78. Journal du Dragon bleu

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Journal, me voilà enfin, en territoire ennemi : la cité Impérial de Menaskalig.

Sans Lunsor, incertain de mes projets, je marchais vers les hauteurs de cette cité grandiose avec un visage nouveau et des voix anciennes.

Laissez passer l’Imposteur ! La putain de Shir Kuh !

Laissez passer le Fils prodige, la tentation incarnée.

Bête ou Ange ? Qui seras-tu cette fois ?

Aujourd’hui, je suis le prince des Rêves.

Les humains sont si facilement manipulables, si dupes. Je n’ai pas besoin de ma Lunsor pour les séduire. Mes paroles les éblouissent, mon éloquence les fascine. Je puise de tous les enseignements de ma mère, des talents d’orateur de mon père. Ah, qu’aurait-il pensé de moi en me voyant le préféré de la plus grande Maison Close de la cité ? Je peux facilement imaginer l’humiliation sur son visage, la honte absolue. Je me délecte à cette idée.



Journal, je me suis fait un nom.

J’ai approché des nobles et puissantes familles de l’Empire. Ma présence est devenue petit à petit indispensable. Quelle étrange espèce que ces humains. Plus je me rendais inaccessible, plus je les laissais souffrir, et plus ils venaient vers moi. La passion et le désire les rendaient fous. Hommes et femmes ; j’ai séduit, trompé, manipulé… et toujours ils revenaient, ils en voulaient plus. Mon toucher est devenu une réelle addiction. La Tentation de l’interdit est excise, mon cher journal !

C’est ainsi, plusieurs cycles lunaires plus tard, que je suis arrivé aux portes du palais impérial.

Dans la cour des humains, je suis ce fruit mystérieux, cette convoitise exotique dont ils rêvent tous. Je peux le sentir dans leur regard, leur murmure. Leur désire est si évident.

Et elle était là : l’Impératrice de Menaskalig ; puissante, inaccessible.

Guettant, me rapprochant de ma proie, je l’ai vu du haut de son trône m’épier discrètement. Oh, je le sais, je touche presque à mon but. Ce n’est plus qu’une question de temps. Bientôt, l’Impératrice sera dans mes bras et j’aurais atteint mon but. Mais je dois être patient. On ne presse pas ces choses-là, non, non. Même si cela prend des cycles lunaires, j’attendrai ce moment : le moment où Elle serait mienne.



Journal, le moment est arrivé.

J’ai enfin posé mes lèvres sur son cou délicieux. Sa peau était douce, si soyeuse, si excise. J’ai enfin posé mes mains sur son corps gracieux. L’Impératrice s’est offerte à moi, le regard plein de convoitise. Son désire était palpable, le feu dansait dans ses yeux, entre ses cuisses. Jamais je n’aurai cru prendre autant de plaisir à l’entendre gémir. Elle espérait me dompter, désirait me posséder.

Je me suis délecté du gout de sa bêtise : personne ne peut dompter une bête sauvage.

J’ai savouré la stupeur dans ses yeux ce moment où je lui ai tranchée la gorge. Je me suis enivré du goût de sa terreur. L’horreur qui brillait dans ses yeux était exaltante. J’étais en extase, oui, en Extase !

Sur le balcon au marbre blanc, elle gisait là sans vie. Nu, son corps pâle luisait à la lumière du soleil. Un sang rouge flamboyant coulait avec délicatesse sur sa peau blanche, sur le sol blanc. Il y en avait partout : sur sa gorge déchiquetée, sur ses seins lacérés, sur ses jambes marbrées. Une vision d’une rare beauté.

À l’instant où la mort l’a emportée, j’ai lancé le signal à mes frères dans la cité. Et la destruction commença. Torche à la main, les autres infiltrés brulèrent les uns après les autres les symboles anti-lunsor des murs. J’ai fait de même dans les chambres de l’Impératrice. Dès que les symboles furent détruits, j’ai senti mon monstre revenir.

Ou était-ce mon humanité ?

Mes ailes se sont déployées et je me suis élancé dans les airs, triomphal. J’ai survolé la cité des humains. L’armée était déjà là, aux portes de la cité Impériale. Ma déesse est arrivée. La terreur de nos ennemis était sublime et leur cri sonnait le son de ma victoire. Notre victoire. Le monde des humains est en feu.

Je souris en y pensant.


Souris ? Demandes-tu toujours qui je suis ? Je suis l’Ange de la Mort et je danse sur les corps enflammés.


Ma déesse : tu m’as offert la vie, je t’offre le Monde.

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