16. Aravel

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Aravel parcourait les trois royaumes depuis plusieurs années, recherchant inlassablement la trace de l’être immortel dont avait parlé l’Oracle. Il n’avait pas la moindre idée ce qu’il cherchait exactement. Il ne savait pas à quoi s’attendre, ce qui rendait ses recherches particulièrement difficiles. Les mages, comme lui, avaient cette capacité particulière de pouvoir traquer les signes de Lunsor, l’intensité de celle-ci. Jusqu’à présent, Aravel n’avait rien trouvé de particulier. À maintes reprises, il avait pensé abandonner, mais il ne pouvait décemment pas retourner auprès des siens les mains vides. Beaucoup étaient déjà sceptiques et l’absence d’un quelconque signe n’aidait pas. Il devait trouver quelque chose qui prouverait l’existence de cet être immortel et la véracité de la prophétie.

Depuis sa visite chez l’Oracle, le mage avait laissé de côté la recherche d’informations sur l’Armée Noire et la Terreur Éternelle. Il ne comprenait en effet pas pourquoi l’oracle avait fait référence à une légende datant de plusieurs centaines d’années. Quel intérêt pour les enjeux d’aujourd’hui ? Ces questions demeuraient sans réponse.

Il finit par céder à la tentation d’en savoir plus lorsqu’il aperçut au loin la cité brumeuse de Yersinia, au sud-ouest du Royaume de Lyis. La cité était reconnaissable par sa muraille impressionnante, se confondant avec celle qui délimitait la frontière du Lyis avec ses voisins du sud. Il arriva près des portes énormes de la cité qui restaient presque toujours ouverte, avec peu ou pas de contrôle. C’était pourtant la deuxième plus grande cité du Royaume et sa situation frontalière au Brahaum faisait d’elle une cité commerciale majeur.

Yersinia était également connue pour ses nombreuses « Malin-kotob », soit Maisons littéraires en Lyis ancien. C’étaient des endroits où les amateurs de philosophie, d’histoire, de langues, d’art se rassemblaient pour discuter, échanger leurs idées ou simplement lire les nombreux ouvrages qui y étaient rassemblés. Ces maisons offraient un choix généreux de livre : des manuscrits récents et plus anciens, des domaines divers de connaissance scientifique comme littéraire, politique comme économique. On surnommait parfois Yersinia ‘la Cité des Érudits’.

Aravel entra dans la plus grande Malin-Kotob de la cité. Le bâtiment était certes vaste, mais ce n’était rien comparé à la Citadelle de Lyisstad. Il devrait se contenter de cela, la Citadelle étant totalement hors de portée.

Il se dirigea vers la pièce dédiée aux livres et à la lecture. L’endroit était calme. Étonnement, on n’entendait pas le bruit des discussions passionnés dans les autres pièces. Au vu de l’absence de symboles d’anti-Lunsor dans le bâtiment, le mage se doutait que le calme n’était pas tout à fait naturel.

Il parcourut les livres disposés sur les étagères, recherchant le thème qui l’intéressait. Il trouva enfin : « Légendes et cultures de Lunsor ». Il sélectionna quelques livres et alla s’assoir dans un endroit isolé. Il feuilleta le premier ouvrage mais s’aperçu qu’il n’y avait rien de pertinent à ses recherches. Le deuxième manuscrit s’avérait plus intéressant : « Légendes enfouis du Monde des Kaaïns ». Le manuscrit rassemblait la plupart des légendes connues sur l’Armée Noire et son roi. Il retranscrivait la version la plus commune de l’histoire :

« Autre fois, un Empereur régnait sur les trois royaumes de Menaskalig, le territoire des humains. Unifié, l’Empire était puissant et inviolable. En ces temps de prospérité, les humains étaient au pouvoir et cohabitaient en harmonie avec une espèce distincte appelée Kaaïn’Raye ou simplement Kaaïn. C’étaient des créatures de Lunsor, un pouvoir surnaturel dont on ne connaissait que peu de choses.

En l’an 550 AT, le roi Vengeur rassembla une armée de Kaaïns pour prendre le pouvoir. La guerre entre les humains et les créatures de lunsor fut sanglante. On tuait tous ceux qui osait se confronter à lui, même parmi les siens.

Le roi des morts, le roi Vengeur, était un être cruel et tyrannique qu’on disait Immortel. Certaines légendes racontent que son regard seul pouvait anéantir l’esprit d’un humain. »

Aravel connaissait ces récits-là qui n’avaient certainement rien ‘d’enfouis’. Pour son peuple, c’était leur Histoire ; celle d’un temps où les Kaaïns étaient rois. Les contes de son enfance racontaient que le roi Vengeur était appelé ainsi car c’était un être de Lunsor qui avant sa mort, avait été persécuté et humilié par des humains. Il avait été tué par l’un d’eux et était revenu d’entre les morts pour se venger. Là avait commencé l’éternel conflit entre les humains et les Kaaïns. Certaines communautés d’être de lunsor considéraient ce passé comme maudit, comme étant la cause de toutes leurs souffrances actuelles. L’histoire de l’Armée Noire était parfois enseignée aux enfants comme un exemple de ce qu’il pouvait arriver lorsqu’on perdait le contrôle de la Lunsor, lorsque la folie prenait la place de la raison. Aravel de son côté, restait beaucoup plus ambivalent sur le sujet ; il ignorait quelles parties des histoires qu’on racontait étaient réelles et lesquelles étaient inventées par les humains pour justifier leur persécution. Il continua sa lecture:

« Cinq ans après le début de la rébellion Kaaïn, la dernière impératrice de Menaskalig, Indra Yunkar, surnommée depuis l’Impératrice Déchue, fut assassinée par un de ses amants. C’était un Kaaïn puissant et mystérieux plus connu sous le nom du Prince aux Yeux de Glaces.

Les rares opposants du roi Vengeur étaient traqués, torturés et exécutés, qu'ils soient Kaaïns ou non. Les humains furent pourchassés et emprisonnés, la plupart réduit à l’esclavage. C’était le début d’un temps sombre dans l’Histoire de Menaskalig : le temps de la Terreur Éternelle.

Pendant plus de cinq cents ans, le roi régna, immortel, sur un empire plongé dans sa tyrannie. Des générations entières ne connurent rien d’autres que la Terreur, sans espoir d’un monde meilleur.

La puissance du roi Vengeur marqua à jamais les esprits par son pouvoir de contrôler les morts. Il leur redonnait vie, leur permettant de marcher parmi les vivants. Il avait ainsi créé une armée immortelle, sanguinaire, qu’aucune force ne pouvait briser : l’Armée Noire. Ses créatures le vénéraient, le considéraient comme un dieu. Le général de l’Armée Noire, le prince aux yeux de glaces, fut la première créature que le roi ramenait d’entre les morts. Peu de légendes s’accordent sur ce qu’il était, ce qu’il pouvait faire, si ce n’est qu’il dirigeait l’armée d’une main de fer. »

Aravel se souvenait des histoires que lui narrait sa mère sur le général de l’Armée Noire.

« On décrivait le prince aux yeux de glaces comme un être d’une beauté stupéfiante. C’est grâce à lui que le roi de l’Armée Noire a réussi à vaincre l’impératrice qui régnait sur les terres de Menaskalig à cette époque-là. Séduite par ses charmes, elle lui a offert sa confiance. Même les humains connaissent cette histoire. Celle de l’impératrice brisée par le prince aux yeux de glaces. Méfie-toi de la beauté, mon enfant. Elle peut être mortelle. »

En ce temps, lorsqu'Aravel n'était encore qu'un enfant, le prince avait été son premier fantasme de jeune garçon. Il tourna la page, un petit sourire aux lèvres, et continua sa lecture :

« Mais sa création la plus terrifiante était sans nul doute son dragon. Un animal assoiffé de sang, d’une cruauté sans pareille. Il prenait du plaisir à massacrer par millier. Il anéantissait des citées entières, se nourrissait de la chair et du sang des femmes, des hommes et des enfants. Certains disaient que même le roi le craignait. Il était incontrôlable. Une arme de pure destruction. »

Tout ceci n’était pas nouveau pour lui. Le livre ne lui avait apporté aucune information utile. Aravel prit un troisième manuscrit et feuilleta rapidement. Là encore, il trouva des légendes sur la Terreur Éternelle, des histoires sur la guerre mais rien sur l’origine du roi, de sa défaite. Et surtout, il ne comprenait toujours pas les paroles de l’oracle : ‘‘L’Armée Noire se réveille’’, mais comment ? Ils avaient disparu il y a plus de 900 ans et personne ne savait ce qu’il s’était passé. Certains racontaient que le roi avait été trahi par un des siens, d’autres qu’il s’était lui-même donné la mort, mettant fin à la guerre. Aravel avait toujours douté de la véracité de ces histoires pour une raison simple : comment un être toujours décrit comme étant immortel aurait pu mourir ? Où étaient passés son armée, ses commandants féroces et invincibles ? Même les livres d’histoires des humains ne l’expliquaient pas vraiment. Ça n’avait aucun sens.

Aravel ferma le livre. Il se leva et remis les manuscrits à leur place. Il perdait son temps. Il n’y avait pas de réponse dans le passé, dans les légendes, les contes pour enfant. Les réponses qu’il recherchait étaient dans le présent. Il devait trouver l’être qui pourrait les mener à leur victoire, à la fin de neuf siècles d’injustice.

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