Chapitre 2 : Śūnyatā
Vivant dans sa petite cabane tout en haut dans le ciel, au bord des nuages gonflés de fraîcheur.
Son appartement quasi vacant, les murs gercés à l'ombre d'une faible lumière chaude au centre exact de la pièce. Il dormait à même le sol, sans rien ni personne, sans soutien, vivant dans l'écho de l'ennui, leitmotiv sans origine. Il pouvait fumer sans se réserver, tremper dans le vin, saké et l'indifférence sans paraître cruel et désespéré.
Un Melancholia de Dürer, un Nighthawks d'Edward Hopper accrochés de part et d'autre de l'ouverture du fond qui donnait depuis point le plus haut de la colline à une vue panégyrique de la combe, la civilisation, le pessimisme argenté, les gens et l'infériorité.
Un cendrier marocain noir, de la myrrhe, un tas de vieux livres : les nuits blanches et les frères karamazov de Dostoïevski, Ecce Homo de Nietzsche et une encyclopédie du calcul infinitésimal offerte par sa mère pour son quinzième anniversaire.
Un bonzaï posé sur une petite tablette en bois noir donnait du sylvestre à la pièce, c'était une parfaite copie du Goshin de John Y. Naka.
Il y tenait plus qu'à sa vie, il l'arrosait chaque nuit, matin, dès qu'il le pouvait.
À côté, un petit gramophone à la peinture presque in extenso rayée et au métal usé, déposé sur une partition du dies irae, plus loin une pile de quelques vêtements trop bien rangés.
~ Le vide embellit la présence des objets, détermine l'espace entre et dans les choses. C'est l'ambition primordiale de la création, le recteur de la création.
Le vide dévore les sentiments, les jours s'y accumulent, le vide est la genèse de la volonté. C'est l'architecte de la présence et le fond de la pensée.
Pour lui, le vide rendait l'amour plus vrai. L'absence, les gens et les choses plus aimables. Le vide a plusieurs noms, absence, indifférence, transparence, distance, espace. Il peut vouloir dire beaucoup de choses.
On peut sentir ce qu'il veut dire, il est à lui toute une phrase.
Hermès Trismégiste, sage de l'égypte antique a écrit sur ces tablettes d'émeraude :
La Quatrième loi : Loi de Polarité
« Tout est double ; les pôles opposés peuvent être conciliés ; tout a deux extrémités; les extrémités se touchent; tout est et n'est pas en même temps; toutes les vérités ne sont que demi-vérités; toute vérité est moitié fausse; chaque chose a deux faces ».
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Kuro lui aussi travaillait plus avec le néant qui entourait son mental que le mental lui-même, il était toujours à la dérive de lui-même, marchant dans les abysses de fantaisies interdites, lâches.
Flottant au-dessus des responsabilités, disséqué dans les rues quand il passe, stoïque et impénétrable comme un mur qui marche sur place.
À rire, il préférait sourire, à vivre, il préférait dormir, il était raté.
Qu'est-ce qui mène au vide ?
Le présent, l'oubli, l'essentiel. Alors Kuro vivait seulement pour l'essentiel, sans superflu.
Son anniversaire passé, il s'était offert un livre de Keiji Nishitani et Der steppenwolf de Hesse qui, enrobés dans une lourde chemise en coton lui servaient d'oreiller.
Le bruit de la rivière, le chœur des cigales, des grillons et le vent qui marchait sur l'herbe de toute la nuit étaient les meilleures berceuses et les calmants les plus forts qu'il avait à sa disposition.
Avec un peu d'encre et de la plume, il écrivait, pleurait, mourait.
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