Chapitre 22 - 2

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Il fut incapable de déterminer combien de temps son malaise avait duré. Cela faisait de nombreuses années qu’il n’y avait plus succombé. Le Mage entendit une voix lointaine qui lui semblait familière. Peu à peu, cette voix se faisait insistante, visiblement inquiète. Il aurait souhaité répondre qu’il allait bien, mais seul un faible souffle s’échappa de ses lèvres. Il retrouva le sens du toucher lorsqu’il sentit quelqu’un le secouer doucement par une épaule.

Une vive douleur dans ses poumons le sortit de cette torpeur avec brusquerie. Son corps sursauta, son mal de crâne explosa. Une violente quinte de toux le prit et il cracha du sang, qu’il dissimula dans son coude. Les sillons argentés avaient désormais atteint une partie de son visage. Il lutta contre l’envie de s’arracher la peau pour se soulager de cette sensation de feu dans ses veines. Serymar mobilisa toute sa volonté pour régler ce problème comme il en avait l’habitude : prendre conscience de son flux de pouvoir afin de le canaliser, jusqu’à ce que cette manifestation perde en intensité. Il ignorait ce qu’il adviendrait de sa personne si ces pouvoirs-là débordaient.

Elma le regarda d’un œil dur :

  • Vous n’en faites vraiment qu’à votre tête ! Le peu que vous avez récupéré, vous le dépensez mal !

Le souffle court, Serymar s’agaça :

  • Va t’en.

C’était plus une demande qu’un ordre, presque une supplication. Être le centre d’attention lui était aussi inconfortable que d’être vu affaibli.

  • Non.

Serymar lui jeta un regard glacial, elle ne cilla pas. Elma était devenue douée à ce jeu avec lui, ce qui l’exaspérait autant qu’il en éprouvait de l’admiration.

  • Je te… demande… pardon ? lui demanda-t-il faiblement sur le ton de la menace.

Elma ne se démonta pas. Elle avait une idée derrière la tête, c’était sûr. Il eut sa réponse lorsqu’elle reprit avec audace :

  • Eh bien, cette maladie vous a vraiment atteint, Maître. Vous devriez déjà savoir pourquoi j’agis envers vous de la sorte : je ne fais que respecter le pacte que j’ai signé avec vous. Vous savez, la clause qui m’interdit de me mettre en travers de votre chemin ?

Serymar se demandait bien quel argument Elma allait lui sortir pour obtenir ce qu’elle souhaitait. Elle profitait bien de la situation. Il la laissa continuer, trop épuisé pour s’engager dans un débat qui ne mènerait probablement à rien.

  • Ne pas agir au vu les circonstances est une violation de cette clause, s’expliqua Elma. Ne pas vous venir en aide est, il me semble, une façon de vous nuire de manière indirecte.

Serymar voulut ouvrir la bouche pour riposter, mais il n’en fit rien. Son esprit recommençait à être embrumé et il admettait que ce raisonnement se tenait. Cette vision des choses lui était inédite. Elma arrivait toujours à le surprendre. Il ne sut s’il en ressentait de la satisfaction ou, au contraire, une gêne. Peut-être les deux à la fois.

  • Laisse-moi, invectiva-t-il de nouveau. Dernière fois.

Elma plissa les yeux.

  • Vu la situation, il est temps que vous appreniez à compter sur vos alliés, non ?
  • Je n’en ai pas, riposta-t-il, glacial.
  • Si, il y a moi. Je vous en prie… laissez-moi vous aider comme vous l’avez fait pour moi autrefois. Je vous le dois, même si vous ne l’exigez pas. C’est… la moindre des choses, après tout ce que vous m’avez offert.

Serymar se détourna en lâchant un soupir. Elma lui jeta un regard dur.

  • Je suis sérieuse. Vous n’êtes pas le seul à avoir commis des crimes, et on vous considère comme si c’était le cas. Tuer quelqu’un, c’est grave. Quelle différence il y a entre vous et d’autres, sur ce plan ? Un meurtre reste un meurtre, je ne vois pas en quoi les vôtres doivent être jugés différemment des autres !
  • Ma nature.
  • Cette raison est aussi valable que celle qui consiste à s’en prendre à quelqu’un juste parce qu’elle aurait des yeux noirs ! s’indigna Elma.
  • C’est ainsi.
  • Je trouve qu’il existe bien pire que vous, et ils ne sont pas appréhendés, comme ces odieux Clans et les bandits, reprit Elma, plus posément. Contrairement à eux, vous n’agissez pas mal pour le plaisir, au contraire, vous détestez ça. J’estime que ça fait toute la différence, bien que vous gagneriez vraiment à réapprendre certaines limites. Vous n’êtes peut-être pas toujours obligé de tuer presque à la moindre agression pour vous protéger.

Serymar préféra ne pas répondre. Il n’avait plus la force d’expliquer son point de vue.

  • Vous m’avez aussi offert la possibilité de devenir moi-même, reprit-elle. C’est un cadeau que je n’oublierai jamais.

Elle hésita une seconde.

  • C’est un présent que vous auriez souhaité obtenir aussi. Croyez-moi, j’ai bien conscience de la valeur de cet acte.
  • Je ne t’ai offert… que l’emprisonnement à vie, contra-t-il dans un faible murmure.
  • Un prix bien bas pour ma part, au vu de tout ce à quoi j’ai droit en échange.
  • Elma… soupira-t-il.

Elle campait décidément sur ses positions. Serymar ne répondit rien, épuisé. Il jeta un bref regard vers ses mains. Les sillons argentés refluaient enfin, petit à petit. Il devait donc éviter d’utiliser certains de ses pouvoirs tant qu’il était dans son état actuel.

Elma baissa soudain les yeux. Cette attitude, il la connaissait, c’était quand elle tentait de contenir une émotion qui débordait. Sa théorie se confirma à la légère tension dans sa main, ce qui indiquait que quelque chose la bouleversait. Il se demandait à quoi elle pensait.

  • Vous… je vous suis sincèrement reconnaissante de m’avoir aidée à interrompre cette grossesse non-désirée sans m’avoir jugée.

S’il avait été au sommet de sa forme, Serymar l’aurait faite taire. Elle avait donc eu une mauvaise réflexion sur le sujet et n’avait pas su se défendre. Il envisagea d’organiser une séance d’entraînement avec elle régler ce problème. Il se souvenait à quel point il s’était senti révolté de constater les nombreux dégâts sur elle après l’enfer duquel elle était sortie. Elma avait eu une attaque de panique lorsqu’il l’avait mise au courant de son état et s’était effondrée en larmes.

Il avait alors passé du temps à lui apprendre à penser hors des convenances sociales. Il avait dû lui expliquer patiemment que refuser cette grossesse n’était pas un crime, tout comme elle était libre de la continuer. Serymar ne l’avait influencée en aucune des deux décisions, malgré les demandes d’Elma. Le Mage l’avait ainsi poussée à mûrir plus vite et à réfléchir comme une adulte avant l’heure. Dans tous les cas, à ses yeux, Elma en serait ressortie grandie et plus forte encore.

Il avait détesté cette intervention, même s’il n’avait pourtant rien fait d’autre que passer par des herbes médicinales. Ces quelques jours à essayer de la soulager lui avaient paru longs.

En dépit de sa fébrilité, Serymar posa sa main sur celle d’Elma. Il se souvenait à quel point cette épreuve avait été difficile pour elle et qu’elle devait encore douter de temps à autre de sa décision.

  • Ce n’était rien, lui assura-t-il dans un faible murmure. C’était… normal.

Il en était conscient : les mentalités n’étaient pas assez avancées sur le sujet, Elma trouverait difficilement du soutien ailleurs. Serymar ne comptait donc pas l’abandonner là-dessus.

  • Vous êtes bien le seul à le penser, remarqua Elma avec émotion.

Un court silence suivit. Elle reprit :

  • Aujourd’hui, c’est à moi de vous rendre la pareille. Alors s’il vous plaît, acceptez que je vous prouve que vous n’avez pas à regretter ce marché et essayez de vous reposer sur moi. Si vous voulez vous rétablir rapidement, vous n’avez pas d’autre choix que de me faire confiance. Vous l’aviez pressenti, de toute manière, non ? Ce fameux soir où vous avez sauvé Karel, lorsque vous m’avez demandé de prendre momentanément votre place.
  • Ordonné.
  • Peu importe. Vous êtes moins seul que ce que vous pensez.
  • Faiblesse.
  • Non… cela peut être une force formidable. Il est temps que vous en preniez conscience.

Elma se dirigea vers la porte et s’immobilisa.

  • Ce n’est qu’un juste retour des choses après m’avoir rendu ma dignité. Je vous laisse, à présent. Ce rôle temporaire que vous m’avez confié est très prenant et je tiens à honorer ma parole.
  • …hypocrite, lui envoya Serymar.
  • Je… je vous demande pardon ? questionna Elma, choquée par cette insulte soudaine.
  • Ose prétendre… que tu ne profites pas de la situation.

Elma se calma lorsqu’elle comprit son stratagème. Serymar avait usé d’ironie pour essayer de la détourner de son histoire. Il la vit s’autoriser une petite moue amusée.

Elle admit avec un petit sourire espiègle :

  • Peut-être un peu.

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