Chapitre 64 : Avant le chaos (2/2)

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— Une si belle fraternité…, maugréa-t-il. Réduite en poussière, par votre faute ! Je connais vos noms, vous savez. Fliberth et Vendri… Félons jusqu’à la fin. Si seulement la question des mages ne nous avait pas divisés, nous aurions pu accomplir tant de choses !

— Plutôt crever que de soutenir des types dans ton genre ! beugla Vendri.

— Vous êtes des causes perdues, et cela me désespère d’autant plus. Au fond, il y a peu de différences entre la Belurdie et l’Enthelian. La Belurdie a juste eu l’intelligence de s’aligner sur les projets de l’Empire Myrrhéen.

— Nous sommes alliés avec des belurdois, de même que des myrrhéens ! objecta Fliberth. Et nous, nous sommes alignés contre les tyrannies.

— Des propos niais et éloignés des réalités. Observez autour de vous, plutôt ! La magie obscurcit les environs, détruit la vie ! Elle dévoile d’elle-même combien elle est maléfique !

— Il y a un équilibre à préserver. C’est de votre faute si ce n’est pas le cas !

Une kyrielle d’injures se perdait dans cette voie sinueuse et striée d’anfractuosités. C’était comme si une pluie de projectiles rudoyait Fliberth et Vendri. Or, devant leur corps consumé, des inquisiteurs radicaux accoururent en soutien de Meribald. Qu’elle soit la dernière salve ou non, aucune importance. Tout ce qui importe est de s’acharner pour notre objectif. Leur disposition triangulaire rappela au meneur ses propres stratégies, ce qui le crispa dans sa position.

Chuta soudain un des platanes qu’un éclair avait fendus en deux, écrasant plusieurs belligérants. L’on percevait des agonies, des lamentations, des bramements. Au-delà des réminiscences se hâtèrent de bien concrets renforts. En tête du regroupement d’inquisiteurs modérés, Janya et Taarek se manifestèrent tout autour de la sculpture. Toujours se synchronisaient des spirales de flux avec les traits comme le mugissement de l’acier en inspirait plus d’un.

Par leur intervention, les inquisiteurs modérés soulagèrent Fliberth et Vendri dans leur lutte.

Une opposition constante s’érigeait cependant encore. Doté de si longues lames qu’ils abattaient sans merci, leurs adversaires ne leur accordaient nul instant de répit. Plus les gardes les pourfendirent et plus des rangs se resserrèrent. C’était une offensive mortifère desquels les chanceux émergeaient avec des taillades. Sitôt qu’un borborygme coulait jusque dans leurs tympans, Fliberth et Vendri se fiaient à la mélodie de la contre-attaque, poursuivaient ce pourquoi ils avaient pénétré dans la cité. De chaque rencontre ils émergeaient avec davantage de plaies. Ils étaient ralentis mais guère usés, se repéraient à la luisance de leur lame, gardaient une même cible en tête en dépit de l’inarrêtable charge de ses sbires.

La cadence des coups diminuait, de même que le nombre d’inquisiteurs radicaux alentour. Fliberth repéra Meribald et se rapprocha de lui, fort de ce constat. Toutefois son adversaire avait récupéré un brin de vigueur, une lueur éphémère chatoyant dans ses iris. D’une feinte il le surprit, avant d’obliquer dangereusement. L’épée frappa d’abord la cheville du garde puis cisailla son bassin, frôlant même son torse de sa pointe.

Fliberth pâlit. Même si Vendri affrontait trop d’inquisiteurs radicaux pour le secourir, ses cris percèrent plus que jamais. Enfin il réalisa l’étendue de ses blessures pourtant précédemment atténuées par des sorts de soin. Un sillage entier de fluide vital semblait suivre ses pesantes foulées. Respirer lui brûlait les poumons, soulever son épée propageait des éclairs au sein de ses membres.

En réalité, j’aimerais que ce combat ne soit pas le dernier. Ce serait comme si Jawine est morte en vain… Tant que ma lame sera réclamée, je l’utiliserai. Fliberth dévisagea sévèrement Meribald qui en resta indifférent. Lui aussi était affecté par les entailles et incisions. Seuls des râles témoignèrent de son état comme il reprit sa danse de l’épée. Ce contre quoi le garde répliqua, peut-être jusqu’au trépas, peut-être jusque dans les limbes de l’existence.

Tous deux pantelèrent, assénèrent, s’opiniâtrèrent. Attaques et parades perdaient en limpidité à mesure qu’ils exténuaient, même s’ils n’en avaient cure, tant qu’ils infligeaient des blessures.

Leurs lames s’étaient collisionnées maintes fois, mais lorsque l’offensive se fit plus retentissante encore. Fliberth et Meribald s’immobilisèrent dans une posture inclinée exsudant à l’excès, trémulant de partout. Or l’inquisiteur pointait la hache et l’orbe nonobstant ses bras sollicités.

— Tout est représenté simplement, énonça-t-il, plus sombre encore qu’à l’accoutumée. Fliberth, de tous les traîtres, tu es un cas bien atteint. Tu as épousé une mage, après tout.

— Elle a été assassinée par quelqu’un pensant comme toi ! vociféra le garde. Parce que vous ne perceviez pas son humanité derrière ses pouvoirs !

— Mais les mages sont bel et bien humains. Leur sort est tragique. Ils ont succombé à la facilité. À cause d’eux, nous nous apprêtons à nous abîmer dans le chaos duquel l’humanité a émergé.

— Tu te répètes, Meribald. N’espère pas t’en sortir. Tu as perdu, tant la guerre que les idées !

— Les vainqueurs vont écrire l’histoire et imposer un soutien irrévocable aux mages. Nous ne voulions qu’aider.

— Tu as contribué à la traque, le meurtre, la torture et l’emprisonnement des mages, et tu te prétends persécuté ? Il est temps de te faire taire à jamais !

— J’ai de la peine pour vous tous. Vous ne réalisez pas…

Les paroles s’imprimèrent dans l’esprit de Fliberth sans que sa concentration déclinât. Il avait un objectif auquel il se conforma. Le pommeau dans le creux de sa main, son équipement soutenant un homme épuisé, le moindre pas faisait crisser ses muscles.

Et pourtant, il frappait. Ouvrant des plaies chez son adversaire, réduisant sa défense à néant, Fliberth tournait vivement autour de Meribald. Lequel appliquait ses attaques à la cadence de son opposant. Ils se repoussèrent jusque dans les limites de la Place Suprême. Ainsi virevoltèrent deux combattants poussés dans leurs ultimes retranchements. Ainsi les lames resplendissaient outre mesure, telles des étoiles au sein d’une voûte infestée de nuages. Ils restèrent debout là où les inquisiteurs radicaux choyaient. Ils luttaient là où d’autres en étaient devenus incapables.

À l’ultime choc se répercuta un terrible fracas. Fliberth écarquilla les yeux, retint un cri, mais il était trop tard. Sa lame s’était brisée et ses morceaux décorèrent un pavé déjà souillé. Projeté par un lourd impact, il subit la chute à son tour. Des torsades de flux voletèrent par-dessus sa vision brouillée tandis que ses vertèbres semblaient se déchirer.

Je dois me relever ! Je… La confusion submergea Fliberth, mais il ne succomba pas. L’ombre de la lame antagoniste le menaça aux premiers instants.

Puis une intervention salvatrice l’apaisa. Autour de Vendri jonchaient des dizaines de cadavres, fruit de ses triomphes auprès de leurs homologues. Elle se ruait alors là où elle avait débuté : vers l’ennemi tout désigné. Celui dont d’épaisses larmes creusèrent des sillons dans ses joues. Celui dont les lamentations entreprirent de se graver dans une litanie d’esprits. Celui dont la rage se matérialisa au centuple. Meribald et Vendri plongèrent derechef dans leur assaut. Affaiblis mais mobiles, blessés quoique réactifs. Tout dans leurs mouvements, de leur torsion de poignet à la disposition de leurs jambes, rappelait les duels que l’on contait dans des récits jugés surannés. Leur volonté coalisait à la manière de leur épée. Les coups ne cessaient de s’échanger.

Jusqu’au moment où une lame s’introduisit plus loin. Meribald transperça l’abdomen de Vendri, laquelle s’en pétrifia aussitôt, les bras relâchés.

Pitié, dites-moi que…

Des hurlements jaillirent alentour. Pendant que gardes et inquisiteurs modérés fonçaient vers leur camarade, Vendri garda la tête relevée, flanquant un coup d’œil hostile à son adversaire.

— Ça y est…, marmonna-t-elle. La satisfaction t’emplit ?

— Je suis le sauveur de l’humanité ! affirma l’inquisiteur. Lorsque tout sera achevé, et qu’une paix durable sera rétablie, mon nom sera inscrit dans la légende !

Vendri infligea un coup de genou, le contraignait à s’arquer vers l’avant. Finalement, elle lui trancha la gorge tel un couteau dans une viande saignante.

La victoire, oui ! Mais à quel sacrifice… Fliberth se fichait de sa géhenne tout comme de l’adversité persistant à proximité. Tout ce qui lui importait était de soutenir son amie de toujours, déjà à genoux par-devers la dépouille décapitée de Meribald. Nous y sommes arrivés, ce n’est pas pour… Il claudiquait davantage qu’il ne marchait. Ses tremblements l’empêchaient de se conserver sa stabilité. Pourtant s’approcha-t-il de Vendri en quelques secondes.

Il extirpa la lame de son abdomen, ce qui lui arracha un cri supplémentaire. La garde appliqua sa main là où le fluide écarlate coulait défavorablement. De mauvais souvenirs m’envahissent ! Il ne faut pas que… Bien que son ami lui tendît un morceau de sa tunique, censée endiguer le flux, Vendri blêmissait à l’excès. Même ses murmures sonnaient inintelligibles.

Janya, Taarek et tant de leurs alliés mirent du temps avant de pleinement réaliser l’état de leur amie. Une couronne de larmes inondait le visage de Taarek comme Janya désigna une ruelle attenante au duo de gardes.

— Nous allons vous prodiguer des soins, vous vous en sortirez ! promit-elle, à moitié convaincue par ses propos.

Heureusement qu’ils sont encore là. Rien ne les arrêtera, pas vrai ? Ni eux, ni personne… À peine Taarek et Janya s’étaient-ils octroyé un répit que leurs alliés exigeaient leur soutien. Le décès de Meribald s’apparentait à une goutte d’eau retirée d’un océan d’ardeur et de fureur. Fliberth et Vendri, à côté de lui, devenaient conscients de cet état de fait.

La bataille faisait encore rage autour d’eux alors que l’accalmie s’obtenait à proximité immédiate. Pour sûr qu’un tumulte continuait de déchirer leurs tympans, pour sûr que l’accumulation de victimes ne cessait de leur fendre le cœur. Néanmoins, Fliberth et Vendri se soutenaient sur l’autre, ce même s’ils s’écroulaient petit à petit. Pas même les vagues de flux verdâtre ne furent en mesure d’alléger leurs maux.

— Nous nous sommes séparés…, souffla Vendri. Avant de nous retrouver. Je suis ravie d’avoir mené ce combat avec toi… Partenaire.

— Toujours, affirma Fliberth. Je m’en veux de…

— Non. Pas d’excuses. Pas de regrets… Nous avons fait nos choix. Et à présent, nous sommes ici.

La main de Vendri glissa hors de l’épaule de Fliberth, lequel la rattrapa à temps. Des secondes s’égrenaient lors desquelles supporter la souffrance relevait du miracle. Courage… Nous sommes ensemble. Défiant toute adversité, toute prédiction.

— J’espère que tous les autres vont bien, murmura le meneur. Combien vont encore mourir d’ici la fin ?

— Pas de pessimisme non plus, suggéra sa meilleure amie. Ils ont le courage, ils ont la force… Plus qu’à souhaiter qu’ils aient la chance ! Nous nous sommes bien battus. Nous méritons de nous reposer.

— Malgré la destruction autour de nous ?

Un incongru mélange de rire et de gémissement fendit la garde.

— J’y crois, moi… Que les mages vivront de meilleurs lendemains. Tout comme chacun d’entre nous…

— La fin de cette guerre, donc… J’aurais aimé que Jawine soit avec nous. Qu’aurait-elle pensé de tout cela ?

— Je le saurai bien assez tôt…

— Vendri ? Reste avec moi, je t’en supplie !

— Au plaisir de t’avoir rencontré, Fliberth. D’avoir grandi avec toi. Combattu avec toi… Et que tu sois resté à mes côtés… Jusqu’au bout.

À cet instant, d’innombrables remords furent prononcés au creux du désespoir.

Fliberth s’était efforcé de rattraper Vendri, tout comme Janya et Vendri. Tous échouèrent. Et les sanglots retentirent, inépuisables.

Vendri tomba d’un coup, sans se relever, achevant salut d’un franc sourire.

Elle part avec dignité. Elle rejoint Jawine.

Et moi, je me dresse. Bien debout. Bien vivant.

Condamné à survivre.

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