On demande un Renifleur

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Au commencement, l’Homme devait travailler dur alors il créa les machines.

Évangile selon l’Algorithme, 1-1.

Oumane

Dimanche 9 janvier 2033 ou An 3 de la Transhumanité…c’était selon.

Bien qu’en sourdine, mon strappho me réveilla ce matin-là. Il faut avouer que l’appareil s’agitait autour de mon poignet avec la frénésie d’un chien recouvert de puces. Son vrombissement incessant aurait sorti du coma n’importe quelle momie. J’ouvris un œil, la paupière de l’autre préférait pour le moment jouer la récalcitrante. Je ne savais pas quelle heure il pouvait bien être, mais la lumière qui filtrait avec peine depuis l’extérieur indiquait que le soleil était déjà levé et depuis longtemps. Il était trop tôt et c'était mon jour de mon repos mensuel. Je me retournais sur le dos tout en chassant le drap qui me recouvrait. Je portais encore mes vêtements de la veille, y compris mes chaussures. La climatisation tournait à plein régime. Je louai mes privilèges .

Mon œil droit décida enfin de s’ouvrir. Ravi d’avoir recouvré la vue, je redressais ma tête tout en calant ma nuque à l’aide de mon oreiller.

- ‘ais chier !

- Vos toilettes sont opérationnelles Monsieur.

Mon servCom venait de s’activer en me hurlant dans les oreilles. On l’avait programmé avec une fonction “SENS DE L’HUMOUR”. J’en avais bien demandé la suppression mais on m’avait répondu : “IMPOSSIBLE”. Je devais faire avec.

- Merci Tom. Donne moi plutôt l’heure s’il te plaît et moins fort je te prie.

- Il est 7.38.26 Monsieur me répondit-il sans baisser le volume. Pour un peu je l’aurais cru fiché dans mon crâne. Ces foutus servCom finissaient toujours pas se dérégler.

Il venait d’afficher une série de chiffres en orange sur le mur me faisant face. Je pus voir les secondes s’égrener. 27,28,29,30,31. Les chiffres étaient flous. Le vrombissement du strapphone cessa.

Malgré mon état, je ne souhaitais pas me rendormir. J’avais l’impression d’avoir couru deux marathons, mon corps était aussi souple qu’un tronc d’arbre et un troupeau d’éléphants faisait la java sous mon scalp. J’avais la bouche pâteuse et les yeux douloureux.

Pourtant la veille, trop fatigué, je m’étais couché tôt. C’était ça ma vie de proD dans cette ville moche et ennuyeuse : dormir peu et bosser sans compter mes heures. Certes j’aurais pu traîner mes guêtres dans les boîtes à hôtesses des zones orange du secteur 6, me lever une ou deux péripates, ou alors profiter d’un ou deux relaX dans un narcobar plus ou moins select. Pour tout dire je ne me souvenais plus des détails de ma soirée. D’ailleurs, si ça se trouve c’était ce que j’avais fait. A part pour les péripates puisque mon lit était vide.

J’en conclus que cette forme olympique résultait du tranZ que j’avais eu la mauvaise idée d’ingurgiter avant de m’affaler dans mon plumard. J’avais dû ensuite faire un mauvais délire dont je conservais les séquelles à défaut des souvenirs.

Je m’assis au bord du lit et activai mon cerveau en mode survie. Il me fallait un plan.

Primo, miction.

Deuxio, ablutions.

Tertio, décoction.

“Allez, feu ! ”, soufflai-je pour me motiver.

- Vous n’avez pas de cheminée Monsieur, hurla de nouveau Tom comme pour me provoquer.

- Non Tom, tu as raison. Prépare-moi la douche, température du matin et passe la pièce en mode jour.

- Bien Monsieur.

- Puis tu me feras couler un café. Long. Goût extra-fort s’il te plaît.

- Bien Monsieur.

J’étais tout à mon plaisir de soulager ma vessie quand le strapphone vrombit pour la deuxième fois. Je décidai de rester concentré sur mon plan initial.

Primo : check.

La douche était étroite et carrelée. Un carrelage auto-nettoyant et thermochromique qui s’affichait bleu. L’eau à 41 degrés finit de me réveiller en douceur. C’est étonnant les pouvoirs d’une douche même quand l’eau a une horrible odeur de chlore et de produits désinfectants. Le carrelage avait viré à l’orange vif.

Je fis face au miroir mural au-dessus de mon lavabo. Mon reflet était encore flou. J’avais gardé mes vêtements mais retiré mes lentilles photochromiques. Elles étaient là, dans leur étui, petites méduses en silicone baignant dans une solution isotonique. Avec délicatesse, je les pêchai du bout de mon index droit pour les poser sur chacun de mes yeux. Avec le café elles m’aideraient à voir plus clair.

Mon visage m’apparut net. Peau blanche cireuse, yeux bleus trop pâles, cheveux blancs coupés “high and tight”, barbe de trois jours -plus proche des sept-, blanche elle aussi. Je me tartinai de crème solaire indice 50, une bonne dose de dioxyde de titane et d’oxyde de zinc. Même si l’éclairage était à son minimum j’étais aussi luisant qu’une luciole.

Deuxio : check

Les stores japonais et les filtres anti UV collés sur les vitres de mon petit appartement m’autorisaient à rester nu comme le jour de ma naissance. Je vivais seul alors autant en profiter.

Le temps de la douche, la chambre s’était transformée en salon. Le lit avait accouché de deux petits canapés et la table de chevet s’était muée en table basse. La cuisine escamotable s’était déployée en même temps que les arômes de café. Une tasse fumante m’attendait sous le bec verseur de la machine Huawei aux formes élégantes. C’était le dernier modèle bon marché pour proDs intermédiaires. Sorti l’année dernière des usines robotisées flambant neuves du secteur 9, il équipait déjà la moitié des appartements du secteur 2, là où je résidais. Je pris le temps d’humer le breuvage comme un alcool prestigieux, puis je contemplais un court moment la belle mousse brunâtre qui recouvrait le liquide. J’en bus une gorgée, chaude, délicieuse. C’est étonnant les pouvoirs d’un café.

Tertio : check

- Tom, lance China Global s’il te plaît. Volume 5. Version française. Filtrage maximum. Revue de presse internationale et locale. Cinq minutes. Merci.

- Bien monsieur. Monsieur a une préférence pour le présentateur ?

- Non. Je te laisse choisir.

Le mur qui me faisait face s’illumina sans agresser mes rétines. Je dégustai ma deuxième gorgée de pur arabica sensé avoir été récolté au Costa-Rica mais provenant plutôt d’une usine de synthétisation bio chinoise. On ne produisait plus de café au Costa-Rica depuis au moins 10 ans.

Une présentatrice 3D, au brushing aussi impeccable que son sourire, susurra les infos du jour.

“POLITIQUE. Les combats continuent de faire rage dans Las Vegas tandis que les dernières poches de résistance tenues par la RSE sont reprises une à une par les forces armées des Etats Confédérés de l’Ouest. La grande offensive voulue par la République Suprématiste Etatsunienne et son président autoproclamé Donald Trump est un échec. Les ECO sont en passe de contrôler le grand bassin des Rocheuses.

ECONOMIE. Les tensions sont encore vives entre SpecieZ et AmaZing après la collision de deux icetankers au large du Groënland. Jos Bezeff accuse le consortium SpecieZ et son dirigeant Nels Kumo d’user de méthodes criminelles pour s’assurer le monopole du commerce des icebergs. Jos Bezeff qualifie l’accident survenu la semaine dernière de véritable acte de piraterie et assure être en possession d’images satellites montrant le navire de SpecieZ éperonnant l’icetanker d’AmaZing.

PEOPLE. Notre bien aimé chancelier a annoncé vouloir assister à la IIIe conférence astrophysique d’Oumane. Pour des raisons évidentes de sécurité, la date de déplacement n’a pas été divulguée mais le congrés débutera vendredi prochain. L’intégralité de son discours est accessible sur sa chaîne Youku.

SPORT. Roger Fidelsky remporte pour la quatorzième fois consécutive la coupe du monde Fortnite. Comme toujours il s’est débarrassé de ses 99 concurrents sans aucune difficulté. Il commencera demain une tournée holographique à travers le monde pour présenter sa coupe. ”

La présentatrice chinoise fut remplacée par une métisse d’âge mûr, toujours en 3D. Son accent nasillard et sa vitesse d’élocution indiquaient sans l’ombre d’un doute qu’elle était Oumanaise. Elle était beaucoup trop maquillée. C’est elle que Tom avait choisi pour les infos locales. Comme pour de nombreuses autres choses, Tom pensait connaître mes goûts. Bien sûr il se trompait.

CULTURE. Ce lundi 10 janvier, la salle Ylad Amun accueillera l’hologramme du champion du monde Fornite. Cet événement culturel majeur commencera dès 13 heures et se terminera à 21 heures.

SANTE. L’épidémie de dengue hémorragique continue de sévir dans le territoire indépendant de Jimu. Les morts se comptent par centaines. Désormais en état de catastrophe sanitaire, Jimu appelle à l’aide notre belle cité-état pour que de nouveaux vaccins lui soient envoyés d’urgence.

SOCIAL. Le représentant des Vrais Natifs du Pays regrette de ne pas avoir été consultés au sujet de l’organisation du IIIe congrés d’astrophysique qui se tiendra à Oumane ce week-end. Il prévient que certaines actions seront prévues en marge de cet événement.

FAIT DIVERS. Ce matin…

L’estasi dell’oro retentit et coupa net l’oumanaise. J’adorais cette sonnerie, elle me rappelait mon enfance lorsque avec mon père nous regardions des westerns spaghettis sur notre télé à écran plat. Nous mettions un matelas au sol pour nous allonger et nous nous gavions de pop corn.

- Qui appelle ? Demandai-je au serVcom.

- C’est monsieur Perada, Monsieur. Pour la troisième fois depuis ce matin Monsieur.

- OK. Mets les infos en pause. Déploie un deuxième écran. Volume 3. Caméra éteinte. Passe-le moi.

Le visage mélancolique d’Angelo apparut. Il était plus mal coiffé que d’habitude. Ses yeux zigzagaient aux quatre coins de son écran comme s’il cherchait son curseur. Ses joues étaient aussi rebondies que celles d’un trompettiste en plein solo. Il avait pris beaucoup trop de poids ces trois dernières années.

- Waldo qu’est-ce que tu fous ? Je ne te vois pas. Allume ta caméra bordel !

- Tu es sûr ? Je bois un café à poil dans ma cuisine.

Il y eut un silence. Je le vis lever les yeux vers le ciel comme s’il cherchait à compter ses sourcils qui devenaient de plus en plus drus avec l’âge.

J’esquissai un sourire.

- Je viens de me lever Angelo, car tu m’as gentiment réveillé. J’ai la tête dans le cirage pour ne pas dire ailleurs. Je bois un café devant ma revue de presse matinale.

- Alors tu es au courant ?

- Des menaces habituelles des abrutis du VNP ? repris-je.

- Non. Pas ça. Du type qui s’est fait griller devant Le Fidèle cette nuit.

- Je n’étais pas encore arrivé là. J’attendais ton appel.

Pour la seconde fois il compta ses sourcils.

- Il faut que tu y ailles tout de suite. C’est toi qui es sur le coup, m’annonça t-il.

- Dou-ce-ment.

Je pris le temps de détacher chaque syllabe comme si je m’adressais à un enfant un peu lent.

- Explique-moi le truc, parce que là ça va trop vite. C’est qui ce macchabée au juste ? repris-je.

- Abel Monrivaje, astrophyscien, président du congrés d’astrophysique et responsable du programme de lancement vers Mars. Il travaillait pour SpecieZ et…

- Et l’Algorithme leur a soufflé que c’était à moi d’assurer la supervision de l’enquête, le coupai-je. Louées soient les Data ! A leurs ordres ! Mais pourquoi sont-ils si pressés ? Le type était une sommité de la science, un proD de statut majeur, d’accord. Mais pourquoi ne pas attendre les premiers retours de l’enquête initiale comme on le fait d’habitude avant de dépêcher un Renifleur ?

- Depuis quand as-tu des principes ? Me coupa t-il en fixant la caméra avec intensité. C’était inhabituel de sa part, pas de fixer la caméra avec intensité, mais de me couper.

Mais il y avait quelque chose d’autre, quelque chose dans sa voix et dans ses yeux, quelque chose que je n’étais pas en mesure ni d’identifier, ni d’interpréter. Et de toutes façons, à ce moment précis et surtout dans mon état actuel je n’étais pas en mesure de dire quoi que ce soit.

- Je ne te parle pas de principes, je te parle de procédure, dis-je vexé.

Bien sûr que j’en ai des principes. J’en ai au moins un, boire mon café tranquille le matin, pensai-je.

- De quelle procédure tu me parles Waldo ? La nôtre ou la leur ? Parce ce que quand les pontifes du conso t’appelles à 6 heures du matin pour te dire de placer leur meilleur Renifleur sur un coup, il n’y a plus de procédure qui vaille. Ils s’en foutent de la procédure, je m’en fous et tu vas t’en foutres aussi. Merci donc de ne plus poser de questions pour le moment, et de te rendre tout de suite dans le secteur 4. Tu y es attendu.

Devais-je lui dire que ça aussi c’était inhabituel ? Depuis quand on attendait la venue d’un Renifleur.

- Qui est en charge ? repris-je.

- Lena Dwarcolovna du MSE.

- Whaou. La ruskof du Guoanbu. C’est du sérieux en effet. Elle sait qu’elle va déjà avoir un renifleur du SEC dans les pattes ?

- Je n’en sais foutrement rien mais elle va vite être au parfum de toute façon. Waldo il faut qu’t’y ailles.

- Je pars tout de suite. T’inquiètes.

Je venais de comprendre qu’Angelo n’était pas qu'en colère, il y avait bien autre chose. Un savant mélange de contrariété et de peur. Chez lui, ce n’était pas courant.

- Louées soient les Data, reprit-il.

- Nous rendons grâce aux Consortiums.

Il n’entendit pas ma réponse. Il s’était déjà déconnecté. L’écran de droite avait repris ses aises. Les images des infos du jour continuaient de défiler en boucle. On voyait une dizaine d’abrutis du VNP brandir des banderoles réclamant des “DISCUTIONS IMEDIATES” et des “TABLES RANDES AVEC LES OTORITES CAMPETENTES”. Putain, ces mecs étaient si cons qu’ils étaient incapables d’activer la fonction correction orthographique sur un ordi.

- Tom. Volume 5 s’il te plaît.

FAIT DIVERS. Ce matin le corps sans vie d’un homme a été retrouvé devant l’hôtel Le Fidèle. D’après les premières constatations l’homme aurait été victime d’une attaque cérébrale.

Avec tout ça mon café était tiédasse. Il n’y a rien de pire qu’un café à la mauvaise température, et encore plus quand il est synthétique. Le café n’a de pouvoirs que lorsqu’il est chaud. Bon sang c’était un café du Costa Rica quand même.

J’aimais les exercices de persuasion mentale. Quand j’étais môme j’avais lu quelque part qu’il était possible de leurrer notre cerveau. A moins que ce fut le contraire. Je dois admettre que je ne sais plus trop. En revanche, avec le temps je m’étais rendu compte que certaines substances étaient beaucoup plus efficaces que toutes ces conneries d’autosuggestion. Je savais qu’aujourd’hui, sans mon café, mon cerveau me rappellerait sans cesse que je n’étais qu’une larve amorphe manquant de sommeil.

J’ordonnai donc à Tom de me faire couler un nouveau café. Même si cela ne suffirait pas.

Je pris le temps de m’habiller. Dans mon petit placard je choisis les vêtements les plus clairs et les plus couvrants. Depuis peu j’en avais trouvé teints au dioxyde de titane. Je n’oubliais pas non plus d’enfiler ma combinaison en biosteel. Elle n’était pas inutile contre certaines armes archaïques employées par les improDs qu’il m’arrivait de croiser dans les zones orange ou grises.

Sur la table basse en plastique recyclé je récupérai ma petite boîte de pilules. A l’intérieur j’y trouvai mes deux derniers tranZ. Deux petits triangles blancs aux bords biseautés qui attendaient sagement qu’on vienne les chercher. J’allais pouvoir passer la journée avec ça, mais dans la soirée je ne couperais pas une visite chez le Farma. J’en pris un et je l’avalai tout en engloutissant ma tasse de café chaud. La douce amertume du café et la promesse des effets calmants du médoc me firent frissonner et finirent de me réveiller. J’étais enfin opérationnel.

- Tom éteins l’écran et prépare la robocar s’il te plaît.

- Je garde en mémoire l’appel de Monsieur Perada ou je l’efface Monsieur ?

- Tu peux l’effacer.

- Bien Monsieur.

De toute façon notre conversation était déjà sauvegardée sur un support externe. C’était une habitude archaïque mais je l’avais prise suite à un incident survenu l’an passé. Mon précédent servCom avait surchauffé et perdu l’ensemble de mes données. Du moins c’est ce que les techniciens du Consortium m’avaient expliqué. J’étais bien obligé de le croire aux vues de mes compétences en la matière.

Ils étaient parvenus à en récupérer la quasi totalité même si cela restait un tas informe de 0 et de 1 et que le temps nécessaire pour les convertir en données de nouveau lisibles me manquait. Depuis je me méfiais du nuage et je conservais sur un nano SSD toutes mes conversations, mes rapports, mes photos, mes films. Tout était enregistré deux fois. Les nanoS ne prenaient pas de place et l’essentiel de ma vie tenait dans une boîte en résine de la taille d’un paquet de cigarettes. Je ne préférais pas y penser davantage même si je savais que ma vie était écrite sur du sable.

C’était une habitude à laquelle je tenais, même si elle était fort coûteuse, car elle me donnait l’illusion d’avoir une vie privée. Avec mes médocs et mon Fouineur, c’était ma ligne de dépense la plus élevée et elle n’était pas prise en charge par mon consortium. Mais avais-je le droit de me plaindre ? Tout était payé par le conso et mes cent mille euroren versés chaque mois me servaient d’argent de poche.

Je me dirigeai vers la porte du mur de la cuisine, celle qui donnait sur le petit garage. J’attrapai mon chapeau et mes hologlasses au vol avant de sortir. La robocar était en route. C’était une Satel 32. La dernière produite par notre Consortium. Formes élégantes, habitacle spacieux et modulable, entièrement gérée par mon servCom en mode autonome, drône d’observation 3D intégré. La technologie pouvait aussi avoir du bon. Et dire qu’il fut un temps où j’appréhendais de me séparer de mon antique voiture thermique. L’Algorithme avait raison et tout cela était tellement mieux pour la planète.

Tandis que le rideau métallique de la boîte se déroulait je me préparais à encaisser le choc.

Mes mains agrippèrent les accoudoirs de mon fauteuil. La lumière brillante du jour submergea l’habitacle de la robocar et mes yeux prirent feu. Chaque photon prenait le temps d’embrasser mes rétines. Je plissai les yeux qui s’emplirent de larmes et serrai les mâchoires. Je ne goûtais guère ces civilités empressées et familières. Par bonheur, après ces nombreuses formules de politesse, mes lentilles photochromiques prirent le relai et décidèrent de jouer les entremetteuses. Les embrassades devinrent plus respectueuses. La douleur fit place à l’inconfort. La drogue ferait le reste. Il m’aurait été possible de subir une transoPération afin de gommer mon handicap mais je tenais à mes yeux d’origine. C’était quand même un leg parental.

Je pris le temps de vérifier que mon arme et mon badge étaient toujours dans la boîte à gants. Rassuré, je demandai à Tom d’assurer la conduite et de prendre la direction du secteur 4. Je lui commandai de conserver la vue extérieure sans changer l’ambiance graphique de l’habitacle. Il n’y aurait pas de balade à Rome ou à Vienne aujourd’hui. J’insistai pour qu’il n’emprunte que des zones bleues et qu’il roule à l’allure URGENCE. Je n’avais pas de temps à perdre.

Le ciel d’un bleu limpide contrastait avec la grisaille des bâtiments. Dehors ce n’était qu’une succession de monolithes noirs, gris, blancs. Un labyrinthe de verre et de béton d’où jaillissaient par moment des enseignes monumentales indiquant une clinique de transoPération, un temple transhUmaniste dédié à l’Algorithme ou un centre de transFert. La robocar suivait gentiment le flot de la circulation qui prenait des airs de défilé de chenilles processionnaires. Sur les trottoirs des nuées de proDs se bousculaient pour rejoindre leur lieu de travail, ils croisaient leurs homologues qui rentraient chez eux. Tous se soumettaient dévotement à la vieille tradition des trois huit. Un quota de sommeil pour pouvoir produire et prétendre à un bonheur savamment balisé ou comment gagner son droit de vivre dans la ruche et contribuer à l’accumulation des Data.

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