Chapitre 22 - 1

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Un semblant de sa conscience revint. Il sentit la lumière traverser ses paupières qu’il commença à ouvrir. Un panorama flou s’offrit à lui. Peu à peu, il ressentit la présence de ses membres. Combien de temps avait-il dormi ? Le Mage bougonna, immobilisé par un violent mal de crâne.

« Aller visiter des cachots au milieu des cadavres. Tu n’as pas trouvé plus stupide, comme idée, Karel ? »
Serymar ne s’était jamais imaginé qu’une maladie pouvait faire autant de ravages sur lui-même. Il commençait à mieux comprendre l’état des autres lorsqu’ils se trouvaient dans la même situation. Dans tous les cas, il ne souhaitait pas renouveler cette expérience.

Il avait l’impression que sa nuque était faite de verre et qu’elle était sur le point de se briser avec le poids de sa tête s’il osait bouger. De violents vertiges l’attaquaient aussitôt lorsqu’il essayait, réveillant d’anciennes blessures oubliées qu’il avait pensé guéries. Ses membres étaient si lourds qu’il peinait à se mouvoir.

Ses pensées étaient encore très confuses. Serymar se força à éclaircir ses idées sans se donner le temps dont il avait besoin pour réintégrer la réalité. Il détestait ne plus être alerte, il s’agissait là d’une faiblesse qui pouvait lui coûter la vie. La sienne, celle de Karel, d’Elma et de ceux qu’il devait protéger.

Un élancement au niveau de son cœur le paralysa sur place. L’esprit encore embrumé, il ne comprit pas. Il avait pourtant ensorcelé Elma pour la protéger d’Elkor, alors pourquoi la magie du pacte le punissait ? Il interrompit ses pensées perturbées. Ce lien n’était pas celui de la jeune femme.

« Raël. »

Que s’était-il passé ? Pourquoi Raël avait-il été agressé ? Au vu des derniers agissements d’Elkor, Serymar, habitué à toute forme de trahison possible et imaginable, s’était méfié. Il ne put que constater que son instinct ne le trompait plus dans ce domaine. Il était apparu évident au Mage qu’Elkor profiterait de sa faiblesse momentanée pour accomplir quelques desseins. Si Serymar était au courant de sa jalousie envers Elma, il ne s’était pas attendu à ce qu’il s’en prenne à Raël. Dans le cas où ce soupçon était avéré, Serymar ne voyait pas qui d’autre aurait osé s’en prendre au jeune homme. Si d’autres de ses contractants comptaient le trahir, ils ne s’étaient pas montrés plus agressifs que ça.

Il constata aussi que le pacte de Radôn s’était brisé et que trois autres liens le gênaient, ce qui ne fit qu’attiser sa contrariété : plusieurs de ces humains cherchaient donc à le trahir. Lassé de ces confrontations avec ces humains, Serymar décida d’effectuer un tri entre chacun de ses subordonnés de manière radicale. L’amertume le saisit à ce constat : seule la loi du plus fort semblait fonctionner. Il avait pourtant essayé de ne pas imposer sa présence la majorité du temps et de les laisser libre le plus possible, et voilà où ça menait : à la trahison.

Serymar se rendit enfin compte qu’il n’était pas seul.

  • Ravie de voir que vous commencez à revenir vers nous, Maître, fit une voix sur un ton neutre.

La tension de son corps se relâcha lorsqu’il reconnût Elma. Il soupira et tenta de réorganiser ses pensées encore confuses. Son souvenir le plus récent datait de la soirée où il avait absorbé le mal de Karel et ensorcelé Elma. Il avait succombé à un rude malaise vagal juste après et depuis, plus rien. Une gêne intense le gagna.

Elma répondit à sa question silencieuse :

  • Il s’est passé trois jours depuis l’autre soir. Karel va bien. Il a hâte de vous voir, d’ailleurs. Par contre, je pense qu’il serait sage que vous cessiez d’alimenter certains de vos enchantements, cela ralentit beaucoup votre rétablissement. Vous avez bien plus besoin de votre énergie pour vous-même, en ce moment. Bien que je ne sois pas insensible au fait que vous ayez préféré utiliser vos dernières forces pour moi, je vous ai trouvé inconscient d’avoir risqué votre vie de cette façon.

Elle se rapprocha un peu pour capturer son regard :

  • Parce qu’il s’agit bien de ça, n’est-ce pas ? Quand on utilise plus que ses propres ressources physiques en magie, on peut en mourir. Cela a du énormément vous coûter pour sauver Karel. Vous avez outrepassé vos limites pour moi et vos sortilèges, je me trompe ?

Serymar ne put que constater qu’elle avait beaucoup appris depuis qu’il l’avait recueillie. Encore une fois, il resta silencieux, trop affaibli pour parler.

Il leva avec difficulté la main gauche pour poser un doigt à la base du cou d’Elma. Il appuya dessus pour lui intimer de s’éloigner. Il ne réussit pas à grand-chose, mais Elma comprit le message et s’écarta. Elle ne s’en alla pas pour autant. Elle préféra lui tourner le dos pour éviter de croiser son regard, consciente du malaise qu’il ressentait à être vu ainsi. Serymar la remercia en son for intérieur pour ce geste.

  • Raël…
  • Tout va bien, assura Elma. Il est entre de bonnes mains.

Frustré, Serymar aurait voulu lui ordonner de lui dire la vérité, mais la force lui manquait. Il s’était passé quelque chose et il ressentait une envie furieuse de rappeler à Elma à l’ordre : il détestait quand elle se mettait à protéger ceux qui ne le méritaient pas. Il ne comprenait pas pourquoi elle faisait ça. Pourquoi tentait-elle de protéger Elkor, après tout ce qu’il avait fait ?

Il devait se rétablir au plus vite, avant que la situation n’empire. Ses sorts en cours ne faisaient que ralentir sa guérison. Maintenant qu’il avait enfin repris connaissance, il pouvait peut-être se permettre moins de barrières. Il allait commencer par le sceau invoqué sur sa porte qui ne tolérait que la jeune femme.

  • Elma.

La concernée lui prêta son attention.


- Ta main.


Surprise, la jeune femme mit quelques secondes pour réaliser ce qui allait se passer. Contrainte d’obéir, elle posa sa main dans la sienne à même le matelas. Serymar referma avec difficulté ses doigts dessus, et il la sentit frissonner.

Avec lenteur, il posa son pouce sur le nerf médian d’Elma. Ses muscles étaient tendus. Il la comprenait. Il aurait souhaité lui dire qu’il était navré pour ce qui allait se passer, mais n’en n’avait pas encore la force.

Il appela le peu de ressource qu’il avait récupéré et le projeta au travers du réseau nerveux d’Elma. Elle sursauta mais se fit violence pour ne pas se retirer. Serymar se concentra jusqu’à parvenir à prendre le contrôle de ses gestes en prenant garde à ne lui causer aucun mal. L’esprit plongé en elle, il ressentit de plein fouet toutes les émotions qui l’animaient : Elma prenait beaucoup sur elle pour éviter de s’affoler. Il la sentait trembler, perturbée à l’idée de voir ses mains se mouvoir sans qu’elle n’ait plus aucun contrôle dessus. Ses propres veines lui brûlèrent et les sillons argentés apparurent sur sa peau pour remonter jusqu’à ses coudes.

  • Non, Maître, s’il vous plaît…
  • Ne t’inquiète pas. Tu es la seule personne à ne rien avoir à craindre de moi, tenta-t-il de la rassurer par télépathie.

Il sentit Elma s’affoler de plus belle. Serymar comprit qu’il avait encore une fois été maladroit dans ses propos. Elle pensait qu’il allait absorber son énergie pour reprendre des forces. Il ne prit pas la peine de se justifier.

Utiliser ce sortilège mobilisait le peu de concentration qui lui restait. Il opta pour continuer à agir. Il sentit son sang s’embraser de plus belle. Cette sensation remonta jusqu’à ses épaules.

Il mobilisa toute la volonté qui lui restait et commença à former des signes complexes au travers des mains d’Elma. Il y insuffla le peu de ressource magique qui lui restait pour achever de défaire ses pièges magiques, en prenant garde à ne surtout pas flancher. Ce sort était dangereux, il pourrait aussi bien blesser Elma que se retourner contre son lanceur.

Quelques étincelles apparurent sur la porte de la chambre avant de mourir. Le soulagement envahit Elma. Elle venait de comprendre et son malaise disparut. Serymar en profita pour annuler le bouclier qu’il lui avait imposé. Enfin, il réintégra sa propre conscience. Cela fait, il lui relâcha la main.

Un puissant vertige le saisit soudain et le monde se remit à tourner très vite. Sa vue se brouilla, la voix inquiète d’Elma se fit de plus en plus lointaine. Son cœur palpita et aucun de ses muscles ne lui répondit. Il eut la désagréable sensation de chuter dans le vide et sa conscience sombra.

Suite ===>

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