Chapitre 2.2 Sous les projecteurs

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Natali :

Cela m’a étonnée quand Iris m’a demandé de l’aider à organiser son live pour l’ouverture officielle de leur pays. Mais j’étais heureuse qu’elle accepte enfin de m’écouter. Nous avions passé la journée ensemble dans la chambre de son père, à tout planifier méthodiquement. Je lui avais transmis certains principes de communication politique qu’elle ne connaissait pas encore. Même si son premier live face au monde entier avait été extraordinaire, cette fois-ci, elle devait adopter une mise en scène plus institutionnelle, plus posée. Moins divertissante. Elle devait garder sa crédibilité face aux chefs d’État, aux partenaires étrangers et aux citoyens inquiets.

Alors que je la laissais pour qu’elle puisse se concentrer avant le live du soir, je quittai la chambre de Jérémy. À mon retour, je vis le président Atlas accompagné d’Amarante. Je les saluai d’un geste militaire.

Amarante, qui avait pris ma place auprès du président le temps que je m’occupe de Jérémy, était une agente très compétente. Il existait entre nous une petite rivalité, mais saine, nous poussant mutuellement vers le haut.

« Toujours endormi ? » demanda le président sans détour, sans même entrer dans la pièce.

« Oui, il ne réagit à aucun stimulus extérieur, » répondis-je, lui partageant ainsi une partie du rapport que nous avions discuté avec Iris.

« Effectivement, j’ai eu des retours… Il va falloir qu’il se manifeste. Si sa fille est d’accord pour porter ce fardeau, qu’il en soit ainsi. De mon côté, je ferai en sorte qu’il se réveille, » déclara Atlas en se frottant la barbe.

« Je ne suis pas sûre que sa fille vous laisse faire, » soufflai-je, songeant à éviter un autre incident comme celui du bus.

« Je m’occupe de cela. J’ai hâte d’être à ce soir pour voir ce que vous avez préparé ensemble. »

Il repartit, me laissant perplexe. Comment comptait-il le réveiller ?

Je pris la direction de la salle de contrôle pour préparer la diffusion avec Iris, qui serait exceptionnellement connectée à distance.

La salle de contrôle baignait dans une tension palpable. Quelques opérateurs surveillaient les flux de données, mais tous les regards étaient fixés sur l'écran principal.

Sur celui-ci, Iris reprenait son souffle avant le début du direct. On pouvait entendre Séraphina et Daniel l’encourager à distance.

« S’il vous plaît, arrêtez… Vous me mettez encore plus la pression que lors de notre voyage, » répondit-elle en rougissant.

« Tout va bien se passer. Nous avons étudié soigneusement ce qu’il fallait dire, » lui dis-je calmement pour la rassurer.

« Le live va commencer dans une minute, » annonça l’un des opérateurs.

« Allez, respire un bon coup, et c’est parti ! » lança Séraphina, toute excitée à côté de moi.

Je la fusillai du regard.

« C’est la salle de contrôle ici, pas l’atelier, calme-toi un peu. »

Daniel préféra ne pas ajouter un mot après ça.

« Direct dans 5… 4… 3… 2… 1… à vous ! »

Le direct mondial venait de commencer.

Iris apparut à l'écran dans sa projection holographique soigneusement choisie. Sa longue robe noire aux motifs floraux blancs contrastait avec le fond épuré du plateau virtuel qu'elle avait conçu. Son ton était calme, sa voix douce mais assurée.

« Bonjour à toutes et à tous. Je suis ravie de me retrouver devant vous. Et pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Iris… et je suis toujours vivante. Pour des raisons de sécurité, j’ai dû rester en stase un moment. Mais me revoilà, bien présente. »

Elle releva légèrement sa robe pour faire une courbette élégante.

« Depuis plusieurs jours, vous êtes nombreux à vous interroger sur le silence entourant Riveria, et sur l’avenir du projet que nous avons entamé ensemble. Toutes vos questions sont légitimes. Jusqu’à présent, nous avions uniquement communiqué avec les gouvernements. Mais aujourd’hui que tout est officiel, nous pouvons enfin vous parler de notre avenir commun. »

Elle marqua une courte pause.

« Si je prends la parole aujourd’hui, c’est pour plusieurs raisons. La première : mon père travaille actuellement sur d’autres projets essentiels qui requièrent toute sa concentration. Mais je reste ici, à vos côtés, pour vous informer et maintenir le lien. »

Elle redressa la tête, confiante.

« Riveria n’est pas un projet personnel. C’est une vision collective, un espace d’espoir, de partage et d’innovation. Toutes les ressources prévues sont maintenues. Les collaborations avec nos partenaires internationaux restent solides. »

Je croisai les bras, observant la réaction des différents canaux défilant à l’écran. Les messages affluaient déjà : des encouragements, des pleurs de soulagement, quelques provocations habituelles. Mais la majorité était positive.

Iris poursuivit, avec cette maîtrise parfaite qu’elle avait su cultiver depuis son premier live mondial :

« Vous avez toujours été à nos côtés. Et aujourd’hui, je suis là pour vous assurer que Riveria est bien vivante. Nous continuerons ensemble. »

Je laissai échapper un souffle discret. Tout se passait comme nous l’avions prévu.

« Tu gères ça à merveille, Iris… » murmurai-je pour moi-même, le regard fixé sur l'écran.

Iris poursuivit son live en expliquant ce que représenterait exactement Riveria pour le public : un atout majeur pour l’évolution technologique, mais aussi une expérience humaine à grande échelle. Elle précisa que ce pays ne pourrait malheureusement pas accueillir tout le monde, mais que les technologies développées seraient partagées avec le monde entier.

Elle continua à dresser les grandes lignes du projet sans entrer dans les détails déjà évoqués lors du sommet des Nations Unies.

Autour de moi, l’armée d’opérateurs de la salle de contrôle vérifiait que les dix diffusions en différentes langues se déroulaient sans accroc. Iris s’occupait elle-même de la traduction vocale en temps réel.

Nous avions également engagé des personnes pour retranscrire son discours en langue des signes pour chaque langue — à la demande expresse d’Iris, qui tenait à ce que son message soit accessible au plus grand nombre.

Je vis sur les écrans secondaires les premiers extraits du discours déjà partagés en ligne. Les réseaux s’enflammaient. Des extraits circulaient, découpés et partagés par des citoyens de tous pays, accompagnés de messages d’espoir ou d’émerveillement.

« C’est presque trop parfait, » souffla l’un des techniciens derrière moi.

Iris venait de conclure son discours. La salle entière retenait son souffle, puis, lentement, les applaudissements commencèrent à éclater, d’abord timides, avant de devenir franchement enthousiastes. Même ceux qui, jusqu’ici, s’étaient montrés sceptiques vis-à-vis de Riveria semblaient soudain touchés.

Je croisai les bras, observant les écrans où défilaient déjà les premiers extraits partagés sur les réseaux. Les gens reprenaient ses mots, les diffusaient, les commentaient avec passion. Iris venait, à sa façon, de sceller l’image de ce projet dans l’esprit collectif.

Je pensai : ce n’était pas juste une intelligence artificielle. C’était de la douleur, de la mémoire, du devoir. Et surtout, c’était l’amour qu’elle portait à son père. Elle n’était pas qu’une ombre derrière lui. Elle avait une importance capitale dans tout ça.

Quand elle s’inclina légèrement à l’écran pour remercier tout le monde, un nouveau tonnerre d’applaudissements la salua. Je la vis rougir, presque gênée, avant de dire qu’elle allait se retirer pour reprendre son souffle.

Alors qu’elle disparaissait du direct, je tournai la tête et réalisai que le président Atlas se tenait déjà à mes côtés. Je n’avais même pas remarqué son arrivée. À côté de lui, Amarante hocha la tête, comme pour saluer la prestation d’Iris.

« C’était remarquable, » dit simplement Atlas en me regardant. « Dites-lui qu’elle a franchi un cap. Le monde ne la verra plus jamais de la même façon. »

Je hochai la tête, déjà prête à lui transmettre ce message. Pourtant, au fond de moi, un léger poids subsistait. Tout cela avait été trop parfait, trop bien accueilli. Et je savais mieux que quiconque qu’à chaque pas en avant, le monde trouvait toujours le moyen de nous rappeler qu’il restait dangereux.

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