Chapitre 69 : La légende (3/3)

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Propulsé hors du tangible, là où les repères se perdaient. Horis dut se frotter les paupières mais reconnut bien cette vision de naguère. Quand Khanir ambitionnait plus loin que le conflit. Quand la lutte se dessinait encore, et l’issue tapie dans un horizon nébuleux. Il n’y avait aucune équivoque sur le globe par-dessus lequel le mage s’était immobilisé. Une immensité tantôt bleutée, tantôt parsemée de terres, striés de nuages poussés par les vents. Pas le moindre être vivant n’était visible depuis une distance si gigantesque.

En revanche, la magie l’était bel et bien. Horis était capable de la déceler dans le vide spatial, mieux encore, de s’en imprégner. Alors frôlerait la béatitude afin d’éloigner les incompréhensions. Ses yeux s’ouvrirent en grand pour profiter de la contemplation, pour s’abandonner à cette sérénité au goût si insaisissable. Infime silhouette dans la vastitude cosmique, il paraissait déjà minuscule à côté de ce monde, qui pourtant relevait aussi de l’insignifiant à l’échelle de l’univers.

Ce monde… Depuis un point de vue extérieur et éloigné, il a l’air si… paisible. Est-ce seulement possible de le modeler à la hauteur de nos espoirs ?

Par-delà ses limites, on ne peut apercevoir ces massacres. Pas même les ruines des guerres d’autrefois, et les braises de celles à venir.

Tout ce que l’on discerne, c’est une merveille que nous peinons à préserver.

D’où nous venons ? Il n’existe que des théories, et nous n’aurons probablement jamais la réponse à cette question. L’autre question : qu’adviendra-t-il de tout cet espace qui nous a été offerts ? Personne d’autre que nous ne peut en décider.

Un cocon de magie enveloppa Horis et soulagea ses maux. Le déclin de la géhenne s’avérait propice aux interventions salvatrices. Comme par instinct, son corps s’allongea, et ses mouvements se bornèrent au strict minimum, puisque son corps s’approchait de ses limites maintes fois repoussées.

Nos origines sont inévitablement connectées à celles de la magie.

Dommage que vous n’assistiez pas à ce moment, Bennenike. Rien ne réparera vos crimes, mais peut-être qu’un sursaut de conscience aurait illuminé votre esprit malade. Admirez, et comprenez. Toutes vos troupes, tout votre kurta, toutes vos lois ne réussiront jamais à éliminer la magie.

Elle est omniprésente. Omnipotente. Cette essence circule dans chaque recoin de l’univers. Elle modèle des mondes gravitant autour de ces étoiles si lointaines. Parfois en tant que simple fluide, souvent bien au-delà.

Peut-être que dans ces mondes, d’autres êtres vivants se posent les mêmes questions et se livrent les mêmes conflits. Certains ont été oubliés, inhumés derrière des millénaires d’histoire. D’autres sont encore à venir, dans un futur si lointain qu’ils sont inconcevables. Sous formes diverses, avec des implications distinctes, mais toujours d’identique origine.

La magie doit vivre en harmonie avec son environnement. La paix se doit d’être le but ultime.

Un moment durant, Horis recouvrit le contrôle de ses membres. Tout restait inaccessible, pourtant il tourna le dos à son monde afin de s’orienter vers les étoiles scintillant dans l’espace.

L’une après l’autre, elles disparurent. De nouveau la lumière céda au règne des ténèbres Un déclin si craint, fatalité que le mage aurait souhaité éviter. Il avait beau disposer d’une source infinie d’énergie, les invisibles chaînes surpassaient ses plus pessimistes conceptions.

Il sombra derechef. Chuta dans des abysses sans fond. D’abord son cœur se relâcha, avant de battre à plein régime, d’alimenter son être aux proies des tourments de la bête. Sa présence restait perceptible, ses cris déchiraient ses tympans, hélas demeuraient-elle trop peu tangible que pour être assaillie.

Mais les profondeurs possédaient bel et bien une fin. Horis se retrouvait certes au cœur du néant, où rien n’était saisissable, où tout était absorbé. Pourtant la proximité de la créature ne faisait aucun doute. Ses pieds ripèrent sur une surface solide mais invisible. Fort de ce constat, il s'élança vers l’inconnu, s’immergea dans la vacuité que la magie honnie avait fabriquée.

Qui ourdit derrière ces illusions cauchemardesques ? La bête n’avait aucune volonté, sinon celle de détruire Amberadie ! À quoi riment ses pouvoirs ? Dans quel obscur labyrinthe mental m’a-t-elle piégée ? Je dois m’en extirper… Occire ce mal à tout jamais !

Horis chemina vers sa destinée. Aucune indication ne l’aidait à discerner ses obstacles, mais il n’en avait cure. Tout ce qui l’importait était de pourfendre la créature, de la projeter dans les profondeurs desquelles elle était revenue. Un moment de répit l’aidait à recouvrir sa forme, tant physique et magique, comme il parcourait des horizons indicibles.

Avant de réaliser que tout s’était matérialisé au-delà de sa vue.

Les arbres déracinés par la plus ravageuse des tempêtes.

Les îles englouties sous des vagues de hauteur incommensurable.

Les cités submergées jusqu’à leur pinacle. Là où disparaissaient ses âmes grâce auxquelles son cœur battait.

Un aperçu inédit s’ouvrit à travers ses yeux gorgés de magie. En tout lieu, en tout temps, le monde se déployait trop que pour une unique personne. Saturés par tant de visions, frappés par tant de tragédies, le jeune homme en appelait à sa résistance. Il manqua cependant de se fendre quand ce fut le globe entier qui se désagrégea. La destruction si longtemps annoncée, la fin d’une civilisation que même les mages auraient échoué à arrêter.

D’une manière ou d’une autre, tout doit s’achever durant les instants suivants, et ils seront décisifs.

Qu’est-ce qui a été prouvé ? Que la magie mènera le monde à sa perte ?

Elle peut être bonne ou mauvais selon l’usage qu’on en fait. Cela dépend juste de la personne. Voilà pourquoi la magie est à l’image de l’humanité. Voilà pourquoi jamais elle ne pourra être annihilée. Chacune des tentatives ne conduira qu’à davantage de massacres.

Acceptons-la comme part de nous, que nous choisissions de la maîtriser ou non. Ainsi nous irons de l’avant et bâtirons un avenir meilleur. Je doute que le monde se retrouvera en parfaite paix, mais nous pouvons essayer… Pour nous diriger en sens opposé de l’annihilation.

Soudain, l’environnement gagna en clarté. Non car quelque décor se serait matérialisé, plutôt car la lumière surgissait enfin du néant. Des piliers étincelants et blanchâtres émergèrent tout autour du mage. D’abord d’une poignée, puis des dizaines, puis des centaines. Jusqu’à former un ensemble plus éblouissant encore que l’astre diurne. Du noyau de la planète à son atmosphère, pour ensuite s’élever tels des faisceaux jusque dans les confins de l’univers. Convergeant dans un but identique, s’illuminant à la satisfaction du mage égaré.

Les rugissements retentirent de plus belle.

— Un péril civilisationnel ? songea Horis. J’ignore si je suis préparé, mais j’ai bien décidé de t’affronter !

Des frissons habitèrent son corps pendant qu’il tendait ses bras.

— Je t’ai déjà vaincue une fois, créature ! Qu’est-ce qui m’empêche de recommencer, sinon que tu t’es matérialisée sous une forme intangible ?

Dans ses paumes scintilla un éclat aussi intense que les colonnes alentour.

— Tu ne t’empareras pas de ce monde ! Pas tant qu’il me restera un souffle de vie ! Ce combat… Depuis que l’on m’a privé de ma famille, depuis que l’on m’a contraint à y prendre de vie. Représentes-tu la fin, monstre ? La triste ironie d’une création de la magie destinée à en chasser ses détenteurs ? Peut-être que tu es l’adversaire idéal. Tu me repousses dans mes ultimes limites. Tu mes forces… à tout déployer.

Horis contrôlait encore ses mouvements, toutefois fut-il emmené malgré lui vers une insaisissable élévation. Partout et nulle part, maintenant et jamais. Une aura éblouissante suivait son envol au milieu de chacun des piliers. Plus qu’une étincelle, plus qu’une flammèche, il représentait la lueur suprême. À l’accumulation d’une magie omniprésente s’obtint l’épanouissement. Et alors qu’il comprit où se situait la créature, il envoya son sort le plus important, silencieux dans son ultime geste.

Seul le vide l’entoura durant quelques instants.

Tout fut balayé et tout revint.

Où suis-je ? Serait-ce…

Une âme s’était définitivement éteinte à son soulagement. Dès que les alentours retrouvèrent leur netteté, Horis reconnut l’inexpugnable Mur de la Lignée. De nombreuses dépouilles peuplaient une place depuis si longtemps souillée, quoique les cris le rassurèrent sur la présence des survivants.

Il fut à peine capable de remuer ses doigts.

J’ai épuisé toutes mes forces pour tuer définitivement la créature. Et maintenant, je ne peux plus bouger ? Un miracle que je tienne debout…

Abasourdie, Bennenike restait en face de lui.

— Tu as triomphé de la bête…, marmonna-t-elle. Maudit sois-tu !

— Vous ne vous y attendiez pas ? demanda Horis en souriant.

— Si ce doit être la fin… Si tu dois t’arrêter sur une victoire… Alors, moi aussi !

Horis ne put que subir, inapte à se défendre, puisque les interventions se firent trop tardives.

Deux cimeterres lui traversèrent le torse.

Bien que sa respiration ralentît, bien que le monde se figeât autour de lui, l’impact se révéla indolore. Du sang jaillissait d’abondance sans que des hurlements ne suivissent, du moins pas les siens. Au lieu de quoi il restait digne même lorsque son corps l’abandonnait, même lorsque le kurta le transperçait de part en part.

Malgré sa jambe transpercée, l’impératrice réussit à se réfugier vers le Palais Impérial. Elle n’ira pas bien loin et elle le sait. Elle ne nuira plus jamais à personne. Ce n’est juste pas moi qui en finirai.

Quelque chose d’autre doit périr d’abord.

Horis commença à se courber, se fixa vers le symbole qu’il avait tant honni. La goutte surmontant la vague hérissait encore ses poils en cet instant. Dans ce sursaut, il parvint à réunir son flux, à générer un dernier faisceau lumineux dans lequel ses rémanents d’énergie furent transmis.

Le Mur de la Lignée vola en éclats sous une nuée de témoins ébaubis.

Et quand la fumée résultante s’exhala dans les airs, les ténèbres s’étaient dissipées à jamais. Une nitescence nouvelle éclairait la voûte azurée. Avec elle sillonnait une brise dont la fraicheur était bienvenue.

C’était dans cette clarté que Horis retrouvait ses alliés de toujours. Parmi eux, il reconnut Médis, Sembi et Oranne, à qui il envoya un persistant sourire. Ils étaient nombreux à tenter de la soigner.

Les tentatives étaient futiles.

Horis s’attarda sur ses alliés avant de se river vers le ciel.

J’ai enfin compris. Pourquoi je me suis dresse là où j’aurais pu abandonner. Pourquoi j’ai résisté là où j’aurais pu périr.

Il le fallait. Chaque contribution contre cet empire était nécessaire. Maintenant, un avenir se dessine… J’aurais voulu y assister, mais je ne peux pas. Je dois me reposer.

Horis avait toujours redouté que les ultimes instants se pareraient d’un morose mutisme. Qu’il supplierait la destinée de lui accorder quelques secondes de vie supplémentaires. Au lieu de quoi il sombra à bras ouverts.

Une lente mais agréable mélodie apparut dans son esprit tandis que défilaient les images de toutes les personnes. Vivantes, mortes, cela n’avait pas d’importance, car elles subsistaient en lui, lui prodiguaient du baume au moment fatidique.

La magie accueillit son porteur en elle.

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