29. Ayah

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Au loin, dans un ciel dégagé, une ombre planait dans le ciel. Était-ce un oiseau ? Ses ailes si claires se confondaient avec les quelques nuages blanc, majestueuses, battant élégamment dans les airs. Trop grandes pour un oiseau normal. Plus la créature s’approchait et plus une silhouette humaine se dessinait dans les cieux. Le soleil se couchait à l’horizon. Sa silhouette sombre se fondait dans le paysage de rêve devant elle, les chutes d’eau, le lac paisible et lui étendait ses ailes luminescentes par de la lunsor. Il perdait peu à peu de l’altitude alors qu’il descendait avec grâce vers elle. Elle n’arrivait pas à voir son visage au loin. Ayah tendit les mains, et soudain, la scène devant elle commença à se désintégrer morceau par morceau. Que se passait-il ? De ce spectacle fabuleux ne restait bientôt plus que le néant. Elle s’aperçut peu à peu de l’humidité ambiante, reconnu la puanteur autour d’elle et sut d’un coup où elle se trouvait. Un sentiment d’horreur l’envahie. Elle entendit au loin, l’échos de ses propres cris...

Ayah se réveilla en sursaut. Son cœur menaçait de sortir de sa cage thoracique. Ce n’était qu’un rêve, mais elle tremblait encore. Elle était accroupie dans la Citadelle, un livre entre les mains.

« Sans doute, aurais-tu besoin d’un peu de repos, mon enfant. »

Elle se retourna pour voir le vieil homme qu’elle avait rencontré la dernière fois. Il lui souriait, chaleureusement.

« Les livres ne vont pas disparaître, je peux te l’assurer » continua-t-il. « Viens avec moi, c’est l’heure du petit déjeuner. ».

« Oh… merci. »

Elle se leva prudemment, encore étourdie par son cauchemar, et rangea le livre dans l’étagère où elle l’avait trouvé ; « Dragons et autres créatures présumées du Voile des âmes perdues », puis suivit le vieil homme.

Ils gravirent des dizaines et des dizaines de marches. Elle perdit le compte au bout de la cinquantième, trop occupé à essayer de reprendre son souffle. En jetant un œil par les petites fenêtres sur son passage, elle comprit qu’elle se trouvait dans la tour qu’on pouvait apercevoir au loin en arrivant à Lyisstad, la fameuse Tour de glace. Même de l’intérieur, ce bâtiment semblait ne pas avoir de fin. Elle se demanda alors si ce vieil homme n’était pas en fait le Maître de la Citadelle.

Ayah avait lu beaucoup de choses sur cet endroit. La Citadelle faisait partie de tant de légendes. On disait qu’elle était là lorsqu’il y avait encore deux lunes dans le ciel. Certains manuscrits lui donnaient une origine bien plus ancienne encore, affirmant qu’elle était là à la naissance du premier Empire unifié de Menaskalig, des millénaires avant le Traité de la Paix.

Arrivé enfin au bout des marches de la tour, le vieil homme ouvrit une large porte et entra. Ayah était essoufflée mais lui ne semblait nullement affecté par ce long périple. Elle le suivit et y découvrit une grande pièce, simple. Il y avait là une table de travail, une ancienne cheminée, une petite armoire avec plusieurs étagères sur lesquelles de nombreux manuscrits étaient rangés. Sur la table, un repas chaud les attendait.

Le vieil homme lui fit signe de s’asseoir et elle obéit en le remerciant. Ayah patienta que le vieil homme commence à manger avant de le suivre par politesse. Gilda lui avait appris qu’il fallait toujours attendre que le maître des lieux commence le repas. Il constata ce qu’elle faisait et demanda :

« Mais que vois-je là, je ne savais pas que tu étais d’une noble famille. D’où viens-tu mon enfant ? »

Sa question la prise de court. Elle ne comprenait pas tout à fait ce qu’il entendait par « noble famille ». Que pouvait-elle répondre ? La fugitive ne pouvait certainement pas dire la vérité, il fallait qu’elle invente quelque chose.

« Je me suis enfuie de chez moi. Ma famille ne me traitait … pas bien. Je... je viens de loin. »

Le moine la regardait avec tristesse.

« Du Brahaum je présume ? Territoire de sauvage … »

Qu’avait-elle appris sur le Brahaum depuis ce que lui avait raconté Gilda ? Elle tenta de se remémorer ce qu’elle avait lu sur ce royaume. Elle savait que la reine du Brahaum avait été invitée quelques années auparavant par le roi de Lyis et était décrite comme intimidante, agressive et vulgaire.

« Pauvre enfant, je comprends mieux. Tu as bien fait de t’enfuir de la violence et la famine. Ici, dans ce temple sacré, tu es en sécurité et personne ne te fera du mal. »

Ayah acquiesça simplement. Ils mangèrent silencieusement leur repas pendant un moment.

« Puis-je vous poser une question ? »

Il fit un geste de la tête lui indiquant de procéder.

« Les dragons… ont-ils vraiment existé ? Ils sont cités tantôt dans des passages historiques, tantôt dans des récits mythologiques. »

Le maître acquiesça et finit de mâcher ce qu’il avait en bouche avant de répondre.

« Dis-moi Ayah, quelle est la différence entre l’Histoire et les mythes ? »

« Facile : l’Histoire est réelle, elle raconte les évènements de notre passé, lointain ou récent. Les mythes sont des contes inventés, qu’on raconte aux enfants pour leur faire peur, ou les endormir. »

« Et quelle preuve avons-nous de la réalité d’un événement historique ? »

Ayah réfléchit. Elle pensait savoir où il voulait en venir.

« On a des témoins qui ont vécu la chose, qui relatent des évènements passés. Ainsi, plus il y a de sources concordantes, plus il est probable que l’évènement se soit vraiment déroulé. Les mythes varient, les histoires ne sont jamais exactement les mêmes et personne ne peut dire avec certitude et avec preuve que leur croyance est vraie. Ce n’est pas le but : c’est du domaine de la foi et des croyances. »

Le maître sourit.

« Sais-tu qu’il y a plus de récits témoignant de certains mythes que de la guerre des 10000 âmes par exemple ? »

Ayah le regarda, ébahit. On disait que des dizaines de milliers de soldats avaient péri dans cette guerre sanglante entre le Lyis et le Cricks datant d’il y a moins de quarante ans. Beaucoup de famille y avaient perdu des proches. La guerre avait été si destructrice que le Traité de la Paix a failli être brisé à ce moment-là. Mais aucun territoire n’avait été conquis et le Traité demeurait inviolé.

« Êtes-vous en train de me dire qu’il faudrait croire aux mythes ? »

« Non. Ce que je veux dire c’est que la frontière entre un évènement historique et mythologique est bien plus floue qu’elle n’y paraît. Et pour te répondre concernant les dragons, de nombreux récits et témoignages rapportent des rencontres avec de créatures nommées dragons. Cependant, peu s’accordent sur l’apparence de ceux-ci. Beaucoup décrivent des créatures énormes, avec des ailes majestueuses, puissantes. Ils seraient monstrueux, certains capables de cracher du feu. Ces dragons seraient indomptables et sanguinaires. Ils ressembleraient à des serpents, des reptiles. » Il s’interrompu pour boire son thé et reprit. « Certains cependant, décrivent de simples oiseaux de feu, des phénix, guère plus grand que les oiseaux que nous connaissons. »

« Fascinant… » répliqua-t-elle. « J’ai lu tout à l’heure une version qui racontait qu’il n’y avait pas « des » dragons mais seulement « un » dragon et celui-ci n’était qu’un homme, comme nous, à qui l’on avait arraché sa bien aimé. Il aurait perdu la tête après son meurtre, et aurait brûlé toute la cité dans laquelle ils vivaient avant de périr dans ses propres flammes.

« Ah, les sombres contes des créatures du Voile. »

« Laquelle est la vraie histoire ? »

« Qui sait… il se pourrait que toutes ses versions soient inventées de toutes pièces, ou encore qu’elles possèdent toutes une part de vérité. De nombreux Feis Nona ont pour tâche de tenter de déceler le vrai du faux dans les mythes et les légendes. Ils rassemblent les informations de nombreux manuscrits, essayant de garder celles qui semblent concorder. C’est un travail très difficile. Finalement, on ne saura jamais avec certitude ce qui est vrai et ce qui a été modifié avec le temps. »

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