Chapitre 69 : La légende (2/3)

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Ni taillade, ni lacération n’eurent un impact significatif sur leur progression. Ils avancèrent avec lenteur, contemplèrent leur état respectif. Peu de clarté illuminait la désolation, pourtant ils réussirent à s’observer mutuellement au sein de la place. De puissantes rafales soutaient leurs déplacements à la naissance de multiples sillons sur leur visage, conformes au sol fracturé.

Bien d’autres combattants étaient en mouvement, toutefois les figures de référence peinaient à bouger. Oranne était à genoux, spectatrice malgré elle de la sombre tempête. Horis s’attarda quelques instants mais prêta surtout attention à Médis, Sembi, ainsi qu’aux autres mages survivants. Entrevoir l’étendue de leurs blessures suffisait à nouer son cœur et son estomac. Bennenike mérite bien sa réputation. Peu importe l’allégeance actuelle de Nafda, elle m’aura retenu pendant un bon moment.

— Ne tente pas l’impossible…, implora Médis.

— Si je ne m’y risque pas, rétorqua Horis, qui le pourra ? Nos alliés meurent les uns après les autres contre la fureur impériale. Que cela cesse ! Heureusement, je ne suis pas seul.

— Nous sommes avec toi, garantit Sembi. Jusqu’au bout.

Un répit salvateur aida les mages à un moment opportun. Il eut beau s’être concentré sur l’approche, Horis s’immobilisa le temps de générer des ondes verdâtres qui flottèrent jusqu’à ses alliés. Des plaies se refermèrent dans un concert de soulagement.

Ce fut de courte durée, car les miliciens s’alignèrent de part et d’autre de leur impératrice. De leur simple présence s’effacèrent les vagues guérisseuses. Et voilà que la horde réapparaît. Combien l’impératrice a réussi à enrôler ? Le monde a-t-il déjà connu un conflit plus meurtrier ? Le métal annihilateur se resserrait à l’instar des troupes, si bien qu’une accablante s’exerçait dans les rangs adverses.

Il y avait de quoi se décomposer face à l’ampleur du rassemblement. Dans de telles circonstances, Horis se devait de se référer auprès des siens. Un hochement de tête, fût-il à peine perceptible, gratifia les mages d’un semblant d’exhortation. Aussi incongrus parussent les sourires, surtout adressés à Médis et Sembi, ils s’avérèrent nécessaires.

Ils s’engouffrèrent alors dans un colossal affrontement. Là où des spirales de flux et de kurta emplissaient les ravages et les ténèbres. Là où les ultimes sursauts se traduisaient à un envoi massif de sorts. Là où grondements et chuintements rythmaient des rencontres sanglantes.

Tout ressemble au reste du conflit et tout s’y distingue.

Horis s’était introduit bien au-delà du groupe principal. Qu’elle fût entourée de dizaines ou de milliers de belligérants, Bennenike se braquait sur son objectif. Plus se prolongeait le conflit et plus ses jambes lui paraissaient lourdes, mais elle se refusa tout signe de faiblesse. Cimeterres brandis, cape flottante et inébranlable stature lui assuraient sa mainmise sur la situation.

— Bientôt vos forces vous abandonneront, prévint le mage. Personne ne peut vous guérir dans l’immédiat. Qu’espérez-vous encore accomplir ? Vous avez fait assez de dégâts !

— Pauvre idiot…, marmonna l’impératrice. Tu devrais me connaître, après tout ce temps. Si je renonce maintenant alors tout s’achèvera.

— Parce que nous bâtirons une société nouvelle, aux antipodes de votre joug.

— Imbécile ! Bien sûr que tu vas défendre la cause des mages, puisque tu en es un. Mais je le répèterai jusqu’à mon anéantissement…. Moi, Bennenike l’Impitoyable, souveraine invaincue et trente-troisième impératrice de la dynastie Teos, représente le dernier rempart contre l’astreinte de la nature ! Un joyau de civilisation nous entoure et mérite d’être préservé.

— C’est la première fois que vous mentionnez la nature. Quel rapport avec la magie ? Le moment est sûrement mal choisi, mais vous m’avez rendu curieux.

Une lueur se raviva dans la mine grave de la dirigeante. Non qu’elle brasillât autant que la magie environnante, mais elle s’illustra chez une combattante dont les déplacements restaient fluides malgré les entraves. Une preuve de pugnacité ou un sursaut de désespoir ? Son calme relatif contrastait avec l’intensification des heurts alentour. Des belligérants périssaient des deux camps sans que son attention dérivât hors du plus célèbre mage.

— J’ai depuis longtemps formulé une réponse à la plus classique défense de la magie, avança-t-elle. Puisqu’elle serait naturelle, insinuée en chaque être humain, nous devrions l’accepter ? C’est tout le contraire, selon moi. Il s’agit de la plus vieille maladie dont nous souffrons. D’apparence incurable, par surcroît.

— Qu’insinuez-vous ? s’indigna Horis en se crispant.

— Il était impossible de nous extraire de cette nature quand nous développions nos sociétés. Depuis lors, des grandes cités ont été bâties, des monarchies et des empires se sont succédés. Mieux encore : des fléaux entiers, tels que des dangereuses maladies et la mortalité infantile, ont été grandement diminués. Nous pourrions être à l’aube de l’âge d’or de l’humanité sans la magie.

— La magie a aidé à éradiquer ces fléaux que vous mentionnez. Leurs détenteurs ont toujours contribué à ces sociétés, quoique vous en pensiez.

— Le passé doit être effacé afin de construire un meilleur avenir. Vous, les mages, n’y appartiendrez pas, je m’en porte garante ! Vous ne nous contraindrez pas à la sujétion. De vos pouvoirs ne surviennent que malheur et destruction.

— Vous avez de la force et du charisme, mais votre compassion atteint les abysses. Par vos actions depuis le début de votre règne, voire même avant, vous vous êtes affirmée comme cette incarnation même de la destruction ! Et vous direz alors qu’il s’agissait d’une mesure préventive.

— De nombreux mages se sont sacrifiés pour leur cause mortifère. Sans surprise, tu es encore plus opiniâtre, Horis Saiden. Tu m’as assez diverti, néanmoins. Ton parcours s’arrête ici.

— Votre règne de terreur doit s’achever. Vous avez beau être l’impératrice, je refuse d’être votre sujet.

De souveraines étincelles jaillirent bien avant que le flux et le kurta retentirent au cours d’une terrible collision.

Alors que des milliers de particules virevoltèrent autour de Horis et Bennenike, un trou se creusa sous leurs pieds, contint le poids d’une énergie massivement relâchée.

Alors que des jets s’engouffraient entre des auras prépondérantes, les ondes atténuées se dissipaient à quelques mètres des attaques.

Alors que les cimeterres déviaient des sorts d’ampleur grandissante, les assauts s’enchaînèrent dans un amalgame d’hurlements.

Rien n’interrompait le triomphe de la nature. Guère même la proclamée résistante, s’épuisant à force de fendre l’air, moulinant avec ténacité contre les inarrêtables salves de magie. Ses halètements la trahirent à l’instar de ses gestes devenus inélégants. À la décomposition de son faciès tonna un autre cri, bien plus déformé que les précédents.

J’y suis ! Un éclair pourpre fusa de la paume de Horis et transperça la jambe de Bennenike au niveau de sa plaie.

Il sourit comme par instinct à la chute de l’impératrice. Gardant une main prête à rassembler davantage de flux, il s’imprégna de la géhenne de son adversaire. Être étalée sur le dallage ne l’empêcha nullement de foudroyer Horis du regard. Ébranlée mais pas inconsciente, terrassée mais pas trépassée, Bennenike refusait encore la défaite.

— Noki ne s’est pas sacrifiée en vain, se réjouit le rebelle.

— Elle s’est ratée ! contredit la despote. Elle avait pour ambition de m’empaler mais n’a su que me ralentir.

— Et ainsi vous avez été incapable de vous mesurer à moi.

— Tu t’imagines à la hauteur ? Tu t’estimes digne que l’on édifie des statues de toi ? Détrompe-toi, Horis Saiden, tu n’es personne !

— Tant mieux.

De nouveaux sillons strièrent la figure déjà tordue de l’impératrice.

— Pardon ? fit-elle. Tes alliés scandent ton nom depuis ton attaque du Palais Impérial ! Et tu affirmes que tu ne cherches pas la gloire ?

— Non, confirma Horis. Notamment car vous donnez le mauvais exemple. J’ai assisté à votre déchéance, si je puis dire. Vous saviez que l’assaut d’Amberadie avait de grandes chances de mettre fin à votre règne. Pour vous protéger, vous avez renforcé le culte autour de votre personnalité. Vous vous êtes donnés encore plus d’importance dans l’espoir que vos loyaux sujets vous serviraient. Tant de morts non nécessaires par votre faute…

— Et tu serais aussi affirmatif si j’étais une mage ? Les exemples de prophètes sont légions !

— Ce que je ne soutiens pas forcément. Personne ne devrait être sacralisé à ce point. Vous, en particulier, ne serez jamais une divinité.

— Si tu n’es pas celui qu’ils attendent, qui es-tu ?

— Juste un individu ordinaire, en réalité. Quelqu’un qui aurait pu mener une existence normale si vous n’aviez pas promu une loi génocidaire. Vous avez eu de la considération pour ma petite sœur, mais c’était de la fausse empathie, car votre cruauté est sans limite. Vous vous êtes créés votre propre ennemi, Bennenike, et il vous a dépassée.

— J’admets que tu as raison… Mais n’as-tu pas oublié un petit détail ?

— Lequel ?

— Je confesse : je craignais la pire des fatalités, aussi ai-je décidé de trahir une partie de mes idéaux. Te souviens-tu des cris ? Cette créature que tu as tant trimé à occire ? Tu l’as en effet privée de son corps… mais pas dans son esprit.

Soudain des tremblements l’ankylosèrent, et ses frissons frôlèrent un inconcevable. Non… Comment est-ce possible ? Moi qui croyais que…

Sans la clameur de Médis, Sembi et Oranne, Horis se serait certainement évanoui. Au lieu de quoi l’exhortation chassa ses peurs, fût-ce temporaire. Ses veines persistèrent à se glacer à l’évocation sans équivoque, certifié par le sourire de Bennenike.

— Vous avez osé ? demanda le mage, peinant à articuler. Vous abhorrez la magie, et c’est ce qui a créé la bête !

— J’ai dû mettre mes principes de côté, justifia l’impératrice. Mes alchimistes ont analysé son corps durant des jours, jusqu’à déceler son aura, si puissante qu’elle a survécu à la perte de son enveloppe charnelle. Désormais, la créature imprègne Amberadie, telle une ombre planant par-dessus la cité.

— C’était donc votre plan depuis le début ?

— Tout juste. Vaincre les mages si la situation devenait désespérée. La magie pour annihiler la magie. Des ténèbres peuplent déjà la capitale, il faudra peur pour les submerger. Ceci sera ma dernière résistance !

Horis n’eut pas le temps d’achever Bennenike d’un sort bien placé. Puisant dans des forces inopinées, elle planta ses deux cimeterres entre deux failles de sol.

Un rayonnement éblouissant lia ciel et terre. Éphémère toutefois, puisqu’elle s’affadit en une poignée de secondes. Bientôt le centre de la ville se retrouva plongée dans des ténèbres plus insondables qu’auparavant, voire même au-delà. Plus aucune parcelle de lumière ne survécut au contraire de la détresse environnante.

Chacun des cris aidait à discerner les événements. Ils redoublèrent d’intensité avant de décroître à leur tour. Tant de combattants furent éjectés sous l’effet d’une dévastatrice onde circulaire, d’où une aura si longtemps enfouie émergeait dangereusement.

Un roulement tonna, suivi d’un gémissement.

Seul un bouclier maintenu au détriment de son énergie protégeait Horis. À tout moment, il s’attendait à voir surgir la créature depuis le fond d’un gouffre, une image mentale l’assaillant ce faisant. Derrière le lancinement de sa tête était exigée son renfort.

Vaincre ses peurs, triompher de l’innommable. Hors de question de laisser cette créature détruire tout ce que nous chérissons, tout ce pourquoi nous nous battons !

Autour de ses poings serrés grandissait la magie de Horis. Des milliers de nuances étincelaient au milieu de la noirceur, garantissaient une sécurité à l’approche de la menace. Alors que le jeune homme faillit perdre l’équilibre, secoué contre cette salve d’énergie, il libéra tout le flux aggloméré en lui et autour de lui. La force et la vigueur que d’innombrables âmes ne savaient plus manier. Une essence que d’acharnés opposants s’étaient échinés à arracher. Relâchées à l’état de particules encore peu avant, désormais prêtes porter les résolutions d’un être acculé.

Deux vibrantes et dominatrices sources collisionnèrent. Dans les déchirures se propageaient des fracas tandis que le décor se craquelait davantage. En ténacité contre le dépérissement, le flux flottait au gré de désirs annihilateurs, jusqu’à élever une magie au-delà de l’imaginable.

Et au-delà du réel.

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