1.6 - Les siècles bâtisseurs

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Le peuple sakase que nous connaissons aujourd'hui et dont je suis l'humble représentant, naquit véritablement lors du troisième millénaire a-crH, sur les fondations de l'empire et des tribus barbares conquérantes. Le nouvel essor que connut Parthénis et sa région s'accompagna d'une redécouverte des traditions sakases antiques, de ses coutumes et de ses mœurs, considérées comme raffinées et gages de civilisation. Il n'était plus question, à partir de ces années, de se revendiquer Barbare. Le titre d'empereur échappa néanmoins à cette réappropriation culturelle. La Sakasie était en effet devenue une mosaïque d'entités politiques variées et les princes, chefs de clan, despotes, meneurs, et autres guides suprêmes n'avaient aucun intérêt à rétablir une fonction supérieure transcendant toutes les divisions. L'allégeance au roi, symboliquement élu parmi les descendants de Batrajès le Galopant, ne tenait qu'à la seule condition que son pouvoir ne dépasse pas l'enceinte fortifiée de Parthénis.

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Les sakases revisitaient leur passé, mais les modes de pensée avaient pourtant bel et bien changé, tout comme les références au divin. Le venin injecté initialement par le Mâz-habi s'était répandu et avait contaminé l'ensemble des couches sociales. Les faux mythes fondateurs furent définitivement adoptés, et la mémoire de Bâlâ Seh resta l'apanage de ses seuls protecteurs, dont je suis l'unique héritier. Le discours dominant était désormais celui d'une humanité choisie pour son ingéniosité et son héroïsme par Érès lui-même, destinée à vaincre les trois fléaux en réalisant le grand accomplissement. Folie que cela...

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Pour le clan Imagazoas, l'heure n'était plus à la suppression de la menace. Les guerres nordaléennes puis barbares, en leurs temps, avaient peut-être retardé l'échéance mais la civilisation s'en était toujours relevée. Kwanite le Bon, en s'opposant à sa sœur, avait parfaitement compris qu'il était vain de vouloir écraser les tentatives d'épanouissement des Humains. Les trois fléaux en ressortaient systématiquement gagnants. Il militait plutôt pour une lente rééducation des esprits et une préparation à la révélation des écrits de Bâlâ Seh. Le clan, par l'intermédiaire du Râzâdi, suivit cette ligne directrice jusqu'à aujourd'hui même si des épisodes de violence, subis ou provoqués, émailla encore de nombreuses fois l'histoire de ma lignée.

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En ce troisième millénaire a-crH, les descendants de Anamasthaé Longue-vie puis Kwanite le Bon accompagnèrent ainsi la nouvelle expansion sakase sans chercher à l'entraver. Après avoir repoussé les Shyves au-delà du fleuve Blanc, les Sakases avaient réinvesti la mer Centrale avec vigueur. Ils suivirent, finalement, une voie naturelle déjà débroussaillée par les anciens. L'expansion fut rapide et sans difficulté majeure. Il y eut peu de combats, si ce n'est contre des tribus hazalars querelleuses qui furent rapidement repoussées vers les plaines de l'ouest. Partout autour de la mer Centrale, excepté dans la moitié sud, on accueillit les Sakases à bras ouverts comme s'ils retournaient simplement dans leur foyer. Après tout, ils apportaient dans leur sillage le savoir, le commerce et la force, domaines qui en ces lieux oubliés avaient sombré dans l'obscurité.

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Ces conditions favorables permirent de restaurer une domination totale de la Sakasie sur la mer Centrale en moins d'un siècle. Vers 2700 a-crH, celle-ci était une mer intérieure comme elle le fut du temps de l'empire. Le roi fut à l'initiative dans cette rapide expansion, mais il n'en bénéficia pas. En effet, les territoires n'étaient pas conquis mais symboliquement soumis par un mariage aristocratique ou par le versement d'un tribut. La Sakasie, à cette période, était excessivement morcelée.

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Mon clan en profita pour développer ses liens ancestraux avec les clans nomades du sud et pour véhiculer la parole divine dans les régions les plus reculées. Mais la pensée hattiste, ou ériste, était désormais dogmatique et toute puissante. Certains de mes ancêtres le payèrent de leur vie. Ce fut le cas de Izonomée la Rude qui, dans le milieu de ce millénaire, osa dévoiler ce qu'elle connaissait des écrits de Bâlâ Seh dans le sud de la mer Centrale avant d'être finalement pendue à un arbre... Ce fut aussi le cas de l'un de ses petits-fils, Igar Bras Longs, qui fut jeté dans le fleuve des Esprits avant même de pouvoir partager ses connaissances. En ces temps de cristallisation intellectuelle, il ne faisait pas bon injurier les croyances locales.

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L'avènement de la deuxième civilisation sakase annonça néanmoins une période prospère qui resta en mémoire sous l'appellation des "siècles bâtisseurs". Les grands mouvements de population et les invasions tribales semblaient désormais appartenir au passé. Les principaux groupes culturels humains s'ancrèrent sur leur territoire et y marquèrent durablement leur présence. Ils édifièrent des cités, encore rudimentaires, là où il n'y avait que du vide. Bien que nous n'en conservons aucune trace, il est probable que Céren, Falsluna (cité mythique du lac des Légendes), ou Belandar (ancien nom de Dunarr), aient été fondées lors de cette ère de progrès technique. Les cités shyves de Dioniga et d'Istendria, quant à elles, étaient déjà développées et commerçaient même avec la mer Centrale à travers le Cyclade.

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Le monopole de la civilisation n'appartenait déjà plus aux Sakases. Hormis l'île d'Orcadie retombée dans l'oubli, le continent dans son ensemble vécut un essor inédit. Sans nul doute, si quelques petits royaumes barbares devaient certainement exister le long du fleuve des Esprits et du fleuve des Cités, la plus grande éclosion démographique et institutionnelle fut celle des Shyves. Primitifs à leur arrivée dans les Terres du Partage, ils évoluèrent vers un modèle inspiré de la civilisation sakase lorsqu'ils envahirent celle-ci. Leur présence dans le bassin du Cyclade fut relativement courte, mais suffisante pour y puiser les connaissances nécessaires à une progression vers un stade d'avancement supérieur ; jusqu'à la charge impériale, comme nous le verrons par la suite. Natarstée la Fine, qui ambitionnait d'éradiquer la civilisation sakase, fut donc directement à l'origine de l'éclosion shyve...

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Cet enracinement des populations humaines sur le continent entraîna mécaniquement un reflux des derniers Dragons vers des lieux plus paisibles, notamment dans les montagnes naines. Les petits êtres y vivaient encore en surface et gardaient des liens commerciaux étroits avec les Sakases. Quelques groupes étaient isolés de leurs congénères dans les forêts impénétrables des Terres du Partage. Ils avaient depuis longtemps évolué différemment, pour donner naissance aux Elfes, Gnomes, Lutins, Farfadets et Zaraats, que nous connaissons aujourd'hui et qui n'ont plus qu'un lien très lointain avec les Nains des montagnes du sud. Aux alentours de 2400 a-crH, une guerre terrible éclata entre ceux-ci et les Dragons. Elle dura 300 longues années et déstabilisa l'ensemble du continent par ses nombreuses répercussions et son extrême violence. Elle signa, aussi, la fin des siècles bâtisseurs et le début d'une ère troublée. Y compris pour mon clan ; car Bâlâ Seh, confié aux Nains par Imagazoas il y a plus de 2500 ans, fut fortement menacé de disparition dès le début de la guerre...

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