Die Schuld
« Mon bon Guillaume, qu’as-tu ? De ta face transpire un air angoissé ; de tes poumons s’exhale un air vicié. Toi qui a toujours été maladif, es-tu enfin agonisant ? Tu inspires encore : mais quand diable expireras-tu ? Pas avant d’avoir expier, dis-tu ? Vœux pieux. Mais tu le sais mieux que moi : on n’expie pas sans expier quelque chose. Or, ce n’est pas ton cas : ou bien tu n’as rien à expier, ou bien tu souhaites tout expier. Mais ce quelque chose t’échappe, s’écoule entre tes doigts et forme à tes pieds une flaque boueuse. Et cela t’hébéte, tu ne sais s’il faut boire jusqu’à la lie ce calice terreux ou l’enjamber fièrement - tu n’as jamais su choisir, âne bâté que tu es ! Alors par peur, par folie et par lâcheté, tu sautes dans la flaque pour t’y noyer. Tu barbotes et tu suffoques sans jamais couler, car le reflux sait te refuser. Te voilà au bord de l’eau, sale, trempé, grelottant ; à la fois trop pitoyable et pas assez. Et encore tu ne souhaites pas en finir ?!? Folie !
Mon bon Guillaume, qu’as-tu ? De la peine, je le vois bien, mais je vois aussi que même cela tu l'as avec peine. À grand peine tu as grand peine ; à peine es-tu un être à peine. Tu connaissais la peine, tu ne connais pas la tristesse - te voilà pourtant ici, trempé de boue et de larmes. Était-ce les tiennes ? Comment le saurais-je si tu ne le sais pas toi-même ? Folie ! Tu devrais pourtant en avoir une vague idée, mauvais pleurnichard que tu es, barrique trop pleine de peine ! Toi seul métamorphosas cette flaque en mer, et il te fallut pour cela bien plus que tout le sel de la terre. Vas ! Vas et essaye de t’y noyer ! Il se pourrait bien que des branchies te poussent, à moins que ce ne soit toi qui pousse à des branchies, lâche ! Parler de mort, en ayant vécu à grand peine ? Non ! Tu n’en as pas le droit.
Enfin ! Tu pleures ? Mon bon Guillaume, qu’as-tu ? Oui, je la vois cette ombre qui te suit. Qu’elle pèse lourd, cette ombre ! C’en est presque une âme. Mais pas tout à fait, et c’est ce qui la rend plus lourde encore. Et dire que cette ombre pense à une autre ! Allons, ris ! N’est-ce pas délicieux, n’est-ce pas désopilant ? Que tu es désolant. Je te vois prendre ta lyre : ne t’avise pas à te remettre à chanter ton Quid habeo, car nulle ombre n’y a jamais cru, à part peut-être celle qui te pèse. Tu connais d’ailleurs la réponse à ta propre question ; chante avec moi, ô être-à-peine que tu es ! “Nihil sine te, pulcherimate pulcherimatium”. Folie ! Ris donc, sérieux-triste que tu es ! Ris de ton aveuglement, Homère au rabais ! Alors seulement pourras-tu rire de ce que tu as perdu la mémoire. Ris donc ! Tu le sais, tu le chantes : tu n’as plus rien à perdre ! Il est minuit, et tu attends que le soleil se couche : il y a là du comique, te dis-je !
Qu’as-tu donc, Guillaume ? Tu es amorphe, et pourtant un désir te traverse, une envie te donne, sinon une forme, au moins une direction. Que dis-tu ? Tu veux - être pardonné ? Ha ! Folie ! À toi, tous ont tout pardonné ; toi seul continues à t’en vouloir. Défigure-toi donc, ce ne te rendra que plus hideux à ses yeux. Tu veux qu’on te pardonne à toi, qui n’a par trop rien donné ? Moi, je te pardonnerais bien : mais que te pardonnerais-je ? Il est difficile de pardonner quelqu’un pour ce qu’il est ; alors, s’il l’est à peine…
Guillaume ! Qu’as-tu ?!? »
« Plus rien, tu l’as toi-même dit. Et tu as raison : rions ! »
Le 19/11/2023
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