Art pervers

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La matinée est passée. Je suis restée seule dans la chambre de mon bourreau. Mes larmes ont coulé, mes nerfs ont lâché, dans l’indifférence la plus totale.

Attachée à ce lit, personne ne sait où je me trouve. Personne ne s’inquiétera de mon absence avant de nombreux jours et, plus objectivement, avant de longues semaines. Ma copine, Ève, ne sait rien de l’hôtel. Le lendemain de notre conversation, je lui avais simplement sous-entendu que j’y réfléchissais. Je suis détruite.

Un filet de lumière transperce les rideaux. Je ne veux plus apercevoir le jour, ce jour qui m’effraie et m’abat chaque fois davantage. Est-ce que Fanny me voit de là-bas, est-ce qu’elle pense à moi, parfois ?

Un silence pèse sur la pièce.

L’homme, parti des heures sans explications, rentre gaiement. Il me rapporte une soucoupe remplie de fruits, des madeleines et de l’eau. Il me détache sans me lâcher des yeux. Le ventre creux, je choisis une pomme et la croque sans conviction.

— C’est tout ce que tu manges ?

Il me foudroie du regard. Aucun son ne sort de ma bouche. Aucun mot ne parvient à se construire. Les lettres ont volé, se sont écrasées au sol et ne seront plus en état de se relever, ni même de se rassembler. Mon vacarme mental a cessé, tout est redevenu plat. L’aboutissement d’une tempête, la fin d’une vingtaine d’années. Je suis brisée.

— C’est pas plus mal. Tu seras facile à gérer cette aprèm’. Je vais t’utiliser comme modèle, m’annonce-t-il en me détaillant d’une perversité qui me raidit de peur. Et ce soir, tu feras un vrai repas.

La pomme me dégoûte. Je me force et la finis par petits morceaux.

Après avoir repris un semblant de vitalité, il me sort du lit et m’amène aux toilettes, me fait prendre une rapide douche, puis me conduit au salon. J’y repère une porte entrebâillée que je n’avais pas vue la veille. Profitant de cet instant de liberté, une folle énergie s’active en moi et sans rien préméditer, je détale vers cette chance. L’adrénaline me redonne une volonté perdue, je cogne la porte contre le mur, je me faufile et tente de m’enfuir.

— Tu vas où, Eloïne ? me demande-t-il d’un ton joueur.

Je me retrouve coincée entre quatre cloisons vides. Il me rattrape aussitôt par la nuque et me projette sur le carrelage. Il m’attrape les cheveux, me met à genoux, je crie de douleur. Je lui frappe les mollets, seule partie de lui à laquelle j’ai accès. Je me défends comme je peux. Hurlante de haine, je m’avachis sur le sol. Il me traîne par le bras jusqu’au matelas du salon et me jette à terre entre celui-ci et le chevalet. Il sort le gag ball soigneusement rangé tout près en cas de nécessité, me l’installe et me bloque en m’étranglant. Je n’arrive plus à respirer. Il se déshabille de son autre main, je le roue de coups de pieds. Il me retourne, en furie, et m’assaille de fessées toutes plus fortes les unes que les autres.

— Tu me provoques ? Tu veux jouer ?

Mes fesses chauffent et me brûlent. Il me reprend par le cou, plus durement.

— Tu m’excites quand tu cherches à t’évader.

Il me met une longue barre d’écartement aux chevilles et me rend ensuite ma respiration. Je suffoque, vautrée sur le sol, apeurée. Dans mon dos, il enroule mes poignets de ficelles et les tends aux lanières du bâillon. Elles me maintiennent bien droite. Il me saisit les hanches, enragé, et m’enfonce le bout de son pénis, dur et lubrifié, dans le cul. Je bondis de douleur et m’écroule davantage. Il sort sa bite, la rentre, sans ralentir et chaque fois plus profondément.

— Tu me sens bien ?

Je suis paralysée par la douleur.

— Ça te plaît ? me harcèle-t-il vicieusement.

Il me montre un long gode rouge et me le rentre dans le vagin, tout en s’occupant de mes fesses. L’objet est froid et nervuré. L’homme le bouge à la lente cadence de cette sodomie forcée.

Ces pénétrations régulières me calment. Les sensations se mélangent et se bousculent. Ma respiration se rallonge, ma mouille s’étend sur mon sexe et subitement un plaisir énorme jaillit de moi. La soumission à laquelle il me contraint et son sadisme m’offrent une jouissance interminable. Je gémis de tout mon être d’une rapidité qu’il n’envisageait certainement pas, et moi non plus.

— Je savais que tu adorerais, s’exclame-t-il.

Il continue, me baise de plus en plus agressivement et sort de moi. Il me retourne férocement et éjacule sur ma poitrine. Son sperme s’écoule sur mes seins, se répand sur mes tétons. Je suis essoufflée. Le voir jouir relance mon désir. Je découvre une part de moi-même qui, jusqu’à maintenant, m’était bien cachée. Mon corps adore s’offrir à mon ravisseur jusqu’à réclamer, je ne lui montre rien.

Après avoir bien étalé son sperme, il m’amène jusqu’au lit où il m’assied.

— Viens là, me dit-t-il impatiemment, tout en montant debout sur le matelas.

Je suis trop lente à son goût, il me monte alors par la nuque. Il me fait mal, je pousse sur mes jambes et une fois à sa grandeur, il arrache les ficelles de mes poignets liés dans mon dos pour les nouer à un gros anneau suspendu au plafond. Celui-ci est relié à une chaîne aux mailles épaisses. Après m’avoir attachée, il sort le gode de mon vagin et le laisse tomber sur le matelas.

— Je vais te passer une huile.

Il descend du lit, empoigne un flacon doré posé sur un pouf et badigeonne finement ma peau, la rend légèrement brillante, me tourne bien face à lui et face au chevalet.

— Cambre-toi. Et montre-moi bien tes seins, m’ordonne-t-il en prenant un appareil photo d’une étagère.

Il prend alors plusieurs clichés de mon corps nu, violenté et paradoxalement soulagé.

— Tu les verras, bientôt, et tu me remercieras, m’annonce-t-il en enfilant un tee-shirt bordeaux et un pantalon noir.

Il m’inspecte ensuite, tout en effleurant de la main sa toile à peindre soigneusement préparée, puis me dessine de vifs coups de crayon. Une fois terminé, il choisit trois tubes de peintures conservées sur un meuble apparemment dédié à son activité et dépose, au fur et à mesure, les différentes teintes sur sa palette. Son regard, attentif et cynique à la fois, s’attarde sur les moindres recoins de mon anatomie.

— Tu n’es pas bavarde. Tu le seras bien plus quand tu me comprendras, je n’en ai aucun doute, me dit-il d’un ton décisif en commençant son tableau.

Les rideaux sont fermés. Je ne devine pas le temps qu’il fait, le temps qui passe. Il fait bon dans la pièce. L’homme qui me retient enfermée fait régulièrement des allers-retours à l’évier de la cuisine, change son eau, rince ses pinceaux, nous permet des pauses café-thé pendant que le châssis sèche et des caresses avant de s’y remettre. Mes muscles me tirent, mais je relativise. Poser s’avère érotique et sensuel. Peut-être est-ce dû aux orgasmes violents qu’il m’offre, malgré les quelques douleurs qu’il m’inflige. La situation devient excitante et mon corps ne s’en cache pas.

— Voilà pour aujourd’hui, me dit-il, absorbé par son œuvre.

Il aura peint, silencieusement, toute l’après-midi. Il quitte le salon, plus longtemps que les fois précédentes. Une odeur de nourriture m’ouvre subitement l’appétit.

De retour, il me dégage les bras, me prends sur lui jusqu’au grenier, puis me retire enfin la barre d’écartement.

— Je vais te chercher à manger, m’informe-t-il en insérant ses clefs dans le verrou. Tu restes là.

Il me laisse seule, libre. Je saute sur l’occasion pour courir à la fenêtre. Elle est barricadée par des barreaux en fer rugueux. Nous sommes en pleine ville, elle donne sur une rue fréquentée. Un groupe traverse la route en costard, une femme âgée parcourt le trottoir, suivie d’autres passants. Tous paraissent dans leur bulle, emmurés dans leur vérité. Je reconnais au loin une boutique d’antiquités dans laquelle j’aimais faire un tour. J’aimais y admirer, rêveuse, ces trésors sortis de l’oubli en me promettant, qu’un jour ou l’autre, je posséderais une de ces si belles trouvailles.

La porte grince, je bondis. Il revient.

— Va t’asseoir sur le lit, pied au sol.

Sa voix autoritaire me soumet d’une facilité déconcertante. Il me sert à manger et à boire. Je m’assieds comme il me l’a demandé, il pose alors le repas sur mes cuisses et l’eau au sol. Il me tend une cuillère de hachis parmentier, je la prends et goûte désespérément.

— Qu’est-ce que tu espères de plus ?

Il semble pressé. J’avale de petites bouchées et lui retend l’assiette.

— Dépêche-toi. Je n’aime pas les caprices.

Je scrute le plat.

— Monsieur ?

— Oui, Eloïne ? me répond-il hautainement.

— Tu aurais du paprika ? S’il te plaît ?

Il l’avait prévu, il sort de sa poche de pantalon un bocal en verre rempli de cet ingrédient magique, en saupoudre à la nourriture et me fait signe de manger.

— Tu as un quart d’heure pour finir.

Je n’aime plus la viande, j’aurais préféré lui redonner le tout. Mais cela fait une éternité que je n’ai pas fait de vrai menu alors je me raisonne et, sans faire d’histoires, me contente de ce qu’il me propose.

Le temps écoulé, il reprend l’assiette encore bien pleine, se lève et strictement m’explique.

— Tu finiras demain midi. Tu vas rester un petit peu seule, ce soir. Si tu tentes quoi que ce soit, je le saurai et tu seras immédiatement puni.

Il m’enferme, mais m’a laissée détachée. Le temps qu’il s’en aille, je saute du lit et cours de nouveau à la fenêtre. Ma petite ouverture sur le monde. J’y aperçois les humains civilisés. Deux amoureux réservés marchent sur le trottoir, main dans la main. Ils sont beaux. Et moi, je les observe d’en haut, de ma tour, de mon état psychologique déplorable, de ma vision d’esclave sexuelle séquestrée, de ces yeux soumis qui commencent à se prendre sérieusement au jeu de son tortionnaire. Ce couple est si distant de ma réalité. Ils sont à leurs débuts, se montrent si fragiles. Un enfant en veste flashy survient, parcourt la rue d’un pas aérien avant de disparaître de ma vue. Le trottoir est désormais piétiné par un autre groupe, une bande de jeunes portant tous un sac à dos sur une seule épaule. Emprisonnés, eux aussi, dans leurs certitudes.


Les minutes se transforment en heures. Les hommes et les femmes errent, flânent, discutent, rient aux éclats. Je cesse de cogiter sur cette destinée qui se révèle moins tragique que je ne l’imaginais au départ et je retourne sur le lit.

Cette fenêtre m’hypnotise. Le ciel s’assombrit, se teinte d’un bleu nuit apaisant. Je m’assoupis et, tentant d’être optimiste, me demande de quoi seront fait les prochains jours.

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