque égale s’opéra. Parades, jets et coups s’enchaînaient avec fluidité, efficacité et rapidité. Mais après chaque bond, glissade et pivot s’écroulaient encore plus de victimes, dont les borborygmes d’agonie lancinaient celles et ceux encore debout. Il régnait une opacité telle que seuls les sorts permettaient de distinguer les victimes. Par ses repères, ses signes transperçant ces ténèbres, Fliberth cornaqua les siens au mépris du poids dans son cœur. Peut-être que mon jour est venu, mais pas encore tout de suite !

— Nous sommes forts ! Parce que nous, au moins, avons triomphé de notre nature ! Ce poison circulant à l’intérieur de nous, il est envahissant, il est tentant. Mais quand on essaie de s’en emparer, il finit par nous conquérir, et finit par détruire tout ce qui l’entoure ! Si nous tombons, bientôt, il ne restera plus que le chaos ! Les civilisations, bâties sur des siècles, voire des millénaires, s’écrouleront en ne laissant que de grisâtres ruines ! Le monde s’achèvera exactement comme il avait commencé, et c’est le plus triste.

— Mais vas-tu te taire, à la fin ? beugla Vendri.

Vendri avait pris une avance sur Fliberth, ce qui ne l’étonna guère. Elle sauta sur la sculpture avec une telle vivacité que Meribald trébucha. Ainsi s’entama sa chute nonobstant ses futiles tentatives de se rattraper. Sonné, il était près d’être fauché, et les échos l’assaillaient davantage à mesure qu’il sombrait. Pourtant sa lame restait à portée et il la saisit au moment où Vendri amena la sienne contre sa garde.

Les épées s’entrechoquèrent dans un cliquetis rugissant. Loin de dominer, car entourée de salves de flux bien plus colossales, Fliberth décela malgré tout une force retentissante émerger de cet échange. Lui prit davantage de temps pour s’engouffrer dans cette mêlée, menant ses propres combats sur son passage, mais détailla l’affrontement entre Vendri et Meribald.

Il était temps ! Même si Meribald ne domine pas le champ de bataille, il en reste un élément dangereux !

Aux pieds de l’œuvre d’art se heurtèrent les armes comme les volontés. À chaque contact, des étincelles jaillissaient de l’acier comme de leur iris. Une garde et un inquisiteur, face à face, se fondirent dans une danse implacable. Les attaques de Meribald détonnèrent tant que la stabilité de Vendri fut menacée. Mais quand elle répliqua, l’on apercevait à peine son épée, laquelle fendait l’air comme les épaulières de son adversaire. Peut-être que ce dernier ripostait souvent, toutefois elle tourbillonnait tant, son arme suivant ses mouvements à la perfection, qu’elle paraissait hors atteinte.

De multiples assauts s’enchaînèrent alors telle une averse. Puisque Vendri et Meribald se distinguaient, Fliberth n’eut aucune peine à les rattraper, encore moins à percevoir leur tranchante voix. Il manqua toutefois de se décomposer en apercevant le sang sourdre des plaies de son amie pendant que ses essoufflements s’amplifiaient. Tiens bon, Vendri, je suis presque là !

— Tu as trahi tes valeurs, souffla Meribald. J’aurais honte, à ta place.

— C’est justement parce que je suis fidèle à mes principes que je dresse devant toi ! affirma Vendri.

— Maîtriser la magie est un choix. Ils auraient dû le savoir avant de s’engager là-dedans. Regarde, elle est aussi contenue en moi, mais je me suis retenue de l’utiliser, car je suis fort !

— Pourtant, ton comportement est une preuve de lâcheté et de malveillance, non de force.

— Qui parle ? Quel pacte as-tu fait auprès de cette secte pour que tu te battes en leur nom ? Tu le regretteras amèrement !

Les répliques frappèrent en rythme avec les assauts. Entraves et courbes maintenaient les combattants à dangereuse proximité, pourtant Fliberth s’introduisit au milieu du duel. Son épée se joignit à celle de sa camarade, et les ardeurs s’entrecroisèrent comme un rare éclat alentour.

Ensemble, les deux gardes s’allièrent contre Meribald. Quand l’un visait un flanc, l’autre plongeait sa lame de l’autre côté. À la succession des attaques, parfois ponctuées de cris, l’inquisiteur s’arquait davantage. Peu de manœuvre lui était autorisée pour répliquer, aussi rompit-il tout en résistant. Il avait beau esquiver et bloquer la plupart du temps, quelques taillades lui laissèrent éraflures et estafilades.

Des traces ensanglantées amplifièrent les plis acariâtres de son faciès.

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