67. Lucrezia

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An 914 PTP

Peu après son couronnement, le Roi Godrik avait décidé d’aller personnellement visiter chacune des Six principales cités du Royaume, accompagné par une dizaine de chevaliers dont ses plus proches conseillers : Winslow, Aksil, Dali et elle-même.

Ils avaient ainsi commencé par visiter Gurad aussi surnommée la cité « Pali » ; la cité de pécheur en Galéein, la langue du royaume. Lucrezia avait apprsi, en déambulant dans les ruelles de la cité, que c’était la principale source de poissons et de fruits de mer du Cricks. Fort désintéressée par ses habitants modestes et sans le sou, Lucrezia n’avait pas cherché à rencontrer plus de personne de la cité. À sa grande satisfaction, Godrik ne désirait y rester que quelques lunes avant de se rendre à Tyr, une cité frontalière au nord du royaume.

Ils arrivèrent enfin à Tyr. La discussion avec le commandant de la cité ne fut cependant pas des plus plaisantes. Le commandant exprimait sans gêne ses doutes sur la capacité de Godrik à régner. Lucrezia fut surprise que celui-ci permette un tel manque de respect, mais elle avait remarqué à quel point il manœuvrait prudemment dans ce royaume, dans les terres des humains. La raison de sa prudence lui échappait totalement.

Si la rencontre avec le dirigeant de la cité fut désagréable, la visite de la cité elle, la surprit. Tyr était une cité verdoyante, entourée de forêt et de pelouse fraichement coupée partout où elle allait. Lucrezia s’était habituée à l’immense désert invivable du Cricks, qui s’étendait sur la majorité du royaume. Ici, le climat plus tempéré du Lyis était palpable. Le royaume au nord était après tout, à seulement quelques centaines de pas.

Du haut de la tour du Temple de Tyr, Lucrezia pouvait apercevoir le mur séparant le Lyis de ses royaumes voisins. Elle sourit. S’ils croient qu’un mur suffira à les protéger de ce qu’ils les attendaient…

« Madame, tu n’as pas le droit d’être ici. » Entendit-elle derrière elle.

Lucrezia se retourna et vit un des moines du temple, un Nébu comme ils l’appelaient ici. Elle avait appris récemment que cela signifiait ‘‘Homme de la Foi’’ en galéein. Il avala difficilement sa salive en croisant son regard. Elle savait quel effet elle faisait à ces pauvres humains ignorants et elle ne pouvait s’empêcher de se délecter de la vague d’émotion conflictuelle de désir et de honte émanant de lui. Elle s’approcha, invoquant une légère brise de lunsor qu’elle dirigea vers l’homme. Celui-ci écarquilla les yeux, incapable de détourner le regard.

« Qu’as-tu dit ? »

L’homme baissa la tête, désormais incapable de maintenir son regard.

« Je n’ai rien… Le dernier étage du Temple des… des Anges Célestes n’est pas ouvert à tous les croyants. »

Elle fit un nouveau pas vers lui, le fixant du regard. Elle voyait ses mains trembler à mesure qu’elle s’approchait. Il continua, la voix se brisant :

« Le dernier étage n’est ouvert qu’aux Anges Célestes… mais nous ferons une exception pour toi, madame. »

Elle grimaça en l’entendant la tutoyer. C’était une chose qu’elle détestait des gens du Cricks ; le vouvoiement n’existant pas dans leur langue.

« Altesse. » corrigea-t-elle.

Elle fit un petit mouvement de sa main et l’homme se pencha comme pour se prosterner. Elle avait l’impression qu’il allait éclater en sanglots à tout moment. Elle sourit.

« Altesse. » répéta-t-il en baissant la tête.

« Voilà qui est bien mieux. Quel dommage qu’il faille effacer ta mémoire maintenant... »

Elle soupira et relâcha une onde puissante de Lunsor faisant tomber le Nébu à la renverse. Elle jeta un dernier coup d’œil à la vue devant elle, mais il avait gâché son moment. Lucrezia se retourna et quitta le batiment. En sortant, elle vit un grand groupe entrer dans le Temple. Il y avait toujours tant de monde qui allait et venait. Les choses allaient sans doute finir par s’enflammer dans ce royaume si croyant. Lucrezia se demandait ce que Godrik ferait de ces lieux de culte païen, sachant son mépris pour toute sorte d’organisation religieuse. En tout cas celles qu’il ne contrôlait pas…

Ils se dirigeaient désormais plus au sud, vers Shir Kuh, une cité historique, qu'on disait être la plus ancienne du royaume, avec Doumah. Ils y restèrent quelque temps, profitant du climat tempéré, de la beauté de cette cité légendaire au bord du Lac Maudit. Le convoi royal logeait dans la maison du chef de la cité, le commandant Ronin Marlo. Godrik et lui avaient longuement discuté de la situation de la cité, de la richesse qu’elle possédait : des mines de pierres précieuses étaient situées non loin de là, près du lac. Lucrezia avait remarqué l’attitude plutôt positive du commandant envers Godrik, contrairement aux précédents chefs de cité qu’ils avaient rencontrés. Heureusement que tous n’étaient pas aussi stupide.

Le soir, Lucrezia entra dans la chambre de Gödrik. Discuter avec lui lui manquait, comme tant d’autres choses… Remarquant sa bonne humeur cette lune-là, elle avait décidé que ce serait le bon moment pour se glisser dans sa chambre.

La belle Enchanteresse aperçut Godrik dehors sur sa terrasse, prenant l’air. Elle s’arrêta pour contempler cet homme qui la terrifiait mais qu’elle admirait en même temps. L’appeler homme était une insulte. Il n’avait rien d’humain. Gödrik était l’incarnation de la puissance sur terre. Sa beauté n’était pas tant dans ses traits, qui étaient plutôt banals à dire vrai, mais vraiment dans sa présence et son aura. Il y avait quelque chose dans son simple regard qui inspirait le respect.

« On profite de la vue à ce que je vois, majesté » dit-elle, tout sourire.

Lucrezia le rejoignit et observa le paisible paysage devant elle : le lac s’étendait à perte de vue, entouré de hauts arbres rouges fleuris en cette saison des Couleurs. Elle redoutait déjà l’arrivée proche de la saison du Soleil. Il faisait atrocement chaud à Doumah en cette période. Lucrezia remarqua autour de la cité les vestiges d’un ancien mur détruit.

« N’est-ce pas merveilleux ? » dit-il en indiquant le paysage de Shir Kuh.

Elle s’approcha et s’accouda à la rampe du balcon, touchant son bras. Elle ne pouvait s’empêcher de s’approcher dangereusement de lui ainsi. Son aura vibrant de puissance agissait comme un aimant sur elle, pourtant elle était censée faire cet effet aux autres. En tant qu’Enchanteresse, elle n’avait pas l’habitude d’être aisément impressionné par les autres.

« Pardonnez-moi de vous contre dire, majesté, mais je trouve le Lac de Borelis, au pied des cascades de Kigenart, bien plus impressionnant. »

Godrik sourit, amusé par sa remarque.

« Évidement que tu préfères le Lac de ton District natal. »

Elle ne put s’empêcher de serrer la mâchoire en l’entendant appeler son Royaume ‘’District’’. Elle contempla à son tour la vue à leur pied, impassible.

« Savez-vous que les murs en ruines devant nous date de plus de mille-cinq-cents ans ? »

Il haussa les sourcils.

« Oh, as-tu déjà fait un tour dans le lit de notre cher commandant Marlo ? » lui demanda-t-il.

« Non, il n’est pas à mon gout. Son épouse par contre, délicieuse. »

Godrik rit. Elle ne tardait jamais à faire son travail, chose qu’il appréciait grandement. Dans toutes les cités importantes qu’il visitait, Lucrezia faisait agir ses charmes surnaturels pour en apprendre plus sur les secrets de ses dirigeants.

« Fais attention, veux-tu ? Nous ne sommes que de passage et je préfère rester discret. »

« Biensur, majesté. Notre petite aventure est probablement déjà bien loin dans ses souvenirs. »

« Parfait. Que t’a-t-elle raconté ? »

« Que l’armée des Kaaïns avaient décimé Shir Kuh et la forêt d’Hyoïde plus au nord pendant la Conquête, il y a mille cinq-cents ans. Ils n’ont jamais reconstruit les murs de la cité et ont peint ceux restant en rouge, pour se souvenir de cette tragédie... »

« Elle n’a rien dit sur son époux ? »

Son désintérêt total de l’Histoire l’attristait, mais ne la surprenait pas. Après tout, il avait été présent durant chacun de ses évènements. Elle se doutait qu’il considérait peu de choses comme étant de l’Histoire, et plus comme des souvenirs de guerre triviales, comme il en a vécu tant d’autres.

« Peu de choses. C’est une cité riche et paisible, et le commerce est florissant. Quelques occasionnels pillages des mines mais toujours sans succès. Ils protègent bien leurs ressources. »

« Et que pensent-ils de moi ? »

« Marlo n’était pas un fervent partisan du Roi précédant. Il est ravi de vous voir faire le déplacement jusque Shir Kuh. Aucun Roi n’avait fait cela depuis plusieurs siècles. »

« Hmm… »

Il semblait satisfait mais elle savait qu’il resterait sur ces gardes. Gödrik ne faisait jamais rien à moitié.

Une silhouette apparut au bord du lac, trottinant tranquillement sur un cheval blanc. Son ombre semblait étrangement disproportionnée par rapport à sa taille réelle. La personne descendit de son cheval et Lucrezia reconnut tout de suite sa démarche gracieuse : c’était Dali, le.la plus ancien.ne conseiller.ère de Godrik.

Lucrezia appréciait beaucoup les membres du cercle très fermé de conseillers : Winslow était une redoutable sorcière de Nyland et une de ses seules véritables amies. Ak’sil était un métamorphe géant qui cachait derrière son épaisse barbe et ses ridicules muscles, un grand cœur. Et puis il y avait Dali. Iel était le.la seul.e qu’elle haïssait. Godrik n’avait jamais raconté à personne comment ils s’étaient rencontrés, probablement à la demande de Dali. Lucrezia s’en méfiait constamment. Et parce qu’elle prenait son travail très au sérieux, elle profitait de chaque occasion pour en savoir plus sur ce conseiller si mystérieux.

« Qu’y a-t-il de si important sur cette rencontre pour que vous ne veuillez pas ne serait-ce que m’en dire un mot ? »

Gödrik leva les yeux vers elle et sourit.

« Si prévisible, ma chère Lucrezia. »

Il savait qu’elle ne cesserait de lui demander que lorsqu’elle obtiendrait sa réponse. Il soupira.

« Bon, pourquoi pas… C’était il y a des siècles de cela. » dit-il, le regard perdu dans ses souvenirs. « Je m’étais rendu à l’époque, dans les territoires sauvages du sud, à la recherche d’un artéfact de Lunsor légendaire qu’on disait perdu. C’était une couronne qui aurait appartenu à un des premiers Kaaïns à avoir vécu dans ce monde. »

« La couronne de Bayön !? » s’exclama Lucrezia. « Est-ce vrai qu’elle appartenait à Asal Ahaan, voir à un Célestiel ? »

« Ah ça je l’ignore, et la seule façon de le savoir était de la retrouver. Alors j’ai traqué l’objet pendant des décennies. La dernière piste pointait directement vers un territoire vaste et inconnu au-delà des limites de l’Empire d’Olorùn. Et alors que je ratissais la vaste zone couvrant des milliers de pas à la ronde, une tempête de sable comme je n’en avais jamais vu, surgit de nulle part, me prenant par surprise. Je me suis retrouvé englouti dans une masse infinie de sable. Comment t'expliquer la sensation à ce moment là... c'était comme si je m’enfonçais dans le sable, tout entier, à une vitesse terrifiante. Je ne parvenais pas à stopper mon avancée ! Pour la première fois depuis si longtemps, j’ai réellement cru que j’allais mourir. Puis je me suis sentit tomber dans le vide. Pendant plusieurs minutes, je tombais. La chute était vertigineuse. Jusqu'à ce que j'atterrisse sur le sol ferme. Le contact avec le sol n’avait pas été aussi brutal que j’avais anticipé, comme si quelque chose avait amorti ma chute. »

« De la Lunsor ? » demanda-t-elle, sourcil haussé.

« Certainement ! J’ai alors levé les yeux et là j’ai vu quelque chose que je n’avais jamais cru possible avant. Enfouis à des milliers de pas dans les profondeurs du désert : c’était une cité souterraine. »

« Oh, j’ai entendu parler d’une telle légende… les Terres Englouties de l’Océan des Hydres. »

Son regard s’assombrit. Avait-elle dit quelque chose qu’elle ne devait pas ? Lucrezia aurait dû s’arrêter avant de parler. Tous ses muscles se crispèrent et son cœur loupa un battement. Il faut TOUJOURS réfléchir avant de parler ! Qu’est-ce qu’il m’a pris bon sang !?

« Les Terres Englouties ne sont pas des légendes, c’est... »

Gödrik s’interrompit. Il semblait réellement troublé. Lucrezia ne savait rien de ces Terres mythologiques, seulement des histoires anciennes que les gens racontaient.

« Soit. Ces terres-là n’étaient pas sous les eaux mais sous un désert. La Lunsor qui y régnait était si omniprésente qu’elle était étouffante, peinant à discerner ce qui était réelle de ce qui ne l’était pas. Je n’avais jamais senti une atmosphère semblable. Je me demande toujours si ce lieu improbable était bien de notre monde. »

« Oh, pensez-vous vraiment que c’était un autre monde ? »

« Après ce que j’ai vu, tout est possible. La cité était gigantesque, mais ma vue était comme distordue. Je n’arrivais pas à bien percevoir les perspectives, les limites des bâtiments. Tout semblait étrange et différent dans cette cité.

Peu après mon arrivée, une femme est venue et m’a indiqué de la suivre comme si elle savait qui j’étais, comme si elle m’attendait. Je me souviens d’elle comme si c’était hier : mince, vêtue d’une étrange robe rouge couverte de symboles indéchiffrables. Elle avait le teint pâle, les traits fins, les cheveux longs bruns, les yeux jaunes bridée, une apparence somme toute déroutante. Puis ce détail : elle ne parlait étrangement pas. Je l’ai suivie, sans poser de questions, dans l’allée principale, marchant entre les maisons étranges peintes chacune de couleurs différentes, d’une forme arrondie, toutes symétriques, identiques.

Rapidement nous sommes arrivés devant une des plus grandes maisons de l’allée. La femme m’a indiqué que je pouvais rentrer. À l’intérieur, la maison était sublime. Les poutres, soutenant le haut plafond, étaient toutes décorées de symboles étranges, recouvertes de dorure. Un homme m’attendait au fond de la salle. Il ressemblait étrangement à la femme qui m’avait montré le chemin. C'est seulement à cet instant-là que je me suis demandé si cette personne était bien une femme. Car l’être qui se tenait devant moi à ce moment-là pouvait certainement être l’un ou l’autre. Ses traits étaient tout aussi fins, ses cheveux longs, son corps mince, ni féminin, ni masculin. »

« Dali » murmura Lucrezia.

« Imagine ma confusion lorsqu’il s’est exprimé pour la première fois. De sa voix ni trop grave, ni trop aigu. Une lune peut-être saurons-nous s’il est un homme ou une femme. »

« Peut-être ni l’un ni l’autre. »

Gödrik la regarda un moment, pensif, puis poursuivit son récit :

« Dali semblait si ennuyé.e, lassé.e par sa vie paisible et sans histoire, qu’il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre la raison de ma présence. Iel voulait la couronne et d'une façon ou d'une autre, iel savait que je la recherchais. Sa proposition était simple : m’aider à trouver ce précieux artefact à la condition de partager les gains de sa vente ensemble. Dali connaissait bien le territoire mystérieux où on pensait que la couronne se trouvait contrairement à moi. Cependant, je ne comptais pas vendre la couronne. Mais ça, notre chère ami.e ne l’a jamais su. »

« Donc vous saviez d’avance que le contrat serait rompu » répliqua Lucrezia, amusée.

« Évidement. Mais nous n’avons jamais trouvé la couronne, donc ça n’a pas empêché notre longue amitié de perdurer jusqu’aujourd’hui. » affirma Gödrik, un large sourire aux lèvres.

Lucrezia ne savait pas ce qu’elle devait penser de cette histoire surréaliste. Elle ne s’était pas attendue à moins que ça, mais c’était la première fois qu’elle en apprenait autant sur Dali.

Ainsi dès qu’elle retourna dans sa chambre quelques heures plus tard, elle s’empressa d’ouvrir le tiroir de la commode prés de son lit et sortit son Communicateur, ce petit bracelet en argent circulaire. Elle nota rapidement chaque détail de l’histoire avec de la lunsor. Chaque mot qu’elle écrivait disparaissait peu à peu à mesure qu’elle formait des phrases. Lorsqu’elle eut fini, elle cacha le bracelet précieusement et inspira profondément. La moindre information pouvait être utile.

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