Tôt ou tard

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Les jours ici s’accélèrent, rythmés de pulsions sexuelles plus ou moins cruelles alliées aux séances de peinture et de shooting photo osés. La perversité, mais aussi la jouissance à l’excès sont redevenus mon quotidien, la raison pour laquelle il me réveille le matin, celle pour laquelle je passe mes journées nue, accessible, prête.

Il me donne ce dont j’ai besoin, l’intimité en moins. Cependant, je ne ressens pas de manque, aucune gêne non plus. Je lui suis reconnaissante. À sa merci, mais fière qu’il m’ait choisi. Il s’occupe de moi et m’allège de bien des problèmes. Et être isolée me va. Cet homme apaise mes angoisses de l’extérieur, ma crainte du monde. Je peux dire qu’il m’a libérée d’un poids. Il m’a délivré d’un véritable fardeau, celui en quoi consiste la vie. Celui qui oblige à trouver de l’argent, à s’épuiser au travail, pour en définitive gagner quelques heures de repos et une nourriture infâme. Et ce, sans presque aucun répit, sans à peu près aucune chance de vivre, un jour, de façon heureuse et épanouie. En échange, certes, je me donne à lui. Il me soumet à ses pulsions. Il me fait moins mal. Il m’a appris à lui obéir, à consentir avec avidité à ses ordres, à apprécier cette soumission forcée. Je ne cache plus mon corps. Je m’offre à lui sans chercher à m’enfuir, sans me débattre, et ça me fait beaucoup de bien. Il me calme. Sa cruauté m’envoie fréquemment dans des états de détente, de bien-être. Sa perversion m’offre souvent des orgasmes puissants et répétés. Il me soumet, je suis à lui, mais j’y prends du plaisir.


Il m’a quelquefois posé des questions sur ce que j’ai pu vivre avant lui. Je lui ai vaguement parlé de Fanny, sans toutefois évoquer sa philosophie. Je lui ai raconté comment elle m’a sauvée et cette fin tragique qui nous a séparées.

J’ai appris, grâce au temps, à le connaître un petit peu. Des voiles se sont levés, mais je n’ai pas réussi à le cerner. Il s’appelle Sorel. J’ai beau connaître son prénom, il ne m’est pas permis de l’appeler autrement que par « Monsieur ». Il a quarante-deux ans et est furieusement créatif, ordonné et patient, cependant, son tempérament lunatique le rend assez nerveux et impulsif. Il se canalise, se bat contre lui-même, au travers d’un art martial. Il médite régulièrement et a une idée du sens de sa vie assez simple et restreinte, pour lui, rien n’a plus d’importance que l’art porteur de messages. Il a acheté cette maison il y a une dizaine d’années, lorsqu’il travaillait au Luxaria en tant que dirigeant. Il est le fondateur de cette boîte et l’a vue grimper financièrement, ce qui lui a permis de vivre à l’abri du manque. Depuis quelques petites années, il était à l’affût de cette femme, de celle qui lui correspondrait. Il en a dressé six. Elles se sont toutes révélées soit ennuyeuses, soit pas à son goût. Elles ont été vendues à des amis ou à des connaissances. Il recherchait la bonne, celle qui lui plairait. Il ordonnait à Orane, une habituée de l’agence, de photographier chaque arrivante. Les photos lui étaient envoyées par e-mail. Il les attendait, chaque fois, avec impatience et les recevait, chacune, avec grande déception. Jusqu’à ma photo. Il m’a attendue toutes ces années. Il me l’a bien fait comprendre : je suis à lui et le resterai.

En dehors de nos activités, il lui arrive régulièrement de sortir. Il se rend à l’hôtel chaque semaine et vérifie que tout se passe bien, il voit quelques amis, il visite les galeries dans lesquelles sont exposés ses tableaux. Elles l’appellent régulièrement pour une commande. Il lui arrive de partir toute une soirée, sans explications. Quand il s’en va, il prend soin de bien me cadenasser à une longue chaîne jusqu’à ce qu’il revienne. Il préfère me savoir à distance des fenêtres. Quand il n’est pas là, je m’occupe de la maison et une fois que tout est rangé et nettoyé, je me prélasse. J’allume les enceintes et me laisse bercer par la virtuosité des géants du classicisme. Giovanni Paisiello, particulièrement. Je lis beaucoup de romans biographiques et je peins, bien que je ne sois pas douée pour l’art. Je suis carrément nulle, mais j’aime le mélange des teintes et m’amuser des couleurs. J’ai pu finaliser sept toiles abstraites, sous les encouragements de Sorel. J’aime les vêtements aussi, surtout les robes élégantes. Alors même s’il ne m’autorise pas à mettre quoi que ce soit, il m’en rapporte de ses sorties. De magnifiques robes, généralement provocantes et hyper sexy. Il me les passe sur le corps, je me laisse faire avec joie. Elles sont habituellement un peu trop larges. Une fois enfilées, il les range. Un jour, elles seront utiles, il prétend qu’elles nous serviront. J’en doute, sans avoir le droit de le lui montrer.


Je ne suis jamais sortie et n’ai jamais vu ses fréquentations ni le voisinage. Depuis mon arrivée, je n’ai eu de contacts sociaux qu’avec lui. Il ne veut pas que l’on me voie, « pas ici ». Il verrouille toutes les sorties et fenêtres, les rideaux doivent rester intacts, la ligne de téléphone est coupée. Il ne m’attache plus en permanence lorsqu’il est à la maison, je dois juste garder les bracelets. Ils font une dizaine de centimètres de largeur et sont en cuir, ils sont entourés d’anneaux dans lesquels il passe les sangles. J’ai tenté de négocier pour qu’il accepte de me les enlever, au moins la nuit. Il ne veut rien entendre. Un soir, je ne l’ai pas écouté et j’ai essayé, vainement, mais cela m’a valu une dizaine de minutes de coups de fouet. J’ai eu mal, je l’ai supplié de se calmer, je lui ai demandé pardon, mais la punition était établie. Me voir danser sous les coups, en gémissant de douleur, lui a plu. La nuit s’est terminée en jouissance absolue. Il aime me corriger.

Tout tourne essentiellement autour du sexe et, bien qu’il soit barré de l’affirmer, ce rôle me convient. J’ai régulièrement senti que mon destin m’enverrait, tôt ou tard, dans cette direction.

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