Suivons le vautour

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Les Consortiums utilisèrent les Data pour faire les lois, car les Data ne connaissaient pas l’erreur.

Évangile selon l’Algorithme, 1-10.

Vers la fin de l’après-midi, Elvis m’avait demandé de venir aussi vite que possible. Cela signifiait immédiatement, toutes affaires cessantes. Une de ses petites mains avait transmis le message jusqu’à notre planque. Un message à l’ancienne, couché sur le papier. Définitivement plein de ressources mon Fouineur. Le texte disait que le charognard avait été repéré, dans le secteur 9, en zone grise, et qu’il était rentré dans une de ses boîtes louches. Il y avait même l’adresse. Elvis lui collait aux basques.

Le secteur 9, n’était pas qu’industriel. A la nuit tombée, il devenait culturel. Des boîtes de nuit proposait un éventail d’activités variées : spectacles zoophiles, partouzes transgenres, combats à mort, foire aux organes, transoPérations sans anesthésie. Des activités culturelles illégales et clandestines qui, pour quelques renmimbis, procuraient les frissons recherchés par des proDs dérangés, en mal de sensation fortes.

Les autorités chinoises faisaient semblant de lutter contre le phénomène, se contentant d’envoyer des drones anti-émeutes quand les choses dégénéraient. En réalité, de gros pot-de-vins permettaient à ces boîtes éphémères d’exister. Leurs propriétaires savaient y faire pour que rien ne parte en sucette. Jamais.

Le Consortium ne s’en mêlait pas.

Des tags, à l’encre ultra-violette hydrosoluble, signalaient les endroits et la nature des événements. Sur certains murs on pouvait même lire certains programmes complets.


Je ne savais pas comment Elvis était parvenu à trouver le charognard aussi rapidement. Nous n’échangions pas sur ses méthodes. Mais je devais faire vite. Je voulais savoir ce que le bras droit du Farma fabriquait sur le premier lieu du crime. J’avais aussi besoin de comprendre pourquoi il nous suivait au catalyseur. Que cherchait-il à découvrir ? A ma connaissance il n’était pas un Renifleur. Alors quoi ? Agissait-il en son propre compte ou pour le Farma ? Pourquoi un Pontife s’intéresserait-il directement à moi ?

La partie s’annonçait serrée. Je n’étais pas naïf au point de croire que sa collaboration serait pleine et entière.


Passer inaperçu. Voilà le plus difficile. J’étais dorénavant un banni du Consortium. Forcément cela se savait. Je n’envisageai donc pas une seconde, débarquer en pleine partouze transgenre avec mon badge de Renifleur, demandant à tous ces messieursdames de lever les mains et de ne plus bouger. J’allais devoir avancer en territoire ennemi sans aucune couverture. A mon propre compte. Des agents du SOC et du SEC pouvaient me tomber dessus. Il n’était pas impossible non plus que je croise un Traqueur. Je détestai ces salopards de chasseurs de primes. Ils bouffaient à tous les râteliers et ils tiraient à vue. Ces clandés les attiraient aussi sûrement qu’un papillon de nuit d’un lampadaire biolum.

Si j’ajoutais mon attirail réduit à sa plus simple expression, toutes les chances étaient de mon côté.

Il y avait enfin un détail de taille, le brouilleur. Comment le prendre avec moi ? C’était tout bonnement impossible. Cela voulait donc dire que j’allais être traçable. Les Data de mon servCom seraient de nouveau accessibles. Le risque en valait-il la chandelle ? De toute façon, à quoi bon tergiverser, au point où j’en étais, je n’avais pas le choix.


Je n’eus pas besoin de marcher longtemps. Grâce aux coordonnées fournies par Elvis, je trouvai l’endroit sans difficultés. C’était un vieil entrepôt désaffecté situé en lisière des zones 8 et 9. En bordure du territoire contrôlé par la tribu d’Achille. Je n’avais pas voulu que ce dernier m’accompagne. Je préférai qu’il restât auprès d’Erika.

Le dock tenait encore debout par miracle. Il finissait de tomber en ruines en attendant les méca3D. Un premier passage me permis de repérer les gardes armés qui, depuis le toit de la structure en tôles ondulées, guettaient les alentours comme de sinistres oiseaux de proie. Au deuxième passage, je pus identifier trois véhicules roulant et deux drones qui quadrillaient le secteur. L’endroit était une forteresse. Un troisième passage était trop risqué car il aurait éveillé les soupçons. Je me contentai de ces informations. Il me semblait également avoir vu deux ou trois improDs crasseux se présenter à l’entrée sans être refoulés.

J’avais bien joué. L’événement était mixte visiblement. Comme je n’avais aucune idée du spectacle qui se jouait à l’intérieur, j’étais parti du principe que si Elvis avait pu y entrer, cela signifiait que les improDs étaient les bienvenus.


Il me fallait un plan.

Primo : rentrer dans le clandé… incognito

Deuxio : chopper le charognard … en douceur

Tertio : foutre le camp … discrétos

Des formalités.


J’étais parti sans armes, sans Strapphone, affublé de vêtements usés et sales que ma famille d’accueil m’avait refilés. Leur mauvaise odeur était très incommodante. J’espérais qu’elle me serve de bouclier olfactif. Elle repousserait les proDs aux narines sensibles et limiterait les contacts trop intimes. Je doublai cette protection olfactive d’une barrière monétaire.

Les cerbères qui m’accueilleraient à l’entrée du clandé, même augmentés, restaient sensibles au charme verdâtre d’un billet de 50 ren. Du moment qu’ils ne trouvaient sur moi ni arme, ni équipement louche, mais qu’ils recevaient leur lot de renmimbi, je pourrais rentrer. Je ne pris qu’un seul risque, je conservais ma combar biosteel. Pour l’oeil non averti, elle ressemblait à un simple ensemble de sous-vêtements. Je m’enfilai trois boosT, histoire de maintenir mes sens en alerte et mon taux d’adrénaline à un niveau convenable. Au maximum.

Deux colosses bourrés de stéroïdes m’accueillirent, après que j’eus tapé du poing sur la porte branlante qui donnait sur l’entrée sommaire. Je fis mine d’être défoncé, c’était une imitation qui était largement à ma portée. Un des types me fouilla poliment, après m’avoir plaqué contre une de parois du sas d’entrée. L’espace d’une seconde je crus qu’il souhaitait mouler mon visage sur la tôle, pour en faire une gaufre ou autre chose, mais il n’alla pas jusqu’au bout de son idée et relâcha doucement la pression. Il ne trouva rien, à part ma liasse de renmimbi que j’avais caché dans mon calbute. Je ne souhaitas pas donner l’impression d‘être un touriste. Il ne fit que palper la liasse, et m’accorda la politesse de les retirer, pour lui remettre, ainsi qu’à son acolyte bodybuildé, un bifton de 50 renmimbi. Les deux gars devaient récolter un sacré paquet d’oseille dans ce genre de soirée.

D’un air écoeuré, mais avec un sourire étrangement narquois, ils m’ouvrirent la porte qui menait vers le lieu des réjouissances, sans même prendre le temps de me faire signe d’entrer.

Des hurlements et des rires emplissaient l’intérieur de cette grosse boîte métallique. L’air était chaud, à peine rafraîchi par de grosses turbines de ventilation. Installées à la hâte, elles gîtaient dangereusement et rugissaient comme d’énormes fauves en pleine crise d’asthme. Des remugles de sueur, d’urine et d’alcool de synthèse emplissaient les lieux. D’immenses écrans lumineux annonçaient les réjouissances. La soirée était animée par l’empereur des DJs, “Mic le Micro”.


Mon problème désormais, serait d’arriver à retrouver Elvis parmi tous ces décérébrés. Une foule de proDs masqués, aux allures endimanchées, s’égosillaient, en buvant dans des verres qui étaient imprimés au fur et à mesure de la soirée. En les voyant, je me rendis compte que j’avais commis une sacrée erreur, mon costume d’improDs crasseux était bien plus qu’une mauvaise idée, j’étais aussi visible qu’une péripate au milieu d’un synode. J’aurais pu aussi bien venir avec un écriteau lumineux, indiquant “fouille-merde en rupture de ban”.

Cette soirée était visiblement destinée à des proDs de statut majeur, mais j’étais dans la place désormais et je ne pouvais plus me défiler. Je décidai de jouer le jeu et de faire comme si j’étais un improDs paumé à la recherche de sensations fortes. Je me mêlai plus intimement à cette foule malsaine, me frottant aux rares proDs qui refusaient de s’écarter.

Des bruits de chocs métalliques, accompagnés de grognements et d’encouragements, provenaient d’un endroit qui occupait l’attention du plus grand nombre de personnes rassemblées dans cet endroit. On se battait plus loin. Ce n’était donc pas une partouze transgenre, ni un spectacle zoophile.

Je continuais de fendre la foule, et me rapprochais de l’endroit d’où provenaient tous ces bruits. Une fosse avait été entourée à la hâte de barrières sommaires. L’endroit avait du être autrefois une fosse pour vidanger de gros véhicules thermiques. La dépression dans le sol n’était pas bien haute, à peine deux mètres mais elle était longue, au moins une dizaine de mètres sur quatre de large. Au fond de cette fosse, deux hommes se battaient. Tout autour, agglutinée sur les barricades comme des huîtres sur des racines de palétuviers, la masse grouillante de proDs en mal de sensation scandait à l’unisson le nom “Bibendum” en agitant leurs poings dans les airs. C’était un grondement rauque, poussé par des fanatiques, plongeant l’assemblée dans une sorte de transe impie. Mic le Micro s’égosillait.

Je parvins à franchir les derniers décimètres qui me séparaient de la barrière, et je me retrouvai tout prêt du lieu du combat. Un colosse, aux cheveux longs noués par un catogan, était à gauche de la fosse. Il était tellement grand qu’il pouvait toucher chaque côté de la fosse en écartant les bras. Son visage était horrible, et un de ses yeux était manquant. Sa musculature disproportionnée ne laissait aucun doute sur sa nature de transoP. En face de lui, son adversaire paraissait nettement plus petit, même s’il était plutôt grand, mais il était mince et avait cette drôle de coiffure bouffante sur le dessus de son crâne. Son visage était en sang et il était à bout de souffle. Il me fallut quelques secondes avant de le reconnaître. C’était Elvis qui se battait là, au milieu de cette horde sauvage.

J’en étais encore à me demander comment mon ami avait fini au fond de cette fosse, quand “Bibendum” jaillit, comme un diable hors de sa boîte, et se précipita de toutes ses forces sur Elvis. L’espace d’une seconde je crus qu’il allait pouvoir l’éviter, en se baissant pour passer sur le côté droit du cyclope, mais ce dernier parvint à saisir mon indic par sa tignasse et le ramena vers lui comme un gamin maladroit jouant avec un chaton. Le colosse l’étrangla avec une clé de cou et regarda autour de lui. La foule exultait comme dans une cérémonie sauvage.

Elvis me repéra sur les gradins improvisés et il me sourit malgré la peur que je lisais dans ses yeux. La foule hurlait “à mort”, “à mort”, “à mort”. Je regardais mon ami et je le vis fermer les yeux. Le cyclope lui brisa la nuque aussi facilement que s’il avait cassé une brindille. La foule eut un hoquet de joie, puis un silence assourdissant emplit le dock. Déjà le corps sans vie d’Elvis était extrait de la fosse.

Mic le micro annonça le résultat du combat. J’appris que mon Fouineur avait résisté moins de cinq minutes et qu’on l’avait appelé “Tignasse”. Le borgne en était à sa troisième victoire ce soir, et réclamait déjà un prochain adversaire.

— Tu n’as qu’à prendre celui-ci, fit une bande de proDs déchaînés dans mon dos. Il sent la pisse, il manquera à personne.

J’avais vraiment mal choisi mon déguisement. Je compris pourquoi on laissait entrer les improDs.

La surprise était totale. Des bras me saisirent, et me firent passer par dessus la petite balustrade. Je fus jeté dans la fosse sans pouvoir m’y opposer. Je parvins cependant à conserver un semblant d’équilibre et réussis à retomber sur mes pieds. Je venais de comprendre quelle était la thématique de la soirée : combat à mort entre improDs, à moins que ce fut entre transoP et cul-plat. Je ne savais plus trop. Idées confuses. J’étais comme un animal blessé enfermé dans une cage. C’était ce qu’avait dû ressentir mon jeune ami. J’étais en panique, et en rage d’être tombé dans un piège aussi grossier. Mon cœur battait la chamade. Les boosT agissaient. Je devenais une cocotte-minute. Surtout ne pas s’emballer. Garder la tête froide. Le combat allait être un combat à mort.

“Suis mes instructions et tu t’en sortiras”. Une voix dans ma tête. Non, plutôt un chuchotement. Tom ? Comment était-ce possible ? Je regardai autour de moi, cherchant à capter un regard familier, une silhouette. Rien.

“Concentre-toi et fais-moi confiance”. Une nouvelle fois des instructions directement dans ma tête. Comme de la télépathie.

“Prépare-toi !”

Le borgne brandissait un poignard. Il me regardait avec appétit. Il m’adressa un rictus mauvais en relevant sa babine supérieure. Il lui manquait des dents.

J’étais à l’autre bout de la fosse. Un poignard aussi large que celui de mon adversaire avait été jeté au sol. Une lanière attachée au manche permettait de bien conserver l’arme en main. Mic le Micro annonça l’imminence du combat. La foule semblait encore plus dense, plus agitée et plus bruyante. Elle était frénétique. Bibendum affronterait Sent-la-pisse. J’avais mon nom de scène. Une corne de brume annonça le début des hostilités.

Le transoP bodybuildé chargea comme un taureau, et la fosse me sembla soudainement trop petite. Hélas, je n’avais pas le temps de poser de réclamations.

“Plonge !”,

Je plongeai sur le côté gauche du borgne en effectuant un roulé-boulé. Mais je ne pus contrôler ma roulade. Emporté par l’élan je fis une deuxième roulade et atterris sur le ventre. Pour la contre-attaque c’était raté. Bibendum s’était déjà retourné, et, porté par les acclamations des spectateurs, se ruait déjà pour un deuxième assaut. Son bras était armé pour porter un coup de taille décisif.

“A droite ! Colle-toi sur la paroi.”

Je choisis de l’attendre et, au dernier moment, je me plaquai à plat ventre contre une des parois latérales de la fosse. Le borgne avait frappé trop tôt et le coup porta dans le vite. Je l’entendis grogner tandis que son bras frappait dans le vide. Il tenta un demi-tour, mais emporté par son élan, il finit sa course le dos contre la paroi, à l’autre bout de la fosse. J’entendis le son mat de corps massif heurtant la surface en béton. Une clameur nouvelle emplit le dock. Certains membres de l’assemblée scandaient mon nom avec enthousiasme : “Sent-la-pisse”, “Sent-la-pisse”.

J’étais revenu à ma position initiale, celle du début du combat. Je serrai dans ma main droite le poignard, comme si je désirais qu’il s’incrustât dans ma paume. Mon sang ne devait plus circuler dans ma main, parcourue de fourmillements. En face, visiblement vexé et en colère, le transoP faisait aller et venir le poignard d’une main à l’autre. Son visage était déformé par la haine, et je compris que le troisième assaut serait le dernier. Pour confirmer mon intuition, Bibendum marcha vers moi calmement en occupant le centre de la fosse. Il avait les bras écartés et les jambes légèrement fléchies. Il était devenu ce fauve prudent qui cherche à capturer une proie difficile. Nos supporters respectifs donnaient de la voix, pour encourager leur poulain, dans cet ultime assaut.

“Crée une ouverture. Fais confiance à ta biosteel !”

Je me fléchis sur mes jambes, et allait à sa rencontre, en me protégeant la gorge de mon bras droit fléchi. Ma main droite posée sur l’épaule gauche, je dissimulai la lame tenue dans le prolongement de mon pouce, derrière mon avant-bras. Le colosse fit brusquement un saut devant moi, et étendit son bras droit brusquement, pour me frapper d’estoc à la poitrine. Je l’avais volontairement laissée sans défense. J’encaissai le choc, tandis que la lame éventrait mes vêtements crasseux, et atteignait la surface protectrice de ma combinaison en biosteel. Je sentis la lame glisser le long de ma poitrine, tandis que le colosse perdait l’équilibre. Je vis la surprise dans ses yeux, quand je déployai mon bras droit comme un ressort, pour lui frapper la gorge du tranchant de mon poignard. C’était un transoP au rabais. La lame trancha la peau, les muscles, les veines, la trachée aussi facilement que du beurre. Un geyser de sang vint m’éclabousser, tandis que le colosse poursuivis son chemin et percuta une des parois de la fosse. Encore une fois ma combinaison biosteel m’avait sauvé la vie.

“Bien joué !”


Le silence régnait dans le dock.

Le colosse était encore debout plaqué contre la paroi. Je me préparai à un nouvel assaut, quand il s’affala sur le côté, de toute sa hauteur et de tout son poids.

“Sent-la-Pisse”, “Sent-la-Pisse”, “Sent-la-Pisse”, la foule hurlait sa joie. Je triomphais. Je reprenais mon souffle quand, en regardant dans la foule, je repérais un visage qui m’était familier. Le charognard dans les gradins. Il me scrutait l’air déçu, avec une grimace en guise de sourire.

Comme à son habitude, Mic le Micro annonça les résultats du combats et les statistiques. Le colosse avait tenu trois minutes. J’appréciai la performance. Elvis était vengé. On me laissai le choix de mon prochain concurrent. Je désignais de la pointe de mon poignard l’homme que j’avais reconnu dans la foule.

Des bras allait s’emparer de lui, quand je le vis sortir un AED de son holster de taille. Ainsi, il y avait des privilégiés. Il avait pu conserver son arme. Ce salopard nous avait tendu un piège.

Il se dégagea, et tira sur deux des types qui tentaient de le jeter dans la foule. Des jurons et de cris suivirent les détonations qui avaient éclaté comme des coups de tonnerre. Légère fumée. Odeur de brûlé. L’assemblée se dispersa aussi rapidement qu’un vol d’oiseaux sous des coups de chevrotine. Le charognard suivit le mouvement. C’était le chaos. Mic le Micro exhortait chacun à garder son calme, tout en appelant la sécurité.

Je ne devais pas perdre une minute. Malgré la fatigue, je réussis à m’extraire de la fosse. Je retirai le haut de mes vêtements pisseux et déchirés, et je partis à la poursuite du vautour.

Les derniers proDs sortaient du dock en silence, les plus fortunés accompagnés par un ou plusieurs gardes du corps.

Dehors, le flot de robocars était brutalement devenu plus dense, et avait pris des airs de cohue. Une pluie fine rafraîchissait l’air, et une légère brume de chaleur remontait depuis l’asphalte de la route et le béton des trottoirs. J’essayai de repérer le charognard. Dans cet embrouillamini de corps et de véhicules, c’était difficile. Ma proie s’était volatilisée. ServCom muet. Silence dans ma tête. Comment retrouver le charognard dans ce chaos ambiant ? J’étais aussi aveugle qu’une taupe en plein jour.

Pour le moment, je ne voyais rien d’autre à faire que de m’échapper d’une zone, bientôt susceptible de fourmiller de drones anti-émeute. Je ne devais pas être identifié, et encore moins ligoté.


J’empruntais le même chemin qu’à l’aller. Un ensemble de ruelles mal éclairées par les derniers luminaires biolum encore en état de marche.

Je ne vis pas la silhouette qui m’attendait plaquée dans un renfoncement, entre deux immeubles désaffectés. Ils n’avaient pas encore été démolis, comme tous les autres autour d’ailleurs. C’est la décharge électrique à la base du cou, qui me rappela que j’aurais dû être davantage sur mes gardes. Le choc m’arrêta net et je m’écroulais à genoux d’abord puis sur le ventre, incapable d’effectuer le moindre mouvement. Tous mes muscles refusaient d’obéir. Une douleur atroce dans ma tête et une vilaine odeur de souffre. Un tir d’AED. Paralysant.

Un bruit de pas se rapprocha par l’arrière. Je pus voir des bottes en cuir synthétiques se placer devant mon visage. J’avais la bouche déformée par la douleur et un filet de bave coulait sur le trottoir crasseux. Je ne sentais plus mes membres, mais mon tronc et ma tête me faisaient atrocement souffrir, comme si des milliers d’aiguilles brûlantes étaient enfoncées dans ma chair. Mon cœur semblait s’être contracté, comme pris d’une énorme crampe.

Je reconnus sans peine le modèle de bottes qui me dévisageaient. C’était un modèle vintage, des old santiags, que l’on pouvait se procurer dans la boutique “El Paso”. Une boutique de mauvais goût pour les fanas de country. J’avais vu ce modèle plusieurs fois en me rendant chez le Farma. A chaque fois que j’avais le droit à une fouille en règle. Akba, le bras droit du Farma, celui qui nous avait tendu un piège, à Elvis et à moi, venait de me descendre. J’étais à sa merci.

En guise de salutations le vautour s’essuya une de ses bottes sur ma main droite. Heureusement, je ne sentis rien. Une décharge d’AED inhibait de nombreux messages nerveux. Le talon en résine synthétique m’écrasa le dos de la main. La série de craquements sinistres que j’entendis, comme des gâteaux trop secs que l’on broie, ne faisaient aucun doute. Il cherchait à réduire en poudre chaque petit os.

— Voilà maintenant on va pouvoir discuter, fit mon tortionnaire.

Je ne m’étais pas trompé. Cette voix sifflante, je la reconnus sans peine. Le porteur de bottes de mauvais goût était bien Akba le vautour, même si Akba le sadique aurait davantage convenu.

Il arrêta sa première salve de salutations pour s’accroupir. Il posa devant mon visage un pistolet AED, le canon posé au sol, il s’en servait comme d’une canne miniature pour se tenir en équilibre.

— Alors Monsieur Sirce, on me cherche, siffla t-il lentement.

— A’ec des ‘ottes ‘areilles c‘est ‘acile ! Parvins-je à dire. Visiblement je n’étais plus apte à participer à un concours d’éloquence. Seule la partie droite de mes lèvres pouvait bouger.

Avec le canon de son arme il me frappa le côté du crâne. Cette fois-ci la douleur fut intense, et il ne fallut pas longtemps avant qu’un liquide chaud me coule le long du cou et de la joue.

— On fait de l’humour Monsieur Sirce. Allons ! Allons ! Pas d’insolence je vous prie. Vous ne voulez pas m’obliger à vous casser tous les os du corps. Vous comprenez ? Pour ponctuer son propos, il se servit de son arme comme d’un marteau, et me fracassa le pouce de la main gauche.

Je ne sentais rien pour le moment mais le réveil serait douloureux. Si réveil il y avait. Car je devais bien me l’avouer, j’étais dans une situation quelque peu délicate, pour ne pas dire désespérée. Ce type était un sadique de première, et il irait jusqu’au bout de ses menaces. J’avais intérêt à le prendre au sérieux si je ne voulais qu’il me transforme en puzzle. Quitte à mourir, autant le faire en un seul morceau.


Je ne devais pas me laisser aller.

Il me fallait un plan.

Primo : gagner du temps

Deuxio : gagner du temps

Tertio : gagner du temps


— Voilà la règle du jeu Monsieur Sirce. Je vous pose une question et vous me donnez la bonne réponse. A chaque mauvaise réponse je vous casse un doigt. Quand vous n’aurez plus de doigts, je passerai à des parties un peu plus molles. Vous voyez c’est une règle assez simple. C’est assez clair pour vous Monsieur Sirce.

— Honhon, marmonnai-je pour lui signifier que j’avais compris.

Un flot de bave n’arrêtai pas de couler de ma bouche et une sorte de chuintement liquide accompagnait chacun de mes mots.

— A la bonne heure persifla t-il, j’ai toujours su que vous étiez quelqu’un de raisonnable, prétentieux, mais raisonnable. Bien maintenant que mes propos sont limpides, nous allons tenter d’y voir un peu plus clair. Je repose donc ma question. Pourquoi me cherchez-vous Monsieur Sirce ? Pourquoi avez vous collé ce freluquet à mes basques ?

— ‘est au su’et du Cataly’eur. ‘ous êtiez au Cataly’eur.

— A la bonne heure vous vous en souvenez. Soit, et après, aucune loi ne me l’interdit il me semble. Aux dernières nouvelles les narcobars sont des lieux publics.

— ‘ous ‘aisiez tout ‘our vous cacher !

— C’est parce que je fuis la célébrité monsieur Sirce. Mais bon assez discuté désormais. Vous avez quelque chose qui nous appartient Monsieur Sirce. Quelque chose que votre père vous a remis avant de mourir semble t-il ?

— De ‘uoi voulez-vous ‘arler ?

Crac. Mon index explosa sous le coup de grosse magistrale qu’il venait de me décocher.

— Une bonne réponse Monsieur Sirce. Souvenez-vous que des bonnes réponses.

— Oui il m’a remis des photos.

Les sensations nerveuses revenaient. La douleur aussi. Une douleur profonde, que mon sang réveillait à chaque pulsation cardiaque.

— Où sont ces photos ?

— ‘ur un nanoS.

Crac. Un annulaire en moins.

— Ça je le sais déjà Monsieur Sirce. Alors, où sont ces photos ? Attention il ne vous reste plus que deux doigts.

— Dans une plan’ue, chez des im’oDs. ‘ans le secteur huit. Il y a une ‘oîte ‘leine de nanoS.

— A la bonne heure Monsieur Sirce. Vous voyez quand vous voulez.

Il s’était redressé. J’entendis le sifflement caractéristique de l’AED qui passait en charge létale. J’allais mourir dans cet endroit dégueulasse.

— Ne vous inquiétez pas Monsieur Sirce, je ferai les choses plus proprement que pour Monsieur Perada.


WOUSHHHHHH!

Je ne sais pas d’où provint le tir. Il y eut juste le son caractéristique d’une décharge d’AED poussé à pleine puissance, et puis le visage du vautour qui vint s’écraser en face du mien. Il me regardait, mais son regard était aussi vide que celui d’un serpent. Sa langue sortait de sa bouche. Le blanc de ses yeux se grisait déjà. Des odeurs de chair brûlée et d’ozone empuantissaient les alentours. Une odeur d’urine également. Mon tortionnaire s’était pissé dessus.

Une séquence de pas saccadés raisonna dans la ruelle déserte. Quelqu’un approchait. Une ombre passa au-dessus de moi.

“Waldo, ça va ?” fit la voix dans ma tête. “Tiens le coup, je suis là !”

L’ombre se pencha avant de s’accroupir.

— Tiens bon Bébé Rose ! J’vais t’sortir de là amigo !, déclara mon sauveur.

Du coin de l’oeil je reconnus le visage balafré du sergent Quentin Wayedr.

— ‘utain, ‘lanche-Neige, chuis tellement content de te voir.


Je vomis et après je ne sais plus.

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