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Doki adorait l’hôpital. Il sautait en tout sens dans la salle d’attente, déchiquetait les magazines et les revues de presse, souriait à s’en briser les dents. Tout l’inverse de Lola pour qui la simple vue des blouses blanches et l’odeur du désinfectant suffisait à lui donner des sueurs froides.

Son père et elle attendaient sur des chaises si peu confortables qu’il semblait miraculeux de ne pas se casser le dos en s’y asseyant. La petite fille se laissa glisser sur le sol bleu et se recroquevilla dans le coin le plus éloigné de l’entrée. Aussitôt interpellé par cette petite masse en boule, Doki recracha les derniers morceaux de journal qui lui collaient encore aux dents et accourut auprès de sa protégée. Il la serra fort dans ses bras, ses griffes se glissaient sous les pans de sa veste et son ombre, immense, s’étendait jusqu’au couloir où se pressaient médecins et infirmiers.

— Qu’est-ce que tu fais par terre ?

Lola releva la tête vers son père qui lui tendait la main. Elle s’en saisit et s’extirpa de l’étreinte de son monstre. Les bras de son papa la réchauffaient pour quelques instants, ils la mettaient à l’abri du danger, loin des salles blanches et des stéthoscopes.

— Lola Duchêne ?

La petite fille extirpa son visage du pull de son père. Accompagnée de ce dernier, elle suivit la médecin avec un air morose et abattu sur le visage. Doki, précédemment déçu, retrouva son entrain. Lors des examens visuels que passaient sa protégée, il dessinait sur les murs des grandes traces rouges. Lorsque le résultat ne lui plaisait pas, il griffait, arrachait les pans de tapisserie et de plâtre (ou quelque matière que ce soit), puis recommençait.

Les adultes conversaient entre eux de l’état de la petite fille. Son œil droit avait encore baissé. Si cela continuait, elle pouvait perdre la vue, il fallait faire quelque chose. Comme tous les mois, on lui prescrit une nouvelle correction de verres et la sentence tomba comme la promesse de l’échafaud : il était désormais nécessaire de porter un cache tous les jours.

Le père de Lola régla les derniers papiers, puis l’emmena à la boulangerie au rez-de-chaussée de l’hôpital. Là-bas, il lui acheta un beignet au chocolat bien trop cher pour sa valeur et ils s’assirent tous deux sur un banc dans le couloir. Tout type de personnes déambulaient sur le sol plastifié. Des dames âgées, des hommes d’affaires pressés, des enfants enfiévrés, des femmes outrées, des messieurs fatigués, des bébés tout jute nés, un Doki surexcité… Lola mangea son beignet et le chocolat coulait sur ses doigts fins. Sur ses joues commencèrent à dégouliner des larmes. Le sel et le sucre se mélangèrent. Son monstre se figea, le regard fixé sur elle. Mais il n’eut pas le temps de la prendre dans ses bras glacés : son papa s’en chargea avant lui.

Lola pleurait, avalait, se mouchait, tout ça en même temps. Elle entendait les paroles de réconfort qu’on lui murmurait sans vraiment les comprendre. Elle voulait rentrer à la maison. À la place, on l’emmena chez un opticien pour commander les nouveaux verres.

La vie se comportait souvent comme une salope. À son âge, Lola ne pouvait pas encore comprendre toute la signification de ce mot, mais elle avait conscience que le prince charmant ne viendrait jamais la sauver. Seul Doki demeurait à ses côtés. Un monstre pouvait-il sauver une petite fille ?

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