Chapitre 70 : La dynastie

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NAFDA


Un éclat sans pareil ne laissait aucun doute : un jour nouveau s’était levé sur Amberadie, et par extension dans l’Empire Myrrhéen.

Tel était son constat sitôt extirpée de son inconscience. Même si des étincelles de douleur parcouraient son corps constellé de plaies, Nafda ignorait ces maux pour se focaliser sur l’essentiel. Par-dessus sa silhouette ensanglantée planait un ciel merveilleux, dont la couleur unie contrastait avec la noirceur désormais dissipée. Fixer le soleil lui causerait de sérieux dommages à sa rétine, pourtant était-elle happée par la couronne dorée et triomphante. Ses scintillations si ordinaires lui laissèrent un hoquet de satisfaction.

La preuve est bien réelle. Tout ce temps, je croyais que la magie apportait juste les ténèbres, comme l’avait prouvée la catastrophe d’Oughonia, comme l’illustrait encore cette bataille. Et si… une alternative était possible ?

Jamais l’assassin n’avait éveillé cette essence s’écoulant paisiblement dans son corps. Elle avait beau poser une main tressaillante sur son torse, seul un vague sursaut se manifesta, crissant le kurta de ses lames. Pour cette raison, elle s’orienta vers l’extérieur, là où le flux emplissait à un degré inimaginable. De vétustes réflexes lui dictaient de chasser cette énergie, des idées novatrices l’exhortaient à l’accepter. Nafda se mut entre les ruines et s’imprégna d’une magie qu’aucun effort n’aura su neutraliser.

Par-delà les entités vibraient des âmes ébranlées jusqu’à la moelle. Des cœurs battaient entre les inconcevables rangées de cadavres, fussent-ils dans un désastreux état. L’assassin identifia Docini, toujours évanouie, tout comme Oranne, Sembi et Milak en-deçà du mur détruit.

Puisqu’elles sanglotèrent à hauteur de Horis, les craintes étaient fondées.

Nafda manqua de s’écrouler mais résista. Quelques larmes humidifièrent sa cornée comme elle commençait à s’éclipser de ce lieu si exposé.

Horis Saiden… Mort ? Je n’en reviens pas. Tout ce temps à lui promettre de l’occire, et finalement, ce sera Bennenike qui aura porté le coup fatal.

Pourquoi je pleure ? Parce que je n’aurais pas dû le rendre aussi vulnérable face à l’impératrice ?

Songeant à sa maîtresse, Nafda avisa des traces de sang à même de foulées. Les derniers miliciens rassemblés ici-bas sacrifiaient leur vie afin de préserver la vie de la dirigeante. Comme si la bataille ne touchait pas à sa fin, comme si un ordre entier était encore loin de la dissolution. Cimeterres, lances et hallebardes étaient abattues dans de désespérés moulinets, et le kurta déclinait dans des bribes d’illumination. Auparavant, Nafda se serait jointe sans hésitation à ses alliés.

Une autre bataille l’attendait dorénavant.

Le Palais Impérial est épargné par les violences… pour le moment. Seul lieu de paix dans toute la capitale ? Explorons cela de plus près ! Des centaines de combattants s’étaient agglomérés en face de l’entrée, aussi Nafda se glissa vers une autre voie. Peu de personnes la remarquèrent en dépit de sa popularité puisque la densité de belligérants affermissait leurs priorités.

Comme par instinct, l’assassin connaissait les siennes. Elle atteignit les jardins dont l’absence de tout être humain les rendait d’autant plus pur. L’envie la guettait de les admirer, de s’allonger à l’ombre des orangers, mais le devoir l’appelait.

De tous les accès s’illustra un en particulier auquel elle se référa durant son ascension. Chaque appui, chaque traction requérait un lourd effort de la part de ses muscles. Plus elle s’éloignait du sol et plus se concrétisait son objectif. Une main sur une embrasure, un pied ripant sur le mur, et le balcon fut à sa portée en un court laps de temps.

Lors de son escalade s’entonnait encore l’expirante mélodie du kurta contre la magie. Des impacts si tonitruants, même lointains, propagèrent des frissons en elle jusqu’au moment où elle pénétra au sein du Palais Impérial.

Aussitôt Nafda identifia la silhouette planquée sous l’un des nombreux lits de la pièce. Amenis se releva et épousseta ses vêtements quelques secondes après avoir reconnu l’assassin. Cependant, en la détaillant de plus près, des tressaillements continuaient de la secouer. Oh ? Même elle ne me reconnait plus ?

— Toi ! s’écria-t-elle. Comment… Comment vas-tu ? Pourquoi es-tu revenue jusqu’ici ?

— Ma quête a changé, déclara Nafda. Tout ce que je te conseille, Amenis, c’est de trouver une meilleure cachette. Voire de fuir très loin d’ici.

— Je ne comprends pas… Quelles sont tes intentions ?

C’est évident, je ne les dissimule même pas. Pas après pas, de retour dans un environnement familier, l’assassin réduisait la distance avec le lieu final. Au bout de ses bras tendus luisaient des dagues qui n’avaient plus vocation à vibrer. Déglutissant, Amenis faillit trébucher à cause du sommier du lit, sur lequel elle s’agrippa.

— Amenis, interpella Nafda. Tu ne suis pas l’impératrice par adhésion idéologique, n’est-ce pas ? Juste par nécessité.

La concernée hocha du chef alors que sa paume moite glissait sur son appui. — Alors tu ne seras pas dérangée si je me dirige vers la salle du trône… J’aimerais juste être sûre.

— Non, non ! Même si je suis toujours confuse ! La dernière fois que je t’ai aidée à te rétablir, tu étais encore son loyal sujet, non ?

D’une lente expiration l’assassin s’affirma. Son esprit était léger, quoique focalisé, au moment où elle se positionna au seuil de la porte. Elle fixa innocemment Amenis, et un sourire incongru se déploya sur son visage.

— La situation peut évoluer très vite, se justifia Nafda. Je voulais être certaine que tu ne te dresserais pas contre moi. C’aurait été… fort dommage.

— Mon rôle, rappela Amenis, c’est de soigner les blessés, pas de me battre !

— Parfait. Considère cela comme un signe d’adieu, Amenis. Quoiqu’il surviendra durant les heures à venir, je ne reviendrai plus jamais ici. Tu ne mérites que le bien. Merci pour toutes ces fois où tu as pansé mes blessures. Malheureusement, il en existe certaines qu’on ne peut traiter.

Nafda abandonne une médecin intriguée. Une kyrielle d’urgentes questions l’assaillait, mais quelque chose d’autre prévalait. Alors elle claqua la porte, inspira profondément, et s’orienta vers le couloir attenant.

Dès qu’elle se mit à courir, elle repéra derechef les traces de sang, et n’eut plus qu’à les suivre.

Je suis proche… Très proche. Impératrice, voici venu le moment de notre ultime face à face.

Une course effrénée s’entama sur ces entrefaites. Bras en arrière, dagues formant leur coutumière courbe, Nafda trouvait ses aises malgré les rapides pulsations de son cœur. Mais l’apparente sérénité des lieux se trahit bien vite sitôt qu’une clameur naquit à proximité.

Eux ? Sont-ils si désespérés ? Ils n’étaient qu’une poignée. Une infime fraction des troupes totales. Si insignifiants, pourtant déterminés à se démarquer. Brûlures et plaies les striaient des pieds à la tête tandis que des déchirures abîmaient leur brigandine. De tels désavantages auraient incité d’aucuns à se retrancher.

Pas ces miliciens, néanmoins. Soulever leur arme leur requérait déjà un effort considérable, pourtant ils se disposèrent sur le passage de l’assassin. Une mine acariâtre obscurcissait leur figure déjà détériorée.

— Recule, Nafda ! prévint l’un d’eux. Fut un temps où nous te respections, mais c’est un passé aussi regretté que la disparition de notre ordre ! Oui, Bennenike nous a déjà prévenus de ta trahison !

— Si vous connaissez mon allégeance, répliqua l’assassin, pourquoi risquer votre vie ? Vous vous en êtes sortis miraculeusement. Autant ne pas laisser passer votre chance ?

— La vie de notre impératrice est plus importante que la nôtre ! Cherche à l’atteindre et nous nous sacrifierons pour vous barrer la route !

— Je vous plains.

Ils ne se détournèrent pas nonobstant l’avertissement. Au lieu de quoi les miliciens assaillirent leur cible sur un beuglement disgracieux.

Tant d’armes orientés vers elle inquiétèrent d’abord Nafda. Contrer la première salve l’allégea puisqu’elle n’eut qu’à fléchir les genoux et tendre les bras. Succédèrent des cliquetis, jaillirent des étincelles, et les dents claquèrent sous l’ombre de l’impératrice, et les armes s’abaissèrent déjà au gré de la pression exercée.

Il se trouve que j’ai récupéré mon souffle, que certaines de mes blessures se sont refermées. Malheureusement pour vous. Nafda tourbillonnait avec ses lames comme si elle était née avec. Sur son sillage succombèrent plusieurs de ses assaillants dans un ultime râle d’agonie. Les uns eurent la poitrine transpercée, d’autres le cou cisaillé. Peu lui opposèrent une véritable résistance, sinon quelques parades et entrechocs, avant d’être désarmés à leur tour.

Des cadavres s’amoncelèrent dans un lieu encore récemment épargné par la violence. Du fluide vital imprégna d’abondance la tapisserie et le dallage du couloir. Par-devers un pareil carnage, même les plus impavides des miliciens survivants se décomposèrent et finirent par détaler.

Nafda les laissa fuir. J’ai suffisamment tué pour bien des existences. Inutile de le faire encore… Surtout que ces pauvres gens sont encore jeunes. Elle était prête à rengainer ses dagues, sauf qu’elle n’avait guère atteint leur principal cible.

Sa cadence ralentissait à mesure que la porte se découpait au centre de sa vision. Étalés plusieurs mètres, des miliciens avaient déjà effectué leur sacrifice, figés dans une expression de détresse. Ils étaient une dizaine à jalonner les dernières étapes d’une route déjà sinueuse. Rien que croiser leur yeux dépourvus de vie suffit à filer un haut-le-cœur à Nafda, qui choisit de s’orienter ailleurs. Ils ont succombé à leurs plaies ici même. Êtes-vous fière de leurs loyaux services, impératrice ? Hélas, je ne puis mourir pour vous. Plus maintenant.

Il lui fallait passer outre sa gorge nouée et le hérissement de ses poils, car elle avait rejoint sa tant attendue destination. Poussant la porte avec grande force, une pluie de lumière l’inonda dès qu’elle accéda à la salle du trône.

Tel un tableau se dévoila l’intérieur. Comme de juste, rien ne perturbait le trône fixé par-delà les marches, mais ce qui estomaqua davantage Nafda fut la position de Bennenike. Inclinée vers l’avant, jamais son aura n’avait paru si faible. Sa cape oscilla légèrement au fracas de la porte mais elle refusa de se retourner.

Il lui était impossible de poser le regard ailleurs que vers les corps de ses enfants. Un linge humide couvrait les yeux de Renys et Ulienik, couché de part et d’autre de la tapisserie de la salle, bras parallèles au corps. Ainsi s’entonnait la lugubre quiétude, même si l’air ne trottait que dans la tête de Nafda, immergée dans le silence.

L’assassin entreprit de réduire davantage la distance, toutefois Badeni s’interposa à brûle-pourpoint. Même émoussée, sa hallebarde se révéla très persuasive.

— Pas un pas de plus, menaça la garde, sinon ta tête enjolivera ce lieu légendaire !

Elle risque sa vie aussi. Rien de surprenant, encore. Nafda plissa le front, plutôt préoccupée par l’état de Bennenike. Acier et kurta amalgamés à ras de son cou la décourageait de progresser outre mesure, mais elle détaillait son impératrice depuis sa position. Aussi figée qu’une statue, aussi muette qu’une tombe.

— Vos enfants…, souffla Nafda. C’est vous qui les avez tués ?

— Un véritable drame, énonça Bennenike. Un parent forcé de mettre fin à la vie de ses propres enfants. Crois-moi, j’ai essayé d’éviter cela… Hélas, la gravité de la situation ne m’a laissé nul autre choix.

— Et vous y êtes parvenue malgré votre blessure à la jambe ?

— J’aurais dû préciser. Je les ai étouffés durant leur sommeil au cours de la nuit précédant la bataille. Ils n’ont pas souffert, heureusement.

Des fondations s’effondrèrent une kyrielle d’indiscernables particules. Un détail… qui change tout. Sur ses mains submergées de liquide vermeil demeurait l’empreinte de chacune des victimes de Bennenike. Je suis responsable de la mort d’innombrables personnes, pourtant ma liste reste bien inférieure à la sienne. Jamais n’avaient-elles paru aussi impotentes qu’en ce jour. Cela, Nafda le remarqua même sans observer sa maîtresse de face.

— Vous saviez, devina-t-elle. Vous étiez consciente que cette bataille se solderait par une défaite.

— Longtemps, expliqua la dirigeante, j’ai refusé de songer à cette possibilité. Qui pouvait défaire une armée comme la mienne, puisqu’elle avait maté les précédentes insurrections ? Cette alliance dépassait néanmoins l’entendement, et j’ai payé le prix de mon arrogance.

— Vos enfants méritaient-ils d’en subir les conséquences ? Ils n’étaient pas impliqués dans vos décisions ?

— Je n’entrevois aucune différence. Consulter un livre d’histoire suffit à montrer que, au moment où une famille royale est prise d’assaut, les assaillants ne daignent manifester une quelconque pitié à leur égard. C’est même tout l’inverse.

— Mais vous auriez pu les évacuer de la cité ! Vous avez préféré condamner les habitants d’Amberadie dans son entièreté, y compris votre lignée…

— Voilà qui est curieux, l’assassin qui me semonce. Le déclin est définitivement proche. Non, Nafda, je ne pouvais pas le permettre. J’adorais mes enfants, mais je n’imaginais pas un destin similaire à celui de Renzi. Quel sens donner à leur existence si la dynastie Teos n’existe plus ? Les branches cousines perdront leur légitimité. La principale s’éteindra avec moi.

Est-ce la même impératrice pour laquelle j’ai saigné ? Des nerfs se tordirent en Nafda, si bien qu’elle brandit ses dagues. Contre ses ambitions s’opiniâtra Badeni, dont le regard courroucé se couplait à l’éclat de sa hallebarde. Plusieurs larmes glissaient cependant le long de ses joues.

— Je ne me répèterai pas ! hurla-t-elle. Aussi félonne sois-tu, tout le monde n’est pas contre toi ! Bennenike est une bienfaitrice. Elle m’a sauvé d’une vie de servitude. Je donnerai ma vie pour elle !

— Comme tous les miliciens sur mon passage, riposta Nafda.

— Tu… Tu as massacré les survivants ?

— Une partie. Pas de bon cœur, mais parce qu’ils se dressaient comme obstacles.

— Toutes ces femmes, tous ces hommes… Ils étaient tes alliés depuis toujours. Tu ne ressens aucun remords ? Tant pis pour toi !

— Nous voilà coincés dans une situation inévitable et pourtant prévisible. Badeni, nous avons eu un rôle commun mais des parcours similaires. T’occire ne me laisserait pas indifférente.

— Et moi donc ! Mais regarde-toi, tu n’es plus toi-même.

— Au contraire. Je ne me suis jamais autant senti moi-même.

Badeni émit un rugissement si furibond que Nafda peina à la reconnaître.

Ce qu’elle anticipa, en revanche, fut la courbure qu’elle imprima à sa hallebarde. Il suffit à l’assassin de bloquer avec une de ses dagues, efficace en dépit de la différence de masse. Secouée, Nafda pivota sur elle-même et pénétra dans la garde adverse avec son autre lame.

D’un égorgement net retentit son triomphe.

Peut-être Badeni se serait exprimée si son cou n’était tranché. À la place, elle s’étouffa dans son sang. Des derniers sursauts l’ébranlèrent comme elle fut même incapable de fixer l’assassin à la rupture de son souffle. Pas de regret, mais pas indemne non plus. Les résultats de l’aveugle loyauté, j’en sais quelque chose…

Dans la salle du trône ne subsistaient plus que l’assassin et l’impératrice.

Bennenike finit par se retourner. Quitte à côtoyer les dagues rougeoyantes de sa protégée, elle se rapprocha de Nafda afin de mieux la fixer. Alors s’intensifièrent les battements de l’organe vital de l’assassin, tant le sourire de la dirigeante semblait impromptu. Où est sa colère d’antan ? Je viens de tuer sa plus proche amie.

— J’ai abandonné, déclara-t-elle.

— Vous ne vous défendrez même pas contre moi ? s’étonna Nafda. Vous connaissez mes intentions…

— Ma plaie va s’infecter si je ne la traite pas. Quel intérêt à retarder ma fatalité ? Seul réveiller la bête m’a permis de vaincre Horis, autrement, il m’aurait tuée avant toi.

— J’ai cru qu’il s’agissait de cauchemars… C’était bien vrai.

— Utiliser la magie dans un moment de désespoir, projetée dans des visions dépassant l’imagination humaine. Bien sûr, plusieurs meneurs de l’insurrection actuelle ont péri de mon cimeterre. Quant à Horis Saiden, il aura été mon redoutable opposant, tout comme le tien. Mais il avait hélas raison : je ne peux annihiler la magie. Des années de lutte acharnée m’auront menée à cette âpre vérité.

— Moi aussi. Sauf que ma conclusion est différente. Envisagez la situation de mon point de vue, impératrice. D’enfant des rues à tueuse au cœur sec… Mon innocence à jamais détruite. Vous vous êtes servie de moi. Telle une arme destinée à réaliser vos desseins, sans jamais les questionner. Maintenant, je les ai questionnés. Et je refuse de les exécuter plus longtemps.

— Qu’il en soit ainsi. Finalement, tu auras confirmé mes soupçons : soit mes alliés périssent, soit ils me trahissent. Badeni et toi en représentez la plus pure illustration.

— Vous vous êtes condamnée vous-même, impératrice.

Le sourire s’effaça des traits de Bennenike. Ses paupières se fermèrent alors quelques instants face à la perplexité de sa protégée. Lorsqu’elle les rouvrit, tout en se rivant vers le plafond, elle pencha sa tête en arrière et écarta les bras. Résignée, en effet.

— Dans cette salle s’est inscrite une histoire hors du commun, affirma-t-elle. Des dizaines d’impératrices et d’empereurs se succédant au cours des siècles. Un trône fabuleux, érigé dans un palais millénaire à l’instar de l’Empire Myrrhéen. Malheureusement, peu importe sa longévité, il doit s’achever un jour.

— Vous assumez donc être la dernière représentante de la dynastie Teos ? demanda Nafda.

— Puisqu’il s’agit de l’unique issue possible… Oui, l’empire mourra avec moi. Je n’assisterai pas à ce qu’il adviendra par la suite, mais je suis fort pessimiste. Comme lors de cette bataille, des ténèbres risquent de s’abattre dans ce qui fut naguère une lumière sur tant de régions. Rien n’est éternel. Mais si le chaos se propage, cela signifie que l’ordre est impossible à installer.

— Ainsi s’enchaînent vos réflexions à l’approche de l’instant fatidique…

— Quelques mois auront suffi à me faire tout perdre. Quoi que mes ancêtres pensent de moi, j’aurais laissé une profonde empreinte dans l’histoire, et l’on parlera encore de moi durant des siècles. Positivement ou négativement, je n’en ai cure. J’aurais juste souhaité pouvoir mener mon combat à bien. Il est cependant temps de rendre les armes. Je ne ressens aucun regret. Je suis fière de mes accomplissements en tant que trente-troisième et ultime impératrice de la dynastie Teos. Et comme il m’a fallu m’y préparer… mon heure est venue.

— Votre destin vous attend ? Moi, j’ai trouvé mon devoir, même s’il est à l’opposé de ma quête initiale.

— Bien sûr, Nafda. Voilà pourquoi je suis dans l’incapacité de te blâmer. Après tout, tu es l’assassin de l’impératrice.

Triste ironie enfin formulée. Un objectif opposé avec une appellation identique.

Nulle hésitation n’entrava Nafda au moment de l’exécution. Une paire de dagues ayant cessé de vibrer fusa en direction de la despote.

De leur empreinte, elles écrivirent la légende et éradiquèrent la dynastie.

Au-delà de l’assassin et de l’impératrice planaient d’insaisissables âmes. Des instants de suspensions suivirent l’acte, lors desquelles l’admiration atteignit son paroxysme. Il n’y avait pas lieu de formuler la douleur, ni d’expier des remords au triomphe des armes dédiées. Car Bennenike avait tout dit et tout accompli.

Bien qu’elle s’attardât sur Nafda, elle se focalisa davantage sur le trône. À peine quelques traces transparaissaient de l’ensemble des conflits antérieurs. Pourtant ne possédait-il plus aucune valeur, ainsi le jugeait l’impératrice.

Invaincue, inébranlable, Bennenike rencontra sa fin. Couchée entre ses deux enfants, et juste derrière Badeni, son ombre s’amenuisa considérablement comme son aura se dissipa.

Sous la contemplation de son assassin trépassa la figure impériale. Dans un silence total, dans l’aboutissement des ambitions d’autrui, dans les sanglots que nul de ses alliés ne pouvait répandre.

Sa stature demeurait identique même lors de son déclin. Ainsi qu’elle l’avait elle-même affirmée, Bennenike l’Impitoyable fut la dernière à périr à l’achèvement de sa propre mission.

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