Chapitre 1.5 – Les constellations dévoilées
Jérémy Chapi :
Le ciel s'était ouvert, lentement, comme un rideau que l'on tirerait avec délicatesse. Les étoiles, au-dessus de nous, ne brillaient pas seulement. Elles pulsaient. Comme des cœurs lointains, chacun avec sa propre cadence, sa propre histoire.
Je sentis la main de Séléné se glisser dans la mienne.
« Y a-t-il de la vie ailleurs que chez nous dans cet univers ? » demandai-je en regardant les constellations devant nous.
Elle sourit doucement, un éclat moqueur dans le regard.
« Tu devras découvrir la réponse par toi-même, si tu veux vraiment le savoir. »
Je tendis ma main gauche — bien présente dans ce monde de songes — et l’ouvris vers le ciel étoilé.
« Je saisirai ce monde qui s’ouvre devant moi. Je veux en voir plus ! »
Séléné posa sa tête contre mon épaule, amusée.
« Parmi tous les êtres que j’ai observés dans ton monde, tu es celui qui pourrait bien y arriver. »
Je me redressai légèrement pour plonger mon regard dans le sien.
« Arriver à quoi ? »
Elle se redressa à son tour, le regard perdu dans les étoiles.
« Vous étiez donc cachés ici », dit une voix derrière nous.
Je reconnus immédiatement ce ton, mais cela me surprit. Je me retournai pour constater qu’il s’agissait du président Atlas Eumélos… vêtu d’une chemise hawaïenne et d’un short blanc.
« Est-ce que j’arrive au mauvais moment ? » demanda-t-il avec un sourire en coin.
Je le regardai du coin de l’œil, légèrement contrarié qu’il ait interrompu un moment si précieux. Séléné, elle, réajusta doucement sa coiffure, toujours sereine.
« Cela fait donc déjà quatre jours », répondit-elle avec calme.
« En vérité, cela fait six, » corrigea Atlas en riant. « Je voulais vous laisser encore un peu de temps ensemble. Mais je suis tombé sur quelqu’un qui vous cherchait aussi. Et toi, tu peux arrêter de te cacher derrière moi maintenant… montre-toi. »
Une tête surgit alors de derrière Atlas, des cheveux bruns en bataille et des yeux couleur saphir, vêtue d’une tenue de sport bleue. La silhouette fit un saut périlleux avant et atterrit brusquement… sur moi, les genoux en avant, pile sur mon ventre.
Je me redressai aussitôt, recroquevillé par la douleur. C’était Elowen.
« Tu n’es même pas venu me voir ! Et tu ne m’avais pas dit que tu étais dans cet état ! Il a fallu que ce soit ta fille qui me prévienne ! » dit-elle, les bras croisés, le regard fâché.
Atlas et Séléné nous observaient, interloqués. Quant à moi, j’essayais de retrouver mon souffle.
« Tu n’avais pas besoin de me sauter dessus… Et je n’ai pas forcément eu le temps d’aller te voir non plus, » répliquai-je en me redressant.
« Mouais, pas convaincue », répondit-elle en faisant la moue.
Je posai mes mains sur ses épaules pour me mettre à son niveau.
« Mais je suis content que tu ailles bien », lui dis-je en lui adressant un sourire.
Elle rougit légèrement, me traitant d’idiot pour dissimuler son émotion.
« Bien. Puisque tout le monde est là, autant qu’on s’installe confortablement », déclara Séléné.
Elle claqua des doigts. Aussitôt, des racines translucides comme du verre surgirent à côté de nous et s'entrelacèrent pour former une table circulaire et des chaises assorties.
Elle nous invita à prendre place. Une fine brume apparut au-dessus de la table, puis se dissipa, révélant de petits gâteaux ainsi que plusieurs boissons : thé, vin, whisky… Comme si elle connaissait déjà nos préférences.
Je m’assis en face d’Atlas, qui venait de se servir un verre de whisky comme s’il était dans son salon.
« J’espère que ce rêve ne me donne pas la gueule de bois au réveil », plaisanta-t-il.
« Ça dépend si ton foie est aussi éthéré que ton apparence », répondis-je avec un sourire fatigué.
Elowen, elle, croqua dans un petit gâteau en forme d’étoile et s’émerveilla :
« C’est délicieux. On dirait du miel et de la lumière ! »
Séléné acquiesça avec douceur.
« Le goût que vous percevez ici est le reflet de votre état d’âme. Ce que vous savourez… c’est ce que vous ressentez. »
Elowen marqua une pause, puis regarda son gâteau, un peu troublée.
« Alors pourquoi j’ai un arrière-goût de poivre ? »
« Parce que tu es encore en colère contre moi », soufflai-je, amusé.
Elle détourna les yeux en marmonnant.
Atlas, de son côté, posa son verre avec sérieux. Il observa longuement les motifs qui dansaient encore dans le ciel au-dessus de nous.
« Je suis vraiment désolé de vous avoir dérangés dans un moment pareil, mais… » dit-il en se tournant vers moi, soudain plus grave. « Jérémy, il est temps de revenir à la réalité. »
« La situation est-elle devenue si compliquée ? » demanda Séléné, inquiète.
« Disons que ce monsieur a maintenant un pays à gérer… et que les médias ne vont pas dans son sens », répondit Atlas en portant son verre à ses lèvres.
« Malheureusement, c’est vrai. Certains te décrivent comme un opportuniste, et disent que tu veux garder tout ce savoir pour toi. »
Ces paroles me touchèrent profondément. Mon verre de vin devint amer, reflétant certainement ce que je ressentais… une pointe de honte, peut-être, de m’être abandonné ici — même si je ne le regrettais pas.
Mais une seule chose me préoccupait réellement :
« Comment va ma fille ? »
« Tu n’as qu’à te réveiller si tu veux le savoir », répondit Elowen, un gâteau suspendu à ses lèvres.
Séléné resta silencieuse, pensive, une tasse de thé à la main. Puis elle me lança un regard profond.
« Je vois… Je suis du même avis qu’eux. Il est temps que tu retournes dans ton monde. »
Elle se leva lentement, s'approcha de moi, et prit mes deux mains dans les siennes. Son regard plongea dans le mien, et je vis une pointe de tristesse derrière son sourire.
« Ton monde a besoin de toi, Jérémy. Ils ont besoin de ta voix, de ton courage, de ta lumière. Moi, je peux attendre. Je t'attendrai. Le rêve est patient… et éternel. »
Atlas se leva en s’essuyant les mains sur son short fleuri. « Elowen, on les laisse seuls. À tout à l’heure, Jérémy », dit-il en s’inclinant légèrement devant Séléné.
« Oui, allons-y. »
Elle me jeta un dernier regard complice avant de suivre Atlas. Tous deux s’éloignèrent dans la brume du rêve, et bientôt, je ne vis plus que des ombres s’effacer lentement.
Je me retrouvai seul avec Séléné.
Elle me regarda sans parler. Puis elle m’ouvrit les bras.
Je n’hésitai pas. Je vins contre elle. Nous nous étreignîmes longuement. Je sentis la chaleur de sa peau, la douceur de son souffle. Je passai mes doigts dans sa chevelure aux reflets de flammes ardentes. Elle murmura tout bas, comme un souffle de vent dans les nuages, alors que mon cœur se serrait au fond de moi :
« Ne tarde pas trop… »
Je fermai les yeux, et une sensation étrange m’envahit, comme si je tombais lentement, me détachant peu à peu de ce monde. Puis, quand je les rouvris, tout avait disparu.
Je me retrouvai dans un lit inconnu. Une lumière blanche, aseptisée, éclairait faiblement la pièce dans laquelle j’étais allongé. Mon cœur battait lentement. Ma respiration était calme. Et dans ma poitrine, la dernière trace de son parfum flottait encore.
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