24. Ayah

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« Toujours pas de travail. » dit-elle en voyant le regard plein d’espoir de Raven.

Ayah rentrait à peine d’une longue et interminable journée de recherche. La petite haussa les épaules et lui montra une baguette et du fromage.

« Volés, j’imagine ? » soupira Ayah.

« Ha ! Qu’est-ce que tu crois ? »

Elle pouvait à peine lui en vouloir : c’est vrai qu’elles n’avaient pas grand-chose à manger et le fromage était réellement délicieux. Elles dégustèrent toutes les deux leur maigre repas. Ayah observa la petite manger, une frustration brulante dans son cœur. Elles ne méritaient pas d’être dans une telle situation. Tout comme elle, Raven n’avait rien demandé d’autre que d’avoir une vie normale et sans histoire. Les voilà dans la rue, sans sous ni perspective d’avenir.

Dans cette nuit froide et pluvieuse, Raven s’était blottie contre elle sous la couverture volée. Ayah la prit dans ses bras pour la réchauffer, la réconfortait en chantant une comptine. Elle ne se rappelait que de certaines paroles, mais la mélodie était restée gravé dans sa mémoire. Ayah chantonnait jusqu'à ce que la petite s’endorme paisiblement dans ses bras. Elle regardait sa respiration ralentir et son petit corps se détendre à mesure qu’elle s’enfonçait dans le sommeil. Ayah, elle, ne ferma pas l’œil de la nuit, perpétuellement à l’affût d’une attaque.

Raven se réveilla soudain, le front transpirant, la respiration saccadée.

« Tout va bien ma grande, je suis là, je suis là. » murmura Ayah en déposant un baiser sur son front.

Elle lui donna une pomme qu’elle avait à côté.

« Tiens, mon frère me disait toujours que manger apaisait l’âme. »

La petite croqua avidement dans son fruit, les yeux encore à moitié fermés de sommeil.

« Je m’interrogeais… comment ça se fait que tu es toute seule ici ? Où sont tes parents ? »

Raven arrêta de mâcher sa pomme. Elle semblait se retenir de pleurer. Ayah regretta tout de suite sa question. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de demander une telle chose… Évidement que la réponse ne pouvait qu’être tragique.

« Ils ne sont plus là. »

Incertaine de la signification de ces mots, elle préféra tout de même ne pas ajouter plus de question. À sa surprise, Raven continua :

« Ils sont partis. Partis à l’Infinie Plaine. Je suis sûr qu’ils sont plus heureux là où ils sont. »

Un petit sourire triste se dessina sur ses lèvres, alors qu’une larme coulait sur sa joue.

« Ça fait longtemps ? » demanda Ayah, le cœur serré à l’idée qu’une innocente petite fille ait déjà vécu une telle tragédie. Le fantôme de son propre passé ne tarda pas refaire surface.

« Une dizaine de cycles lunaires. Je les entendais crier parfois dans la cellule à côté, puis une lune il n’y avait plus que le silence. »

L’évocation d’une cellule fit réagir tout son corps déjà tendu. Ayah inspira profondément pour chasser la nausée.

« Quel genre de Kaaïn es-tu ? » demanda la petite après un long silence.

« Je ne sais pas. Je ne sais rien sur les Kaaïns et la Lunsor… J’ai grandi avec des humains. »

« Oh non, ça devait être horrible ça ! Je suis désolée… » Elle renifla. « Comment ça se fait ? »

« Ma mère m’a abandonnée lorsque j’étais encore plus petite que toi. Le monde de la Lunsor m’est malheureusement bien inconnu. »

Raven la regarda d’un air interrogateur. Ayah aussi ne savait elle-même expliquer ce qu’il s’était passé et elle avait arrêté d’essayer de comprendre il y a bien longtemps.

« Et bien, je peux t’apprendre les quelques choses que je sais sur la Lunsor si tu veux ! » s’exclama l’enfant avec un grand sourire.

Son expression lui fit chaud au cœur.

« Dis-moi tout. »

« La Lunsor, la Lunsor… Que dire ! C’est super amusant, super utile, mais aussi un peu dangereux quand tu ne sais pas ce que tu fais ! » Elle s’esclaffa alors qu’un souvenir lui revint. « Une fois, j’ai vu Roni bruler ses cheveux alors qu’il essayait d’allumer une torche. »

« Ah… Malheureusement, je sais à quel point ça peut être dangereux. »

« Mais ce n’est pas toujours comme ça ! » continua Raven devant son air attristé. « Quand on est enfant c’est toujours plus compliqué. Ma cousine Fiona cassait toujours plein de choses quand elle utilisait sa Lunsor puis sa maman lui a appris comment faire et elle ne cassait plus rien après ça ! Et puis… Et puis il y a plein plein de type de Kaaïn qui ont des capacités toutes distinctes, puisant leurs pouvoirs de différentes sources de Lunsor. Mais la plupart sont comme moi et mes autres amis : des alunsi ».

« Alunsi ? »

« Des Kaaïns qui ne peuvent pas utiliser de Lunsor. »

Ayah l’écoutait, fascinée. C’était plus que ce qu’elle avait appris en vingt-trois ans d’existence.

« Comment se fait-il que vous ayez une aura alors ? »

« Bah, quelle question ! Ce n’est pas parce que nous ne pouvons pas l’utiliser qu’elle ne coule pas dans nos veines. C’est simplement que nous n’en avons pas assez. »

« Et quels types de Kaaïn connais-tu ? »

« Je connais juste les plus communs : il y a les mages, des Kaaïns puisant la Lunsor de puissants sorts très très anciens. J’ai entendu parler aussi des Enchanteurs, mais ma maman me disait qu’elle m’expliquerait ce qu’ils peuvent faire quand je serais plus grande… » Elle s’arrêta, pensive, puis continua : « Ah oui ! Il y a aussi les métamorphes qui se transforment en différents animaux à leur guise ! »

Raven croisa ses doigts entre eux formant un oiseau avec l’ombre de ses deux mains. Elle fit des bruits de mouette et imita le mouvement de leurs ailes. Ayah l’observa, un petit sourire aux lèvres. Au moins, elle avait réussi à lui faire oublier son cauchemar et ses parents.

Ayah se dirigea le lendemain vers une partie de la cité qu’elle n’avait pas encore exploré : le quartier nord-ouest. Ici, les maisons étaient plus grandes et leurs allées principales, encadrées de part et d’autre de statut en marbre blanc étincelant. Le Lancer, pourtant si couteux et rare, ornait les portails et les fenêtres de chaque façade. Elle remarqua une petite boutique, discrète, cachée entre deux énormes maisons en brique couleur crème. Elle entra et observa avec fascination, les nombreuses étagères, pleine de manuscrits et d’ouvrage divers. Les livres n’étaient cependant pas organisés, disposés aléatoirement sur les étagères. Une vieille dame sortit d’une pièce à l’arrière.

« Es-tu à la recherche d’un manuscrit en particulier, mon enfant ? » demanda-t-elle avec une voix douce en avança derrière son petit comptoir.

« Non madame. Je cherche un travail. Je vois que vous êtes seule ici. Je pourrais vous aider à organiser vos étagères, ça aidera à mieux vendre les livres. » Elle montra l’étage devant elle. « Je vois là qu’il y a des manuscrits de science à côté de livre d’histoire, de langues anciennes, sans ordre alphabétique. Je peux arranger ça. Je peux vous être très utiles, madame. »

La jeune fille avait dit tout ça avec douceur et politesse, un large sourire aux lèvres. Elle voulait paraître calme, mais la réalité était qu’elle espérait plus que tout obtenir un travail. A sa grande surprise, la libraire semblait réellement considérer sa demande. Elle jeta un coup d’œil sur son petit magasin, pensive.

« C’est vrai que c’est difficile de faire tout toute seule, surtout à mon âge. Je ne dirais pas non à un peu de rangement. Cependant, n’espère pas de moi beaucoup de pièces d’or »

« Non bien sûr ! Tout ce qu’il me faut c’est assez pour subvenir à mes besoins » répondit-elle, le regard rempli d’espoir.

La vieille dame acquiesça. Ayah voulait crier de joie mais s’efforça de se retenir pour ne pas effrayer la vieille dame.

« Très bien, comment t’appelles-tu mon enfant ? »

Elle se demanda un moment si elle devait mentir sur son nom. Puis elle se ravisa. À quoi bon ?

« Ayah. »

La vieille dame sourit.

« Quel joli prénom. Tu peux m’appeler Gilda. Bienvenue dans mon magasin »

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