Chapitre 1.2:Le prix du silence

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: Natali Lonskaïa

Lorsque je poussai la porte de l’atelier, alertée par le message d’Iris, je compris immédiatement que la situation était grave. Iris était agenouillée près de son père, son corps métallique tendu par l’inquiétude. Jérémy gisait à même le sol, en position latérale, le visage pâle, trempé de sueur.

Son bras gauche…
Je marquai un temps d’arrêt, horrifiée.

Il était en train de se décomposer.

Des veines noires, épaisses et irrégulières serpentaient le long de son membre, montant jusqu’à l’épaule.

Je me précipitai à genoux près de lui.

« Daniel, va chercher les médecins, maintenant ! Dis-leur d’apporter un brancard et du matériel de contention ! »

Il hocha la tête sans poser de question et partit en courant.

Jérémy reprit conscience, grognant de douleur, les dents serrées à s’en briser la mâchoire.

« Ne me touchez pas… » murmura-t-il, d’une voix rauque. « Je… je ne veux pas… Je n’ai pas confiance. »

Je pris une grande inspiration. Iris, debout à mes côtés, tremblait. Elle me lança un regard chargé d’angoisse.

« Il faut qu’on voie l’étendue des dégâts. Il faut qu’on comprenne ce qu’il se passe, » dis-je doucement.

Avec Séraphina, arrivée quelques secondes plus tard, qui avait ramené la trousse à pharmacie trouvée dans la pièce, nous enfilâmes des gants de protection et les visières médicales, puis attrapâmes prudemment les ciseaux médicaux.

« Jérémy, je dois vous enlever votre t-shirt. On fait attention, je vous le promets. »

Il ne répondit pas, le souffle haché par la douleur, tandis que sa fille le maintenait comme elle le pouvait malgré sa peur pour lui.

Nous découpâmes lentement le tissu, collé par le sang noir et épais. L’odeur était étrange, presque métallique, mais aussi... autre. Comme si quelque chose d’inconnu rongeait son organisme.

Le bras entier était parcouru de veines noires, certaines battantes, comme vivantes. Trois d’entre elles, plus épaisses, remontaient jusqu’à la cage thoracique et le cou, formant un réseau sinistre qui longeait le cœur.

Jérémy peinait à parler, mais ses yeux, injectés de larmes, fixaient les nôtres avec terreur.

« Il faut le couper. Maintenant. Le bras… c’est la seule solution, » dit Iris en pleurs, tandis qu’elle restait auprès de son père.

Séraphina voulut le calmer, poser une main sur son épaule, mais il se redressa brusquement, dans un sursaut de panique.

« NE ME TOUCHEZ PAS ! »

Son cri nous glaça.

Je regardai autour de moi. Une armoire d’urgence était fixée au mur, près des extincteurs, là où se trouvait la trousse à pharmacie. J’y courus et en sortis une hache de pompier.

Séraphina me suivit du regard, stupéfaite, et Iris préféra fermer les yeux.

« Natali, qu’est-ce que tu fais… ? »

« Elle a raison. Regarde. On n’a pas le temps. »

Jérémy me fixa à son tour. Ses yeux étaient fous, mais aussi… lucides. Il savait.

« C’est le bon moment pour me tuer, pas vrai ? Ce que je vais apporter au monde… ce ne sera ni bien, ni mal. Mais ça le changera. Et vous avez peur de ça. C’est ça, hein ? Enfin, tu montres ton vrai visage… tu vas enfin accomplir ta mission. »

Il peinait à s’exprimer, puis toussa du sang.

« J’y ai cru… que je pouvais te faire confiance… mais je ne peux pas, parce que je ne te connais pas, au fond… »

Il suffoqua de plus en plus, se penchant pour regarder sa fille qui tenait sa tête.

« Ma fille… qu’est-ce que j’ai fait… je nous ai condamnés… »

Ses mots étaient déformés par la souffrance. Il n'était plus tout à fait lui-même. La douleur parlait à sa place, alimentée par la peur, par cette défiance profonde qu’il nourrissait envers les autres.

Je m’approchai, hache en main, le cœur lourd mais résolue.

« Non, Jérémy… je ne suis pas venue ici pour te tuer. Et ce que je vois devant moi, ce n’est pas un monstre ni une menace. C’est un homme brisé, un père terrorisé à l’idée d’avoir fait une erreur. »

Je m’agenouillai à ses côtés, malgré ses regards de panique.

« Tu crois que je veux accomplir une mission ? Tu penses que je te trahis ? C’est la douleur qui parle, pas toi. Tu dis que tu ne me connais pas, et tu as raison. Mais moi, je te connais un peu. J’ai vu ce que tu es prêt à faire pour sauver une vie. J’ai vu le combat que tu mènes pour ceux que tu aimes. »

Je posai doucement ma main sur la sienne, celle qui n’était pas infectée.

« Ce n’est pas moi que tu dois craindre. Ce que je t’offre, ce n’est pas un piège. C’est une promesse. Si tu tombes, je te relèverai. Mais tu dois me laisser t’aider. Fais-moi confiance, Jérémy. Ou tout ça… tout ce que tu as construit… ne servira à rien. »

Il ferma les yeux. Une larme coula sur sa tempe. Ses lèvres tremblaient, mais il ne dit plus rien.

Je levai la hache, pris une inspiration, et dans un élan brutal mais précis, j’abattis la lame sur son bras gauche, juste en dessous de l’épaule.

Le bruit sourd de la coupure, suivi d’un cri étouffé, résonna dans l’atelier.

Le bras tomba et se tortilla légèrement avant de se replier sur lui-même, comme une araignée morte.

Iris resta figée, médusée. Elle fit un pas en avant, puis s’arrêta, hésitant à intervenir.

« Elle l’a fait pour lui… » murmura-t-elle, se retenant.

Séraphina s’agenouilla aussitôt pour poser des compresses sur la plaie, du sang noir giclant encore faiblement.

Jérémy, libéré de l’infection, reprit peu à peu son souffle. Les tremblements cessèrent. Il tourna lentement la tête vers moi.

« Je suis désolé… je suis terriblement désolé… » murmura-t-il, tandis que des larmes coulaient le long de sa joue.

Je déposai la hache au sol, à peine recouverte de sang tant le coup avait été net. Puis je m’agenouillai à côté de lui. Je le regardai attentivement : il n’avait pas la carrure d’un soldat. C’était un homme avant tout. Un homme perdu.

Je lui tapotai doucement la joue.

« Fais-moi confiance maintenant… s’il te plaît. »

Je saisis sa main droite. Il referma doucement ses doigts autour des miens, et ses paupières se fermèrent.

Il s’endormit. Ou du moins, je l’espérais.

Les médecins arrivèrent enfin avec le brancard. Ils prirent mille précautions pour le soulever, stabiliser la plaie, contrôler ses signes vitaux. Il ne disait plus rien, mais sa main restait crispée sur la mienne.

Et dans son regard avant qu’il ne ferme les yeux, je vis une chose rare chez lui : la peur. La vraie. Celle de perdre le contrôle.

Je les suivis en silence jusqu’à l’infirmerie, tout en leur demandant de faire attention à son sang et à son bras gauche. Iris marchait derrière nous, un œil fixé sur son père, sans un mot.

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