1.1 - L'émergence de la civilisation originelle

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Plusieurs vagues migratoires continuèrent à arroser le vieux continent, pendant plusieurs centaines d'années. La dernière d'entre elles fut plus brutale que les précédentes et apporta dans son sillage une connaissance jusqu'à alors inconnue : l'écriture. Nous sommes six mille ans avant la chute du royaume des Humains (a-crH), à une époque très reculée qui se refuse toujours à livrer ses secrets. Alors que les pré-sakases n'avaient pas encore fondé la moindre cité et que les Dragons rôdaient toujours dans les espaces lacunaires, une œuvre immémoriale, "Bâlâ Seh" ("les trois fléaux"), émergea de la nuit des temps.

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Pour certains, cet ouvrage écrit en langue originelle a voyagé avec la dernière vague migratoire qui vit un groupe d'individus s'imposer à l'ensemble des tribus pré-sakases, pour former leur élite. Pour d'autres, il est le fruit d'un développement endogène, et cette caste aurait simplement apporté la technique de l'écriture. Personne ne détient la vérité, car c'est une œuvre divine qui nous a été transmis par Érès lui-même, le père créateur. Toutes les réponses aux questions de notre genèse sont contenues dans ses pages, et bien plus encore. Il est aujourd'hui hors de portée du commun des mortels et indéchiffrable pour les non initiés ; une situation que les puissants nous ont imposés dès les origines, car l'ouvrage a une dimension religieuse que les Humains, aveuglés par leurs dogmes, ne sont assurément pas prêts à entendre.

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Nous savons de source orale que la tribu des Sogdaanes, dont est issu mon clan et dont nous avons ici la première trace historique, reçut l'enseignement de Bâlâ Seh. Elle était encore nomade, et même primitive. Elle le resta longtemps, ne s'autorisant que la domestication du cheval et la création d'outils sophistiqués. La tribu hérita naturellement de la lourde charge de propager la vérité divine, auprès des Humains à qui l'ouvrage fut destiné. Ce fardeau conditionna le destin de tous mes ancêtres directs pour les millénaires à venir. Je suis aujourd'hui l'indigne dépositaire de cette mission.

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Si l'écriture n'est pas encore notre source d'informations principale concernant ces temps anciens, l'archéologie et les récits traditionnels nous livrent suffisamment de matière pour nous éclairer sur la période en question, celle de la prise de pouvoir d'une élite commerçante et érudite. Les Sogdaanes, ainsi que les autres tribus pré-sakases nomades, s'inclinèrent face à ces hommes forts, derniers venus sur les Terres du Partage en ayant emprunté le même chemin que leurs prédécesseurs. Le processus qui conduisit à l'établissement d'un rapport hiérarchique strict entre dominants fraîchement arrivés et dominés déjà établis, fut toutefois long et douloureux. Il semblerait qu'au moins quatre siècles furent nécessaires pour imposer ce contrat social inégal. Les sépultures datant de cette époque indiquent l'existence de combats violents, bien qu'il pourrait très bien s'agir également d'une offensive des Dragons.

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Quoi qu'il en soit, les esprits finirent par s'apaiser en même temps qu'on assista à la soudaine sédentarisation d'une partie de la population pré-sakase sur l'estuaire du Cyclade. Parthénis fut ainsi fondée vers l'an 5500 a-crH. L'agriculture fit son apparition dans les années qui suivirent, sans qu'on ne sache si ce savoir-faire fut la conséquence de la sédentarisation ou sa cause. Cependant, tout nous indique que l'élite, ou la caste au pouvoir, fut à l'origine de cette double révolution. Elle parvint à imposer son modèle de société à l'issue du conflit qu'elle imposa à sa base. Certaines tribus résistèrent et continuèrent à arpenter la plaine d'Itaq, au nord ou à l'est de la mer Centrale. Elles se confrontèrent une nouvelle fois aux Dragons, avec moins de réussite que du temps de leurs hardis ancêtres. Pour certaines, leur trace se perd dans l'ardeur des combats entre les créatures solitaires d'un côté et les guerriers de Parthénis de l'autre. Les Sogdaanes, quant à eux, fuirent vers les plaines du sud et emportèrent Bâlâ seh dans leur sillage, car l'œuvre était menacée par la caste conquérante.

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Les siècles qui suivirent la fondation de la plus ancienne cité humaine virent l'émergence rapide de la civilisation. D'autres cités poussèrent le long du Cyclade, notamment dans la Kalésie actuelle, véritable cœur historique. Un commerce s'établit avec les Nordaléens, en amont du fleuve, et avec les tribus inaptes à la sédentarisation dans le sud de la mer Centrale. À mesure que cette civilisation s'étendait dans toutes les directions, les Dragons reculèrent puis se réfugièrent dans les montagnes, où la quiétude leur était accordé. Nul ne put arrêter l'irrésistible ascension de ce peuple d'agriculteurs, de marchands et de guerriers, initialement en Kalésie puis tout autour de la mer Centrale. Celle-ci devint une mer intérieure aux alentours de 5200 a-crH, lorsque des comptoirs furent fondés aux abords de la forêt Mouvante pour commercer avec les Nains. Ce sont bien les échanges qui motivèrent l'expansion sakase, avec les tribus nomades tout le long de la plaine d'Itaq, avec les Nordaléens sur le Cyclade, et avec les Nains sur la pointe sud de la mer Centrale.

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Dans un premier temps, les Sogdaanes continuèrent à parcourir les plaines du nord au sud et d'est en ouest, sans jamais se fixer. Les récits traditionnels de mon clan indiquent qu'ils échappèrent à l'extension irrémédiable de la civilisation en se déplaçant tout d'abord vers le désert, puis vers la forêt Mouvante et enfin vers la terre des Nains. La trace de Bâlâ Seh se perdit une première fois ici, en même temps que le nom de mon premier ancêtre se révéla à notre connaissance. En effet, c'est en un lieu tenu secret que Imagazoas, qui a donné son nom à mon clan, confia l'ouvrage divin aux petits êtres. Il s'assura ainsi de protéger la vérité insoutenable de son contenu à la prédation de Parthénis. Les membres de la maison naine des Kar'Gara firent le serment solennel de protéger Bâlâ Seh, au péril de leur vie si nécessaire et aussi longtemps que durera l'exil des Sogdaanes.

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L'empire originel sakase, nom qui fut retenu pour la postérité, atteignit un très haut niveau civilisationnel à partir du cinquième millénaire a-crH. La démographie bénéficia directement d'une agriculture surabondante facilitée par le limon fertile du Cyclade, les routes maritimes en mer Centrale se multiplièrent et offrirent le complément indispensable en ressources (métaux, bois, tissus, esclaves, etc.) et Parthénis témoigna de la richesse produite en édifiant des bâtiments administratifs plus somptueux les uns que les autres. Cette prospérité encore naissante attira très logiquement les convoitises, notamment celles d'un peuple guerrier redoutable dont les exploits sont encore contés aujourd'hui : les Nordaléens, qui s'avéreront être de précieux alliés pour les miens.

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