Chapitre 1.1: L’Ombre de l’Atelier

4 minutes de lecture

Trois jours. Trois jours que Jérémy s'était enfermé dans son atelier sans en ressortir. Depuis son retour, il avait disparu derrière ces murs blindés, laissant à Iris le soin de lui apporter de quoi survivre. Nous n'avions que de rares nouvelles, glanées entre deux allers-retours discrets.

Pourtant, de notre côté, nous continuions. Le projet du bus multifonction était trop avancé pour ralentir.

Je levai les yeux vers la structure imposante suspendue au-dessus de l'atelier de tests. Notre œuvre. Plusieurs semaines de travail acharné, de plans modifiés, de sueur et de doutes. Daniel, Iris et moi avions donné tout ce que nous pouvions. Le résultat était là, suspendu dans l'attente du premier véritable essai moteur.

Sur la console devant moi, les indicateurs de propulsion s'illuminaient doucement. Les moteurs Jack Frost Boost, réadaptés pour ce bus spatial, vibraient sous l'impulsion initiale.

« Phase un : impulsion de pré-chauffe. Ouverture à 30% de la vanne principale, » murmurai-je en validant les paramètres.

Le sol trembla légèrement alors que le moteur réagissait. Les vibrations étaient minimes, contrôlées par les stabilisateurs. Les premières données de poussée remontaient. Acceptables, mais encore imparfaites.

Daniel s'approcha, tenant une tablette où s'affichaient les paramètres secondaires.

« L'oscillation gravitationnelle est dans les normes, mais on a une fluctuation thermique sur la chambre de confinement, » annonça-t-il.

« Je le vois, » répondis-je. « Compense avec les injecteurs auxiliaires, baisse de 5% sur l'anneau de stabilisation. »

Il exécuta rapidement.

Depuis le départ de Jérémy pour la France, nous avions beaucoup avancé. Nous nous étions inspirés du Liberty pour les moteurs, adaptés à des contraintes plus terrestres. Iris nous avait beaucoup aidés à comprendre les subtilités du Jack Frost Boost et de l'utilisation de l'énergie via l'anneau céleste Adamaï.

Ce n'était pas simple. L'énergie infinie était à double tranchant. Une impulsion mal contrôlée et c'était toute la structure qui risquait l'explosion.

La poussée restait stable. J'ajustai les réglages en surveillant la consommation énergétique. Les émissions de chaleur étaient en dessous du seuil critique. Une première victoire.

Daniel se frotta les mains, satisfait.

« On tient mieux que lors des tests de la semaine dernière, » dit-il.

« Oui, mais on n'est pas encore au niveau de sécurité optimal pour un vol habitable, » répliquai-je.

Je déconnectai temporairement le système et retirai mes gants. Mon estomac me rappela que je n'avais rien mangé depuis le matin. À contrecoeur, je décidai d'aller au réfectoire.

Le chemin jusqu'à la cantine était court. En entrant, je remarquai une silhouette familière près des distributeurs automatiques.

« Iris ! » l'appelai-je en lui faisant signe.

Elle se retourna, me gratifia d'un sourire et s'approcha avec un plateau en main.

« Salut, Séraphina ! »

« Tu viens prendre à manger pour ton père ? » demandai-je en l'observant.

« Oui, » confirma-t-elle doucement. « Toujours enfermé dans l'atelier. Il travaille sur quelque chose de très important... Mais il va bien, ne t'inquiète pas. »

Je hochai la tête, soulagée par ses mots.

Au même moment, Daniel nous rejoignit, un plateau dans les mains.

Nous prîmes place autour d'une table vide.

Pendant que Daniel et moi commencions à manger, Iris resta simplement assise, posant son plateau sans y toucher.

« Alors, comment avancent les tests sur le bus ? » demanda Iris, engageant la conversation.

« Mieux, » répondis-je. « La dernière impulsion a été stable, mais nous devons encore régler certaines oscillations thermiques. Rien d'insurmontable, » ajoutai-je avec un sourire.

Daniel acquiesça.

« Nous aurions besoin d'un coup de main pour les vérifications secondaires sur les stabilisateurs, mais si tu préfères continuer d'aider ton père, on s'en sortira, » dit-il en regardant Iris.

Elle esquissa un sourire sincère.

« Merci. Pour l'instant, je vais continuer à m'occuper de lui. Mais si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas. J'essaierai de venir donner un coup de main entre deux courses. »

Elle saisit ensuite son plateau, prêt à retourner vers l'atelier pour apporter le repas à son père.

Tout cela restait un mystère pour nous. Son isolement soudain n’avait pas été expliqué. Daniel m’avait donné quelques détails à leur arrivée : Jérémy semblait mal en point. Et pourtant, d’après les dernières nouvelles, il avait bien obtenu son territoire en France, même si les médias français avaient vite envenimé la situation. Ils prétendaient qu’il chassait les gens de leur propre sol et soulignaient son silence prolongé depuis la validation du projet. Un silence que l’opinion publique commençait à mal percevoir.

Pourquoi s’isoler maintenant ? C’était imprévisible… et cela ne tombait vraiment pas au bon moment.

Une personne s’approcha et s’assit à côté de nous. À ma surprise, c’était Natali.

« Tiens, ce n’est pas souvent qu’on te voit en ce moment, » lançai-je avec un sourire taquin, en référence à ses absences prolongées.

« Ce n’est pas contre vous, je vous rassure, » souffla-t-elle en s’installant et en piquant distraitement sa salade.

« Tu serais au courant de ce qui se passe dans son atelier ? » demandai-je, me disant qu’elle avait sans doute placé une caméra pour le surveiller.

« Non, absolument rien. Et j’ai l’impression qu’il me cache encore quelque chose. Les résultats que j’ai pu obtenir de mon côté ne sont pas cohérents, » répondit-elle avec mélancolie.

« Ça te gêne de ne pas tout savoir sur lui ? » demandai-je, sachant à quel point elle aimait avoir toutes les réponses.

« Il ne veut pas se confier à moi, rien à faire. Et je n’ai pas envie d’user de mes charmes sur lui… ce serait contre-productif, » grogna-t-elle.

« Vous savez, certaines choses doivent rester secrètes, si vous voulez mon avis, » intervint calmement Daniel.

Natali le fixa, méfiante.

« Vous avez appris quelque chose tous les deux, je me trompe ? » dit-elle en nous fusillant du regard.

« Oh, je crois qu’il est temps d’y aller, » répondis-je à Daniel, comme pour esquiver la question et empêcher Natali de creuser davantage.

Alors que nous quittions la table, je soufflai à Daniel :

« On avait dit qu’on gardait ça entre nous, tant qu’on n’avait pas donné notre décision à Jérémy. »

« Oui, désolé… ma langue a fourché. »

Un bip retentit en même temps sur nos deux appareils.

Nous consultâmes nos écrans. Un message d’Iris. Elle nous appelait en urgence à l’atelier.

Nous courûmes immédiatement vers les bâtiments techniques.

Natali nous retrouva à l’entrée, déclarant, elle aussi, avoir reçu un message.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jérémy Chapi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0