Chapitre 4 - 1

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Agacé par les insinuations d’Elma, Serymar reparut à l’extérieur de la demeure. Il s’en éloigna prestement. Les cendres se soulevaient autour de ses pieds à mesure qu’il marchait. Le Mage traversa le vaste périmètre où se dressaient d’innombrables ruines d’anciennes habitations.

« Les plus méritants disparaissent au profit des plus vils. » songea-t-il avec amertume.

Autrefois, bien avant sa propre naissance, ces plaines étaient verdoyantes et chaleureuses. D’après ce que Serymar avait pu apprendre, il s’agissait d’une région saturée de magie dans laquelle vivait un peuple à la prestigieuse réputation, nommée Apokeraos. Un peuple au savoir avancé et qui faisaient partis des plus redoutables combattants. Des êtres au long corps de serpent avec de majestueux bois sur les tempes. Il se disait que le moindre individu naissait porteur de magie.

Deux cents ans plus tôt, cette mystérieuse malédiction toucha les Dragons, et cette région fut la première ravagée. Weylor étant reliée à leurs pouvoirs, les volcans s’étaient réveillés et l’apocalypse avait rayé de la carte une civilisation entière, pour ensuite être tristement renommée « Les Monts de la Mort ». Serymar regrettait de ne pas avoir eu le temps ni l’occasion de découvrir cette région prestigieuse avant sa destruction. Un peuple au savoir aussi avancé l’avait, comme beaucoup, très intéressé.

Même après deux cents ans, la nature n’avait pas réussi à reprendre ses droits. La terre et les montagnes étaient aussi noirs que la nuit et parsemés de cendres. Seul ce château en ruine tenait encore debout par miracle.

Tant de choses s’étaient déroulées depuis qu’il était ici. Il ne pouvait s’empêcher de trouver cela ironique. Un semblant de vie avait repris ses droits, finalement. Son cœur se comprima soudain au rappel d’un souvenir douloureux duquel il ne s’était jamais remis.
Voir ce panorama vide l’apaisait, comblant son besoin de solitude et de calme après son altercation avec Elma plus tôt.

Il s’immobilisa un instant et regarda le ciel comme s’il s’attendait à apercevoir un Dragon. Le Mage ne comprenait pas pourquoi ils avaient désigné un enfant pour le détruire et non un adulte accompli. Dans tous les cas, Karel aurait eu de sérieux ennuis et se serait retrouvé endoctriné, que cela soit par Serymar ou par cet homme à l’œil rouge. Le jour de la naissance de Karel, cet homme avait envoyé un de ses sbires le chercher. Serymar l’avait intercepté juste avant d’enlever Karel. Il avait aussi averti ses parents de se méfier de cet homme.

Il estimait néanmoins que les choses auraient été bien pires si Karel s’était retrouvé chez cette homme sinistre. Soit il serait devenu un monstre, soit il aurait trouvé la mort quelques heures après être né. Heureusement, la présence des Dragons restants limitait beaucoup les mouvements de ce que Serymar avait supposé être un homme, ne disposant pas d’indices autres que cet œil perturbant comme signe distinctif.

« M’éliminer ne résoudra pas votre problème. Un enfant à naître… n’avez-vous pas trouvé plus stupide, comme idée ? »

Ruminant ses sombres pensées, il s’aperçut que les vieilles ruines étaient désormais loin derrière lui. Il tourna la tête vers la barrière de montagnes sinistres qui protégeait la région. Ses yeux se voilèrent de tristesse.

« J’ai besoin de te voir… » pensa-t-il, soudain mélancolique.

Il marcha pendant quelques minutes encore, le temps de rejoindre la base des parois. Il posa sa main sur la roche à la recherche d’une entrée précise.

Lorsqu’il avait investi les lieux, il avait découvert une longue galerie un peu particulière. Il était connu que les pierres précieuses possédaient des vertus magiques si on savait bien les utiliser. Alors que Serymar était à la recherche de ressources pour rendre les lieux un peu plus vivables pour les humains qu’il protégeait, il avait découvert cette vieille artère qu’il avait exploité.
Après quelques minutes de marche, il retrouva enfin l’entrée dissimulée. Il posa sa main sur la paroi rocheuse et se concentra pour faire apparaître une ouverture par laquelle il s’engouffra.

L’intérieur était tapissé de cristaux du sol au plafond. La grande majorité des pierres précieuses brillaient d’une lumière enchanteresse, oscillant entre le bleu et le violet, témoignage de leur contenu enfermé par magie : des souvenirs. Serymar avait utilisé ces pierres pour sceller les siens dans l’espoir de les oublier, sans succès. Les souvenirs vibraient.
Le Mage s’enfonça dans les profondeurs de la caverne et ignora les différents échos autour de lui.

Son intérêt se porta sur un énorme bloc de cristal coincé entre le sol et le plafond. Il le fixa longuement et posa une main dessus. Ses doigts se crispèrent sur la surface lisse.

« Syriana. »

Sa vue avait beau lui être insupportable, il n’avait pu lui offrir une sépulture plus décente. Cet être à l’étrange œil rouge en était à nouveau la cause. Serymar se crispa lorsqu’il se remémora les mots de cette femme figée dans le cercueil de cristal.




« J’ai si peur… ces monstres, avec leurs inventions étranges… ils… imagine ce qu’ils pourraient faire ! Je ne sais pas ce dont ils sont capables. Mais… mais je suis certaine que tu vois de quoi je parle. »




Ces mots lui avaient fait profondément écho. Il avait ainsi emprisonné son corps dans ce cristal pour le protéger des dégâts du temps et de le cacher de son ennemi en scellant l’accès de cette galerie.

« Si tu savais… si tu savais à quel point j’ai besoin de toi. Je ne suis jamais arrivé à accepter ce qu’ils t’ont fait. » songea-t-il avec peine, le front collé contre la paroi froide.

Plus jamais il ne retrouverait la douceur de sa peau contre la sienne. Plus jamais il ne sentirait la douceur de ses cheveux sous son menton. Plus jamais il ne pourrait se perdre dans ses yeux émeraudes et encore moins s’abandonner dans la fascination qu’il éprouvait pour elle. S’il avait pu l’enterrer, il serait sans doute parvenu à faire son deuil depuis quelques années. Mais Serymar préférait subir cette attirance morbide plutôt que de courir le risque que ses ennemis souillent son corps une seule fois encore. Son poing se serra contre la surface transparente.

  • Un jour, je le ferai plier, promit-il dans un murmure à l’adresse de Syriana. Mais il faut que Karel s’accomplisse d’abord. Il n’est pas encore prêt à affronter les Dragons maudits, et encore moins ce monstre. Un peu de patience… un jour, tu auras droit à la sépulture que tu mérites.

Il se dégagea avec lenteur et ne put s’empêcher de poser encore une fois son regard sur les traits délicats de la défunte. Des traits très semblables à ceux d’Elma, à tel point que sa ressemblance le perturbait encore de temps à autre. Il y avait de légères différences, mais rien qui les démarquait de beaucoup. Syriana avait une peau de porcelaine alors qu’Elma avait de discrètes taches de rousseur éparses. Si leurs cheveux étaient identiques, ceux de Syriana étaient longs alors que ceux d’Elma lui retombaient seulement derrière les épaules. Elles avaient surtout exactement les mêmes yeux. Elma affichait parfois les mêmes expressions que Syriana, à tel point que par moments, Serymar devait se rappeler qui se tenait face à lui.

Une vibration insistante l’agaça au milieu de ce tombeau, le ramenant à la réalité, et lui rappela des sentiments bien désagréables. Quelque part sur le sol, un énième cristal diffusait le souvenir d’un humain qu’il haïssait de manière viscérale.

L’expression du Mage s’assombrit lorsqu’il se revit, couvert de sang rouge de la tête aux pieds, jusqu’au bout des griffes. Il faisait face de cet intrus et le toisait avec une haine incommensurable. Un jour maudit où Serymar avait été sur le point de perdre son sang-froid, menacé par une folie destructrice qu’il avait refoulé pour survivre.

Les mots prononcés par son ennemi résonnaient encore dans sa mémoire.

« J’ignorai que l’on pouvait blesser les monstres de cette manière… ».

« Toute cette histoire à cause de ce maudit… » pensa-t-il, réprimant avec difficulté la rage qui étreignait son cœur en cet instant. « J’espère que ton âme est en train de pourrir en enfer, ordure… pour ce que tu as fait, tu mérites la souffrance éternelle. Tout ce que j’ai pu t’infliger était encore loin d’être suffisant. Tu as tout intérêt à prier Illuyankas pour que je ne te rejoigne pas là où tu es dans le monde des Morts. »




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Suite ===>

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