10. Samaël

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Le regard amer, Samaël observait les soldats, servants et gardes, entrer et sortir du palais. Personne ne les interpellait, personne ne les arrêtait sur leur passage. Ils avaient plus de liberté que lui, le prince héritier, le futur roi. Quand est-ce que cela allait changer ?

« Sans doute jamais. »

Il soupira et retourna dans sa chambre, ne voulant pas voire plus longtemps ce spectacle frustrant.

On toqua à sa porte et un garde ouvrit, laissant apparaître le Maître de la Citadelle. C’était un vieil homme au sourire aimable qui lui avait appris, il fut un temps, à lire et écrire. Il lui avait fait découvrir tant de récit de chevalier et de contes légendaires, donnant à Samaël le gout pour l’aventure. Maintenant les leçons du maître l’ennuyait ; il ne voulait plus lire les aventures des autres, il voulait les vivre !

Samaël observa pour la première fois le vieil homme attentivement et s’aperçut qu’il était plus difficile de deviner son âge qu’il avait initialement imaginé. Était-il vraiment vieux ou simplement chauve et ennuyeux ? En fait, que savait-il vraiment sur cet homme si ce n’est que le Maître, lui, s’avérait être une véritable mine d’information.

« Bien le bonjour, Altesse. » dit-il en penchant la tête.

« Bonjour, Maître. Que me vaut le plaisir de cette visite ? »

« Votre père m’a demandé de vous apporter un livre fascinant, qui me tient tout particulièrement à cœur… »

« Vous pouvez le poser sur mon bureau, merci. »

Pourquoi n’avait-il pas demandé à un de ses moines de le faire ? se demanda Samaël. Il voulait autre chose, certainement.

« Je me doute que le prince préférerait plutôt se détendre, profiter du beau temps, rejoindre ses amis en cette saison de vente. »

« C’est ce que les garçons de mon âge font, oui. Et me voilà, à devoir lire un livre fascinant. »

« Seulement, les garçons de votre âge ne sont pas tous prince. »

« Prince ou pas, je reste un enfant. Je n’ai que treize ans. »

« Vous devez être bien le seul à le dire. Les autres enfants n’aiment pas qu’on les appelle ainsi. »

« Ils ne doivent pas être très intelligent alors. »

Le maître s’esclaffa. Samaël ne saisissait toujours pas le but de sa visite. Il aurait aimé qu’il s’en aille et le laisse tranquille tant il n’était pas d’humeur pour une leçon aujourd’hui, ni jamais d’ailleurs.

« Vous pourriez demander à sortir accompagné de garde. Je suis certain que le roi n’y objectera pas. »

« C’est mal connaître mon père. »

Le maître s’assit devant lui.

« Qu’auriez-vous aimé faire, si vous étiez sortit ? »

Samaël jeta un œil dehors, écoutant au loin, le bruit de la foule, de carrosses et les sabots des chevaux claquant sur le sol.

« Parfois, j’aimerai simplement me balader, sentir l’aire frais, spontanément décider de regarder une pièce de théâtre, marcher entres les ruelles et aller où je le souhaite, sans avoir d’escorte sur mon dos, sans qu’on ne me reconnaisse ni qu’on me dise où je peux ou ne peux pas aller. »

« Être libre, alors. »

« Être quelqu’un d’autre. »

Samaël se leva et ferma la fenêtre, ne voulant plus entendre les bruits festifs de la cité. Il ferma les rideaux, obscurcissant à peine la chambre illuminée par toutes les autres immenses fenêtres. La pièce était disproportionnellement grande et lui paraissait paradoxalement vide malgré les meubles luxueux et les bibliothèques rempli de livre.

Le maître ouvrit la porte de la chambre et Samaël cru qu’il allait enfin s’en allait. Le moine se retourna et sourit.

« Les gardes sont en train de changer de tours. Vous devriez en profiter pour filer, Altesse. »

Le prince écarquilla les yeux, surpris par sa suggestion. C’est vrai que ce moment-là était idéal pour sortir du balcon et s’en aller. Dans la confusion, on ne s’apercevrait que tardivement de sa disparition.

« N’avez-vous pas peur de vous faire gronder par Père ? »

« Il n’y aura qu’à pas lui dire que j’étais complice. » lui dit-il avec un clin d’œil.

Samaël le dévisagea un moment, abasourdi.

« Merci. » marmonna-t-il, finalement.

Il mit hâtivement son manteau noir, releva sa capuche et sortit. Il escalada la rampe et descendit habilement jusqu’au sol, s’assurant qu’il n’y avait personne en bas. Le prince se faufila entre les foules de visiteurs et de servants, marchant d’un pas assuré. Il savait qu’on ne remarquait pas les gens qui semblaient savoir où ils allaient. Sans beaucoup d’effort, le fugitif parvint à sortir du château avant la fermeture du portail.

Le prince regarda autour de lui, un sourire éblouissant aux lèvres et s’élança dans l’allée. Samaël courait, sans but, sautant sur les boites remplies de légumes par terre, bousculant quelques personnes au passage.

Il s'arrêta sur Harenplaas, une des grandes places de la cité, où se tenait une pièce de théâtre. Le public était important en cette douce journée ensoleillé. Samaël se faufila entre la foule pour mieux apercevoir la scène. Sur son passage, il vola discrètement un verre d'élixir posé sur les tonneaux placés ici et là entre les spectateurs. Hilare, il continua sa progression entre la masse de gens et arriva sur une petite estrade où il voyait bien la pièce. Il prit une grosse gorgée de son verre et rit aux éclats aux blagues des acteurs. Samaël inspira profondément l’aire frais et les odeurs tantôt fétide par les excréments de chevaux, tantôt chargé des épices et bonnes herbes des restaurants environnant.

Il finit son verre et reprit sa balade dans les rues. Le prince s’arrêta net en apercevant des patrouilleurs tournant sur l’allée en face. Il rentra rapidement dans un magasin, faisant semblant d’être intéressé par les affreux habits vendus. Dès que les patrouilleurs passèrent devant le magasin, Samaël sortit et courut dans l’autre direction. Il crut entendre quelqu’un l’interpeller sur sa course et il accéléra d’autant plus la cadence. Il se retourna au bout d’un moment mais ne vit qu’un homme chauve en toge, se baissant pour ramasser quelque chose. Distrait, il ne prêta pas attention au filet de poisson étendu sur le sol. Il s’y prit les pieds et tomba, se blessant le genou.

Le prince sentit à peine la douleur et se releva rapidement. Il tourna la tête pour voir si quelqu’un le poursuivait, et continua sa route, loin du palais. Après quelques pas, il commença à sentir une gêne au genou et du ralentir la cadence. Mais il voulait continuer, ne voulant pas être rattrapé trop vite par les gardes. La douleur devint trop importante et Samaël fut contraint de s’arrêter après quelques pas. Il alla se cacher dans une impasse pour inspecter sa plaie. Il retira son manteau et eut un haut le cœur : du sang noirâtre sortait de son genou.

« Non, non, qu’est-ce que c’est que ça ! »

Il n’avait jamais vu autant de sang auparavant et certainement pas de cette couleur. Une véritable flac se forma.

« Comment… »

Le sang qui coulait devenait noir sous ses yeux. Sa respiration devint chaotique et son cœur battait la chamade. Il comprit que quelque chose de très grave était entrain de se produire, mais il n’avait plus la force de se relever.

« Poison… Du poison… »

Il sentait les gouttes de sueurs dégoulinaient sur son visage brulant. Sa vision se troubla peu à peu et il finit par perdre connaissance.

Samaël ignorait si ce qu’il ressentait, entendait et voyait n’était qu’un rêve fiévreux. Il était persuadé d’être endormi. Mais son esprit divaguait, il se sentait flottait sur un nuage. Qui était cette personne qui lui parlait ? Il ne reconnaissait pas cette voix féminine, douce et rassurante. Il ne put voir son visage clairement, incapable d’ouvrir les yeux. Son chant angélique lui fit presque oublier la douleur. Était-elle un ange ? Était-il mort ?

« Je…veux pas… veux pas mourir. » marmonna-t-il difficilement.

L’ange lui serra la main et déposa un baiser sur sa joue puis un paisible néant l’envahit.

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