5. Askapor, Royaume de Lyis

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La terre ferme était à l’horizon. Captivée, Ayah contemplait le paysage si familier et pourtant si différent, qui se dessinait peu à peu devant elle. Des mouettes survolaient bruyamment les côtes. Certaines se reposaient sur le sable au soleil, guère effrayées par le mouvement incessant des gens et des bateaux.

Ils s'amarrèrent près d’une plage au sable blanc étincelant. La petite savait que ce n’était pas la même plage que celle qu’ils avaient quittée, car ici elle ne voyait pas de forêt au loin et l’odeur était différente. Il y avait là une rangée de petites bâtisses en bois, construites les unes à côté des autres.

A l'instant où elle posa les pieds sur le sable, Ayah grimaça à la senteur répugnante qui régnait sur la plage, devant le regard amusé de Raly. Elle vit d’autres personnes plus loin, près de leurs radeaux, transportant une grande quantité de fruits de mer, merlan et sardine. Ayah contempla, interloquée, les pêcheurs courir pour enlacer un à un Raly et Fyn. Sa mère lui disait toujours qu’il fallait faire attention au contact physique, car certaines créatures étaient capables de voler leur peau. Ces gens sont bien imprudents…

Elle remarqua que tous ces gens se ressemblaient fort : grand, mince, cheveux roux ou grisonnant, la peau rougie par le soleil. Les avait-elle dévisagés trop longuement ? Car rapidement, on lui rendit son regard, une question muette se dessinant sur leur visage. Elle baissa les yeux vers ses habits, regarda ses mains, tâta son visage, mais rien. Pourquoi la scrutaient-ils ainsi ?

Raly lui fit signe de la suivre et tous deux s’éloignèrent de la plage, se dirigeant vers le village. Ils arrivèrent devant une maison en bois ancien, si anciens même qu'Ayah eut la saisissante impression que la bâtisse menaçait de s'écrouler à tout moment. L’intérieur paraissait aussi vétuste que la façade. Une femme, aux longs cheveux roux et au teint pâle, se retourna et poussa un cri, faisant sursauter Ayah. Elle courut vers Raly et le prit dans ses bras, avant de faire de même avec Fyn, les yeux humides de larmes. La dame l’aperçut enfin et la regarda d'un air interrogateur, alors que Raly lui expliquait quelque chose. Quelle fut sa surprise encore lorsque la dame s’approcha d’elle et la prit dans ses bras. Ayah se crispa, sentant son cœur battre à toute allure. Après ce qui lui sembla être des heures d’agonie, la dame recula et sourit. Raly montra cette dernière du doigt et dit :

« Mina. »

Ayah acquiesça et répondit par son propre prénom, dévisageant Mina longuement, comme si elle s’attendait à la voir prendre son apparence à tout moment. Il n’en fut rien. Mina lui prit la main et lui fit signe de la suivre. Sur ses pas, l'enfant observa la maison. Arrivant à la cuisine, Ayah fut étonnée de reconnaître les odeurs de soupes de légumes comme lui préparait sa mère parfois lorsqu’il faisait froid.

Elle aperçut une pièce où il y avait un fauteuil noir usé et plein de poussière. Le long banc en bois à côté semblait également en piteux état. Ayah se remémora ce moment où sa maman avait jeté un fauteuil en bambou à la mer car il y avait une petite tache qu’elle n’arrivait pas à retirer. Pourquoi ne faisaient-ils pas de même ?

Mina gravit les marches des escaliers et ils arrivèrent à l’étage. Elle lui montra une pièce remplie de meubles et de babioles posés sur un lit vétuste. Elle pointa celui-ci du doigt et dit « Li Ayah ». Celle-ci n’était pas certaine d’avoir compris mais acquiesça quand même.

On lui apporta le soir une couverture et un oreiller et elle s’allongea sur le fauteuil. Elle ne parvint pas à dormir et ne cessa de penser à sa mère. Avait-elle commis une erreur en les suivant ici, loin de sa terre natale ? Et Sa mère était toujours sur l’île à la chercher désespérément ? Un sentiment d'angoisse l’envahit. Elle devait demander à Fyn d’y retourner. Elle devait absolument retrouver sa mère. Mais elle ignorait comment elle pouvait leur demander quoique ce soit alors qu’elle ne parlait pas leur langue. Elle se mit à pleurer à nouveau et finit par s’endormir, épuisée.

Les cycles lunaires se succédèrent, mais sa mère ne vint jamais la chercher. Ayah se sentait si seule et surtout si différente, mais elle ignorait pourquoi. Était-ce sa peau qui semblait plus sombre que la leur, ou ses cheveux plus volumineux, sombres et bouclés ? Elle prit d’ailleurs l’habitude de les attacher en un chignon serré comme le faisait Mina. Au moins comme ça, elle se ferait moins remarquer.

Désormais, Ayah suivait Raly partout, comme si sa vie en dépendait. Il était seul à tout faire pour communiquer avec elle d’une façon ou une autre. Elle apprenait leur langue petit à petit, mais pas suffisamment vite à son gout.

Parfois, Ayah s’aventurait un peu plus loin du village d’Askapor. Elle se dirigeait vers les plages désertes de la mer Blanche, s’éloignant des embarcations nauséabondes des pêcheurs. Ici, elle aimait l’air frais de la mer, le bruit apaisant des vagues et le chant doux des oiseaux. Ayah ne trouvait de réconfort que lorsqu’elle s’allongeait sur ce sable fin. Elle avait le sentiment d’être à la maison, dans les bras de sa mère, bercée par son chant angélique. Elle ne voulait plus qu'une chose : retourner sur son île pour retrouver sa mère. Elle devait prendre son courage à deux mains et demander à Fyn.

Le lendemain, Ayah se réveilla et sauta de son lit, déterminée à atteindre son but. Elle trouva Mina, Raly et ce dernier assis à table en train de discuter autour d’un petit-déjeuner.

« Bonjour » dit-elle dans leur langue, tout sourire.

Tous la saluèrent à leur tour. Mina montra la corbeille devant elle.

« Du pain, Ayah ? »

Elle acquiesça et s’assit sur la chaise grinçante près de Raly qui discutait avec son père.

« …marchands de Yersinia continuent de s’accaparer plus de terres autour de la Cité. Les prix ont quasiment doublé depuis quelques cycles lunaires. Ça va très mal se finir cette histoire, j’en suis sûr. »

« Si ça peut attirer plus de monde à Askapor, ça ne peut qu’être avantageux pour nous. »

« Mais père, qu’en est-il des pauvres fermiers… »

« Écoute, c’est ce qui arrive quand on accepte tant de Kaaïns dans ses terres. Tout le monde sait que ces… choses n’apportent que des malheurs avec eux. »

Ayah fronça les sourcils, pas certaine de comprendre tout ce qu’ils disaient. Parfois, ils parlaient trop vite ou de choses qu’elle ne connaissait pas. Elle haussa les épaules et prit la tranche de pain que lui apporta Mina. Au bout d’un moment, Ayah leva les yeux vers Fyn et Mina, répétant dans sa tête la phrase qu’elle allait leur dire et prit son courage à deux mains.

« Fyn, on peut retourner à île… l’île où vous trouver moi ? Peut-être, ma mère toujours là ? »

Raly à côté d’elle se mit à tousser, s’étouffant sur son pain. Fyn la regarda d’un air triste.

« Ayah, c’est trop risqué d’aller là-bas. Nous n’allons jamais si loin d’habitude. »

« Risqué ? » demanda Ayah, confuse.

« Ça veut dire qu’on se met en danger et sans être certain qu’on arriverai sur l’île. » expliqua doucement Raly.

« Mais pourrait réessayer ! Possible que plus calme maintenant. » répliqua Ayah avec espoir.

« Tu ne comprends pas. » rétorqua Fyn, commençant à s’impatienter. « Naviguer au-delà des côtes de la Mer Blanche, aussi proche de l’île, est très dangereux. C’est le vent qui nous y a emporté la dernière fois. Te rappelles-tu la tempête qu’on a dû traverser ? Nous avons été chanceux d’avoir survécu à ce voyage. »

« Il faudrait remercier les Dieux d’être encore en vie » répliqua Mina d'un hochement de tête.

Ayah ne voyait pas de quoi elle parlait mais ignora son commentaire.

« Mais, c’est comme ça toujours là-bas ? Il y a tempête beaucoup ? »

« Les bateaux qui naviguent aussi loin n’en reviennent jamais, emportés par les flots. » répondit Raly. « Seuls quelques rares pêcheurs et navigateurs expérimentés comme mon père y arrivent. Nous avons failli couler la dernière fois, Ayah. »

Elle ne comprit pas tout ce qu’il venait de dire, mais les derniers mots étaient clairs.

« Couler ? Dans les vagues et la tempête ? »

« C’est ça. »

La petite écarquilla les yeux, abasourdie.

« Mais... Vraiment ? »

« Oui, Ayah. Nous aurions pu mourir. » répondit Fyn.

Elle n’avait pas vraiment pris conscience de la dangerosité de leur voyage. Elle baissa les yeux et marmonna des excuses.

« Ne t’inquiète pas, Ayah. On va bien s’occuper de toi maintenant, tu peux en être certaine »

Elle leva les yeux vers Raly et sourit, mais en réalité, elle avait envie de pleurer. Elle voulait retourner chez elle, revoir sa mère. Mais elle n’avait pas le choix. Elle quitta précipitamment la table et se dirigea en courant vers la plage, les yeux humides de larmes.

Ainsi, tout ce qui lui restait de sa tendre et brève enfance était l’odeur familière de cette mer et le souvenir flou de sa mère. Sa solitude était immense.

« Ayah… »

Elle se réveilla en sursaut. Ayah avait cru entendre sa mère l’appeler dans son sommeil, cru entendre une voix douce, tendre mais inquiète, crier son nom. Ne l’avait-elle que rêvée ? Sa respiration s’interrompit brusquement : et si sa mère était juste là, au village, à sa recherche ?

Elle devait absolument vérifier.

Ayah bondit de son lit, enfila ses petites chaussures et courut dehors. Elle regarda autour d'elle : il n’y avait pas un chat dans les rues. Elle s’élança sans tarder vers la plage. Il était possible qu’elle l’attendait là-bas !

La petite arriva au bord de la mer et s’arrêta, contemplant le lever de soleil. Il n’y avait personne. Déçue, elle s’accroupit sur le sable et attendit. Sa mère viendrait la chercher là, elle devait revenir. Non. Elle ne l’avait pas abandonnée. Une larme coula sur ses joues.

Ayah, épuisée, ne s’aperçut pas qu’elle s’était assoupie.

Elle ne vit pas la silhouette qui était apparue derrière elle ; une entité faite d’ombre et de poussière.

L’avait-elle senti s’approcher et la prendre dans ses bras immatériels ? Avait-elle perçu la douceur et la chaleur de son toucher, entendu le chant angélique qui la berçait dans son sommeil ?

Lorsqu’Ayah ouvrit les yeux finalement, la silhouette avait disparu, ne laissant derrière elle qu’une petite rose noire.

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