33. Ayah

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Ayah se réveilla en sursaut : une sensation de brûlure l’avait tirée de son sommeil. Elle tata son cou, ses bras, cherchant la source, en vain. La douleur s’était évaporée. Ce n’était qu’un énième cauchemar, une énième torture. Ce rêve-là avait pourtant paru si réel. Elle agrippa sa petite rose frénétiquement, et souffla profondément.

« Tu es libre. Tu es en sécurité. Libre. Sécurité. »

Ayah se leva et se dirigea vers la fenêtre ouverte de sa nouvelle chambre. Elle s’accommodait petit à petit à cette nouvelle vie ; elle avait maintenant une vraie pièce rien que pour elle, confortable, avec un lit doux. Une brise fraîche caressa ses cheveux alors qu’elle contemplait la cité endormie par sa fenêtre. Elle ferma les yeux.

« Tu es en vie, saine et sauve. Tu n’as plus rien à craindre. »

Ses pensées allèrent vers Raven et la culpabilité la frappa de plein fouet. Ayah était là, profitant de ce nouveau confort pendant que sa petite protégée dormait toujours dehors dans le froid et la pluie. Elle continuait évidemment à lui donner de l’argent toutes les lunes mais elle ne pouvait la laisser dans la rue plus longtemps. Elle pourrait l’accueillir ici, sans que le Maître ne le sache. Mais comment faire ? Les Feis Nona étaient partout.

« Ils sont partout dans la citadelle, sauf la nuit. » se dit-elle.

C’est vrai, c’était le meilleur moment pour circuler librement dans les couloirs. Alors, sans tarder, elle s’habilla rapidement et sortit.

Elle se dirigea précipitamment vers la cabane, où elle trouva Raven et plusieurs autres enfants endormis.

« Raven. »

Celle-ci ouvrit les yeux, encore confuse de sommeil.

« Hmm ? »

« Raven, c’est Ayah. Réveille-toi. On doit y aller. »

« Ayah !? »

Raven se redressa doucement encore à moitié endormie.

« Prends tes affaires, on va y aller. »

« Aller où ? »

« Tu ne peux pas rester ici à dormir sur le sol dans le froid toutes les lunes. »

« Mais… et les autres ? Roni, et Lisa, et Faël et… »

« Je trouverai une solution pour eux après. Aller, viens. »

Raven prit son jeu de carte incomplet et les quelques vêtements qu’elle avait. Elles repartirent toutes les deux vers la Citadelle. Ayah entra le plus discrètement qu’elle put, s’assurant d’abord qu’aucun Feis Nona ne surveillait la porte, et rapidement, elles se faufilèrent à l’intérieur. Elles grimpèrent les escaliers jusqu’à sa chambre, essayant de faire le moins de bruit possible. Même leurs respirations lui semblaient assourdissantes dans cette Citadelle totalement silencieuse.

Enfin, elles arrivèrent dans la chambre sans croiser personne. Ayah s’empressa de fermer la porte derrière et souffla. Raven voulu sauter de joie mais elle l’arrêta avant qu’elle ne fasse trop de bruit.

« Tu n’es pas censé être ici, d’accord ? » murmura Ayah. « Alors pas de bruit, pas de mouvement brusque… surtout pas la nuit. »

Raven acquiesça vivement. Elle contempla émerveillée la chambre pourtant petite et simple. Mais Ayah savait parfaitement ce qu’elle voyait là : un véritable refuge entre quatre murs qui tenaient debout, sans fissures, sans ruissèlement d’eau du plafond, sans humidité ni crasse. La petite s’approcha et l’enlaça fort, la prenant par surprise.

« Merci. » chuchota-t-elle.

Elle se mirent toutes les deux dans le lit à peine assez grand pour une personne.

« Par l’aura… Que c’est doux ! » chuchota Raven, essayant de cacher son excitation.

Ayah sourit. A peine avait-elle posé sa tête sur l’oreiller, que Raven s’était déjà endormie. Ayah resta de longues heures éveillée, observant la petite, ne regrettant pas une seconde sa décision impulsive. Elle n’avait plus qu’à espérer que le maître ne s’en aperçoive pas. Après de longues heures à ruminer, elle finit par s’endormir.

Ayah retourna dans sa chambre après une journée entière à traduire le journal. Elle entra et trouva Raven visiblement concentrée sur un jeu qu’elle avait inventé. Par chance, personne n’avait remarqué sa présence depuis qu’elle l’avait ramené avec elle quelques lunes plus tôt. Raven avait pris l’habitude de sortir tôt le matin avant le réveil des autres et de rentrer tard le soir lorsque tous les Feis Nona allaient se coucher.

« Tu ne vas pas croire ce que j’ai entendu ce matin. » déclara Ayah en fermant derrière elle.

« Hmm ? »

« Le Maître de la Citadelle a un rendez-vous demain au Chateau Royal. »

« Hmm ? »

Ayah s’étonna devant le manque d’intérêt visible de Raven.

« Il va aller au Château royal, probablement rencontrer le roi, le prince, tous ces gens importants ! »

« J’imagine que c’est ce qu’un Maître de la Citadelle fait ? »

« Mais… tu ne comprends pas ! Imagine… si je lui demandais de l’accompagner ? »

Raven leva enfin les yeux de son jeu.

« Pourquoi accepterait-il ? »

« Ah, je ne sais pas, je ne sais pas… Tu as raison, il n’a aucune raison d’accepter. Je ne suis pas une Feis Nona, ma présence serait suspecte. » Ayah s’assit près d’elle, découragée. « J’ai toujours voulu voir le château, visiter les beaux jardins… J’ai toujours rêvé de rencontrer les puissants de ce Royaume… »

« Alors demande-lui quand même. »

Ayah la regarda, les yeux ronds. Tout lui semblait toujours simple, comme la fois où Raven lui avait expliquée qu’elle avait trouvé un moyen rapide d’obtenir du lait sans payer qui s’était finalement avéré être des produits périmés d’une taverne de l’est.

« Quoi ? Mais comment pourrais-je le justifier ? »

« En lui disant ce que tu viens de me dire. »

« Mais… »

« Qu’est-ce que tu perds ? Au pire, il dira non. » répliqua-t-elle en haussant les épaules.

« Au pire... »

C’était l’argument de choc de Raven. C’est ainsi qu’elle avait réussi à mendier tant de pièces d’or depuis son arrivé à Lyisstad, chose qu’Ayah n’avait jamais osé faire ; par fierté et par peur du refus.

« Tu as raison. Au pire il dira non. »

Elle se leva et sortit précipitamment de la chambre. Elle gravit les centaines de marches de la tour de la Citadelle, sans se fatiguer, portée par son excitation. Ayah arriva devant les chambres du Maitre et dut s’efforcer de ne pas frapper violement à la porte. Elle inspira profondément et serra les poings.

« Au pire, il dira non. Au pire… »

Elle toqua calmement, sentant ses muscles se crisper. Elle savait qu’il était là. Celui-ci ouvrit à la porte et l’invita à l’intérieur.

« Que puis-je faire pour toi ? » demanda-t-il gentiment.

Ayah hocha la tête et se racla la gorge.

« Je sais que ce n’est pas ma place, que ça ne fait pas partie de mon contrat mais je vous avoue que ma curiosité l’emporte souvent… »

Elle s’interrompit, hésitante. Elle ne savait pas très bien comment formuler sa demande.

« Qu’y a-t’il donc ? »

« Puis-je vous accompagner lors de votre visite au château royal à la prochaine lune ? J’ai toujours voulu voir le palais, depuis toute petite. »

Le maître haussa les sourcils. Il lança un regard vers la fenêtre ; de celle-ci on pouvait voir presque toute la cité, le château également.

« Hmm… j’aurai une réunion importante au quelle tu ne pourras pas assister. Mais à part cela, je ne pense pas que ce sera un problème de m’accompagner. »

Ayah écarquilla les yeux et baissa la tête pour cacher sa joie comme elle le pouvait. Elle marmonna des remerciements et quitta la pièce. Elle n’y croyait pas. À la prochaine lune, elle allait gravir les marches du palais ! Elle sentit son cœur s’accélérer. Elle prenait un risque insensé : le château était gardé par de nombreux chevaliers et Patrouilleurs. Au moindre faux pas, ce serait fini pour elle. Mais avec le Maître de la Citadelle à ses côtés, elle n’avait pas de raison de s’inquiéter. Elle allait simplement se faire discrète et réaliser un de ses rêves.

Elle informa immédiatement Raven et toutes les deux crièrent silencieusement de joie.

« Tu sais, je me rappelle comme si c’était hier de la première fois que j’ai aperçu le château. Je devais avoir ton âge, je pense ? Mais le souvenir est encore gravé dans ma mémoire : celles de ces portes géantes en dorure qui semblaient s’ouvrir toute seule au passage des carrosses. Et cette architecture grandiose, les bâtiments parfaitement symétriques, les statues sublimes, les jardins d’une beauté à couper le souffle… C’était la chose la plus merveilleuse que j’avais vu de ma vie. »

« Et maintenant, tu vas traverser ces portes géantes et réaliser ton rêve. »

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