Chapitre 10 - 1

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Monts de la Mort, cinq ans plus tôt.




En milieu de semaine, Elma décida d’explorer un peu les lieux pour se changer les idées. Quelques jours plus tôt, elle était restée dans sa colère et sa méfiance. L’ambiance lui paraissait trop étrange, et elle avait l’impression de vivre dans une grande cage vide. Était-ce ainsi qu’elle serait condamnée à vivre ? Elma avait pourtant longuement hésité à sortir de cette chambre, par crainte d’être encore abusée et malmenée.

Depuis leur dernière conversation, Elma n’avait pourtant plus croisé le Mage. Le peu qu’elle avait osé sortir, c’était à peine s’il lui avait accordé son attention. Il restait concentré sur ses livres et rouleaux à longueur de journée, à tel point qu’Elma n’avait pu s’empêcher de se demander avec ironie s’il ne dormait pas avec.

Dans le rez-de-chaussée, aussi sombre et abandonné que le reste de la demeure, elle fut surprise de passer devant une pièce complètement saccagée. Au vu de l’épaisse couche de poussière sur le sol et les meubles, cela avait dû se passer il y a très longtemps.

Le plus frappant restait les traces d’un ancien carnage. C’était comme si une bête enragée avait été lâchée à l’intérieur pour tout réduire en miettes. La violence avait dû être telle que plus personne ne semblait avoir osé y remettre les pieds. Tous les meubles étaient renversés sans exception, certains brisés, et de nombreux débris de verre et de tissus jonchaient le sol. Elma aperçut des traces de coups sur certaines pierres grises d’un des murs. Au vu des dégâts, ce devait être une force supérieure qui les avait déformés.

La jeune fille pénétra dans la salle d’un pas prudent et essaya de ne pas marcher sur un bout de verre. Elle ignorait ce qu’elle y trouverait, mais la curiosité faisait partie de ses défauts. Si elle pouvait en savoir plus sur son mystérieux gardien…

« C’est vraiment lui qui a fait ça ? »

Elma frissonna à cette idée. À première vue, son hôte semblait avoir des manières plus ou moins distinguées, mais peut-être n’était-ce qu’une façade dissimulant une personnalité sinistre.

Résolue, elle pénétra plus en avant dans la pièce, scrutant les moindres détails. Elle s’approcha du mur abîmé et aperçut des traces de griffures. Son hôte possédait des griffes à la place d’ongles… Qu’est-ce qui pouvait passer à une telle extrême ? La solitude ? Des drames ? Elma sentit son cœur se serrer.

« Alors lui aussi aurait été poussé à la folie du désespoir comme je l’ai été ? Il n’inventait donc pas en affirmant qu’il sait ce que je traverse ? »

Elle effleura du doigt les traces de haut en bas, ce qui amena son regard au pied du mur. Un objet était dissimulé sous l’épaisse couche de poussière. Délicatement, elle l’épousseta autant qu’elle le put et découvrit un calendrier qu’elle ramassa. Des traits d’encre s’y trouvaient de part à d’autre. Doucement, Elma plaça les lambeaux de manière à reconstituer l’objet sans le détruire davantage. Une rature avait été exécutée rageusement sur ce qui semblait être un cercle sur trois jours précis, recouvrant un nom qu’elle ne parvint pas à déchiffrer. Un signe était dessiné dans un coin, sous forme d’une rose, dont les pétales avaient été remplies d’encre blanche. L’année qui y figurait la stupéfia : une centaine d’années plus tôt.

  • Pose ça tout de suite, ordonna une voix menaçante.

Elma sursauta et se tourna vers le Mage qui la toisa pendant quelques secondes. Contre toute attente, elle se sentait très calme. Lorsqu’elle le toisa, elle décela plus un mélange de méfiance et de malaise mal dissimulés que de la menace.

Sans crainte, elle le rejoignit et lui tendit le calendrier en toute bonne foi.

  • Pas besoin de mal réagir, je suis tombée dessus par hasard. Je ne pouvais pas savoir que cela vous offenserait.

Le Mage lui reprit le calendrier mais ne répondit rien.

  • Qui était cette personne ? tenta-t-elle.
  • Cela ne te regarde pas, riposta froidement le Mage.

Elma le dévisagea.

  • Alors comme ça, vous aussi, quelqu’un vous a tout pris… c’était à cette douleur-là que vous faisiez allusion ?
  • Non.
  • Alors à laquelle ? J’ai besoin de savoir…
  • En quoi cela t’avancerait-il ? lui demanda-t-il sèchement.

Elma réfléchit à sa réponse. Elle analysa le peu qu’elle avait pu voir.

  • Contrairement à vous, je suis humaine, et j’ai besoin d’éléments pour réfléchir à une décision pareille, se justifia-t-elle. Comment être sûre de choisir la bonne option ?
  • Je ne choisirai pas à ta place.
  • Je sais, et je choisirai. Mais vous avez dit une chose… qu’il était stupide de se plaindre après avoir pris une décision. J’aimerai donc réellement ne pas me tromper. Et pour pouvoir vous répondre avec un esprit non embrumé comme vous le dites, j’ai besoin de réponses pour mener mes réflexions.

Silence. Elma s’impatienta.

  • Voulez-vous que je tienne parole, oui ou non ?

Encore un silence. Celui-ci dura un bon moment. Elma essaya de ne pas déglutir. Était-elle allée trop loin ? Elle se demandait si elle s’habituerait un jour à son regard analytique.

  • Je faisais allusion à la douleur inscrite dans ta chair et ta mémoire, révéla-t-il enfin. Cette douleur qui te fait souffrir même quand ton corps ne la subit plus. À ces images qui te harcèlent jusqu’à ce que tu en deviennes folle, alors même que tu cherches à les laisser de côté pour avancer. Des souvenirs si imprégnés à ton âme qu’ils ne te laissent aucun répit les nuits, alors que tu les désespères pour en disposer. Tu revis ces moments comme si tu y étais encore. Tu n’es qu’un corps, un jouet à disposition pour le plaisir malsain des autres. Lorsque tu te rends compte que ta volonté ne suffit pas, tu commences un suicide moral. Cela signifie que tu fermes ton esprit pour te couper de la moindre perception du monde et que tu rends ta mémoire incapable de réfléchir et de penser, jusqu’à oublier qui tu es. Pour ne plus ressentir et éviter la folie que tes pensées t’imposent malgré-toi. C’est une étape qui arrive quand tu as tout tenté après t’être relevée plusieurs fois. Quand la vie te dit que quoi que tu fasses… tes efforts sont condamnés à être vains.

Elma en resta abasourdie. Elle trouvait cette réponse un peu trop précise pour être inventée. Elle se reconnaissait au travers de cette description morbide.

  • Que… vous est-il arrivé ?
  • Assez de questions. Tu as ta réponse.



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