66. Doumah, Royaume du Cricks

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Ofelia retourna de son voyage et arriva enfin sur sa terre natale. Bientôt elle pouvait apercevoir sa cité, et la forteresse qui culminait au-dessus des roches. Elle remercia les dieux pour son voyage qui avait été fructueux : Ali était un homme plein de ressources qui pourrait certainement l’aider. Il ne demandait rien d’autre que de l’or. Et ça, elle en avait largement assez. Elle avait de l’espoir.

Elle entra dans le domaine du château et remarqua tout de suite que quelque chose n’allait pas : aucun garde ne protégeait l’entrée, personne n’était là pour l’accueillir. S'avançant dans la cour principale du château, tout semblait calme. Elle gravit les marches et entra dans le palais. Personne n’était dans les halls d’entrés.

Il n’y avait qu’une chose qui pouvait expliquer cela : Le Roi était mort.

Elle accourut vers ses chambres et vit un attroupement autour de la porte. Les gardes, les domestiques, leurs amis, tout le monde était là, en larme. Lorsqu’ils l’aperçurent, ils s’écartèrent pour lui laisser le passage. Elle entra dans la chambre. On avait ouvert les rideaux : de la lumière pénétrait dans la pièce et un rayon de soleil finissait sa course sur le lit du Roi. Gödrik était là, le guérisseur et les conseillers aussi. Elle s’approcha et aperçut le visage livide de son mari. Sa peau était presque entièrement recouverte de tâches noires, on pouvait voir ses veines sombres en dessous de la peau, sur tout son corps. Il ne bougeait pas, ne respirait pas. Ses paupières étaient fermées. Son visage semblait paisible.

Ofelia s’assit à son chevet. Elle n’entendait pas ce que les autres lui disaient. Probablement qu’il priait pour son âme, qu’ils évoquaient les dieux et leur royaume éternel. Mais elle n’entendait rien. Elle avait les yeux rivés sur lui. Elle prit sa main, frêle, presque entièrement noire, et serra. Une larme coula sur son visage dénué d’expression. Elle aurait dû ressentir quelque chose, mais elle se sentait vide. Elle déposa un baiser sur son front et quitta la pièce.

L’annonce de la mort du Roi ne tarda pas. S’en suivit sept lunes de deuil dans tout le royaume. Puis arriva le couronnement d’Ofelia. Un Roi est mort, un autre prend sa place. C’était la tradition. Elle avait demandé officiellement qu’on trouve le coupable de l’empoisonnement de son mari. Des gardes, des soldats et des mercenaires avaient été appelés. Mais elle se doutait qu’ils ne découvriraient rien. Le prince Gödrik ne laisserait certainement pas de trace. Elle ne savait plus quoi faire. Il fallait absolument qu’elle demande conseil à quelqu’un en qui elle avait confiance, quelqu’un à qui elle pouvait tout révéler.

Quelques lunes plus tard, elle demanda à Enzo, un des conseillers proches de son défunt époux, de venir à ses chambres. C'était un professeur dans leur prestigieuse Académie d’Histoire et un homme plein de ressources. Surtout, elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance, connaissant personnellement sa famille. Son père, un vieil ami de ses parents, était récemment mort, assassiné par des impurs. Ofelia avait assisté à son enterrement, la boule au ventre. Des rumeurs couraient que les impurs n’étaient pas derrière son assassinat, mais que de riches et puissants marchands de la cité de Myriat avaient tout orchestré. Le père d’Enzo était en effet un des sept puissants dirigeants de cette cité riche du royaume. Ofelia lui avait promis depuis, que justice serait faite.

Enzo entra dans le hall de sa chambre où elle l’attendait derrière son bureau. C’était un jeune homme d’une trentaine d’année. Il était tout aussi charmant que son père malgré un nez proéminant.

« Madame, tu as demandé à me voir ? » dit-il, un sourire poli aux lèvres.

Ofélia acquiesça et lui indiqua de s’asseoir devant elle.

« Enzo, j’ai quelque chose de très important à te confier. »

Enzo fronça les sourcils, l’écoutant attentivement.

« Seulement, je veux que tu me promettes une chose, au nom de l’amitié avec ta famille, que ce que je m’apprête à te dire restera un secret que tu garderas précieusement jusqu'à ma mort, suis-je clair ? »

Enzo acquiesça et elle lui raconta tout ce qu’elle savait.

Les semaines passaient, et la crainte de la reine ne cessait de grandir. Elle savait que quelque chose se préparait. Elle ne faisait pas confiance en ses conseillers mise à part Enzo mais elle savait que celui-ci ne pouvait rien faire sans preuves. Elle s’était aperçue depuis l’empoisonnement de son époux, qu’elle n’avait pas vraiment d’alliés dans son propre royaume. Elle était isolée. Trop longtemps était-elle restée dans l’ombre de son défunt époux, dans le confort de sa position. Trop longtemps, avait-elle cru que rien ne lui arriverait, qu’ils étaient intouchables. Elle ne s’était jamais imaginée sur le trône. Elle ne voulait pas de ce pouvoir, elle n’en avait jamais voulu. Tout ce qu’elle désirait c’était avoir une vie heureuse avec son époux et ses deux fils. Une famille unie. Tout avait commencé à s’effondrer à la mort de ses enfants. Depuis, plus rien n’avait plus jamais été comme avant.

A son grand désarroi, depuis sa visite à la cité royale de Lyisstad, Ali n’avait pas donné de nouvelle.

Un matin, Ofelia fut réveillée par des bruits de pas précipités dans tout le château. Elle sortit de sa chambre. Les gardes l’informèrent que les conseillers et le prince étaient dans la salle de commandement, la salle où ils se réunissaient tous pour prendre les décisions importantes pour le royaume. Elle n’avait pourtant pas demandé de réunion. Que se passait-il ?

Elle se dirigea vers la salle, précipitamment. Elle entra et vit le prince assit à sa place et les conseillers autour de lui. Elle remarqua que Maya, sa compagne, ainsi que des personnes qu’elle n’avait jamais vues avant : il y avait ainsi une dame assez âgée aux cheveux grisonnant, une autre femme plus jeune d’une beauté déconcertante, un homme d’une taille presque inhumaine, la carrure d’un ours et enfin elle reconnut Dali, son plus proche conseiller.

« Ces personnes ne sont pas autorisées à être ici » affirma la reine en pointant du doigt Maya et ses proches.

Tout le monde était silencieux. Chacun se regardait, attendant qu’un autre s’exprime à leur place. La jeune femme prit la parole :

« Après votre ordre de chercher le coupable de l’empoisonnement du Roi, toutes les pièces du domaine royale ont été méticuleusement fouillées. Des gardes ont retrouvé ce matin un sac avec une poudre noire suspecte. »

Ofelia la dévisagea, le regard plein de méfiance. De quoi parlait-elle ?

« On a pu identifier la poudre comme étant de la Morodora. Le sac a été retrouvé dans les écuries du château. Plus précisément, dans vos écuries personnelles. »

La reine se figea. Bien sur. Elle comprit enfin ce qu’il se passait.

« Comme vous le savez mieux que nous tous, personne n’a accès à ses écuries si ce n’est vous. » répliqua Maya cette fois-ci. « Et comme peut l’attester Lucrezia et les gardes qui étaient avec elle, Les portes des écuries étaient parfaitement intactes, inaccessibles. Il n’y avait aucun signe d’intrusion. Vous n’avez jamais autorisé quiconque à entrer jusqu’à la très récente demande des gardes pour compléter leur recherche. Il est ainsi naturel d’écarter toute suspicion d’une tierce personne ayant pu déposer le sac dans les écuries. »

Ofélia était abasourdie. Elle observa Gödrik.

« Comment as-tu fait ? Comment ? C’est impossible » lui demanda-t-elle, la voix tremblante.

Gödrik pencha la tête et fronça les sourcils, l’air de ne pas comprendre.

« Es-tu en train d’insinuer que j’aurais tué mon propre père ? Es-tu en train de dire que je suis miraculeusement parvenu à ouvrir la porte de tes écuries si bien gardées, sans que personne de tes propres gardes ne m’ait vu, et que je suis entré sans laisser de trace puis que j’ai y déposé le sac ? Tu le confirmes toi-même : personne ne peut rentrer dans ces écuries. Les choses semblent pour moi très simple à comprendre. Le poison a été retrouvé caché dans un endroit où seul toi peut accéder, ton motif est évident : prendre le pouvoir. C’est fini Ofelia. Gardes, emmenez-la. »

Deux hommes surgirent derrière elle et l’empoignèrent. Ofelia était toujours sous le choc. Elle ne dit rien, se contentant d’accepter son destin. Elle lança un dernier regard vers Enzo avant de quitter la pièce. Celui-ci était impassible. Il ne pouvait rien faire pour l’aider sans lui-même passer pour un traitre.

Il n’y eut pas de procès. Il n’y en avait pas besoin. Les preuves étaient accablantes. Elle fut condamnée de trahison, de régicide. La sentence était la pendaison. Tout se passa très vite. On l’emmena à la place principale de la cité, là où les criminels et les impurs étaient habituellement exécutés.

La place était noire de monde : tous les habitants de la cité étaient là. Des habitants d’autres villages, d’autres cités étaient venues pour assister à la pendaison de la reine. La reine qui avait tué ce Roi qu’ils aimaient tant. Le bruit était assourdissant. Les gens hurlaient, jetaient des pierres sur elle. Ils étaient tous enragés. Mais elle ne ressentait rien. Elle n’entendait pas leur mot.

On l’emmena sur l’estrade où elle allait bientôt mourir. En face, elle vit le prince et ses proches. Elle ne le lâcha pas du regard, les yeux étaient plein de haines et de rancœur. Le bourreau demanda le silence pour qu’elle puisse s’exprimer :

« Ton heure arrivera, Gödrik, et les anges viendront pour toi. Sois en certain, imposteur, ta punition sera éternelle. »

On lui passa le nœud autour de son cou. Elle ferma les yeux et accueillit l’Ange de la mort, les bras grands ouverts.

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