Chapitre 2 - 1

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Serymar faisait les cent pas dans le hall étroit. Une jeune fille le toisait avec froideur.

  • Je n’arrive pas à croire que vous allez faire ça !

Il s’arrêta et la fixa. Elle brava son regard perçant de ses yeux vert émeraude. Inutile d’expliquer. Personne ne comprendrait ses réelles raisons.

  • Tu n’as pas ton mot à dire, Elma.
  • Cette histoire est ridicule !
  • Je n’ai pas à me justifier.

Elma avait toujours été dotée d’un fort tempérament. D’ordinaire, Serymar l’appréciait pour sa franchise et son impétuosité. Mais en ce jour, cela l’irritait.

  • Les prophéties se réalisent toujours. Il n’est pas question que je reste les bras croisés face à cette menace.
  • Si quoi qu’il arrive, elles se réalisent, n’est-il pas vain d’agir à leur encontre ?
  • Pas si on trouve le moyen de les exploiter à notre avantage… et cet enfant nous y aidera.

L’adolescente blêmit. Elle avait désespérément tenté de le convaincre de ne pas commettre l’irréparable ces derniers jours. Sans compter le danger dans lequel il se mettait chaque fois qu’il quittait les Monts de la Mort. À court d’arguments, elle s’écria :

  • Je vous en supplie, ne faites pas ça !
  • Mêle-toi de ce qui te regarde. N’oublie pas les termes du contrat, lui rappela-t-il.

Elma se tut et serra les poings, frustrée de se sentir aussi impuissante. Serymar imposait ce pacte magique à chaque personne l’ayant supplié d’accepter leurs services. Cette garantie assurait ses arrières selon lui. Incapable d’accorder sa confiance à qui que ce soit, il ne tolérait la présence des autres qu’à certaines conditions.

Serymar s’immobilisa soudain et une expression de satisfaction étira ses lèvres fines.

  • Le voilà.

Sans un mot de plus, il se volatilisa sous les yeux d’Elma, qui bouillonnait de colère. Un cri de rage s’échappa de sa gorge et elle frappa le mur juste à côté d’elle. Imaginer ce que son Maître s’apprêtait à faire lui était insupportable.




§§§§§




  • Encore un effort !
  • Je ne peux pas ! Je n’y arriverai pas ! pleura Eylen.

La peur et la souffrance déformait ses traits. Son compagnon lui saisit la main avec vigueur et la porta à ses lèvres.

  • Ça va bien se passer… Eylen, nous sommes là !

Il ne savait plus quoi faire pour l’aider et supportait de moins en moins de se sentir aussi inutile. Son épouse était épuisée et à bout de force. Après plusieurs heures de travail, le bébé n’était toujours pas né. Sorel redoutait de les perdre tous les deux.

  • Nous allons y arriver, souffla la sage-femme. Il le faut.
  • Vous ne pouvez pas faire quelque chose avec vos inventions étranges ? s’enquit le jeune père.
  • Nos « inventions » améliorent beaucoup la vie des gens mais ne font pas de miracle, expliqua la sage-femme avec patience.

Elle refusait d’en dire plus, le couple était déjà suffisamment angoissé. Un accouchement pouvait toujours se révéler périlleux, surtout sur ce versant des Monts d’Onyx où la médecine était moins aboutie que de l’autre.

  • Que Crystal nous vienne en aide… pria le père en serrant la main de sa compagne.
  • Venez m’aider, Sorel.

La sage-femme plaça le futur père en bout de lit et se mit à côté d’Eylen. Elle apposa ses mains sur son ventre secoué de contractions. Elle la fit boire et lui adressa un regard encourageant.

  • Eylen, vous allez y arriver.

Tremblante et blême, la jeune femme acquiesça et gémit encore de douleur. La praticienne posa une main sur sa tempe et une douce lumière blanche émana de sa paume délicate. Eylen reprit un semblant de couleurs.

  • Vous avez besoin de vous concentrer, expliqua la sage-femme. J’ai atténué votre douleur. Maintenant, respirez et suivez mes instructions. Sorel, tenez-vous prêt à recevoir le bébé.

Le jeune homme acquiesça, aussi pâle que sa compagne. La sage-femme apposa ses mains sur le ventre d’Eylen et effectua quelques mouvements précis, en rythme avec les contractions qui survenaient les unes derrière les autres. Eylen inspira et expira de son mieux, comme elle le pouvait. Son corps était secoué de forts tremblements.

  • Inspirez, ordonna encore la sage-femme. Soufflez.

Eylen obéit tant bien que mal.

  • C’est bien. Encore.

La jeune femme s’inquiéta.

  • Je… je sens encore…

Une exclamation de douleur l’interrompit.

  • Le bébé est là, poussez !

Sur une contraction plus intense que la précédente, Eylen hurla et poussa de toutes ses forces. Sorel devint soudain livide. La sage-femme, inquiète, le rejoignit aussitôt et fut soulagée de voir le bébé. Elle prit le relais et l’extirpa.

  • Vous avez réussi, félicitations, Eylen !
  • Ma chérie, tu l’as fait ! pleura Sorel en la rejoignant.

Epuisée, Eylen était encore incapable de parler. La sage-femme fronça le regard. Pourquoi le bébé ne gémissait-il pas ? Avisant l’expression terrifiée des parents, elle les dissuada du regard.

  • Surtout, ne dîtes rien. Il respire. Je dois faire des examens.

Elle partit aussitôt s’isoler avec le nouveau-né dans la pièce attenante de la chambre.

Elle installa le nourrisson sur une table et effectua les examens de routine. Il respirait et bougeait. Elle soupira de soulagement. Au moins, elle n’aurait pas besoin de le réanimer.

« Tout va bien, pourtant… tout est normal… »

Elle l’examina de plus près et comprit enfin lorsqu’elle analysa sa gorge.

« Pauvre petit… mais tu t’en sortiras, j’en suis sûre. Tu as de bons parents. Ils t’aideront. »

Elle nettoya le nourrisson puis l’enveloppa dans un linge propre. Cela fait, elle le prit délicatement dans ses bras et retourna dans la chambre. Elle offrit un sourire rassurant au couple.

  • Tout va bien. Votre fils est en parfaite santé.

Eylen et Sorel soufflèrent de soulagement. La sage-femme donna le bébé à sa mère.

  • Il est seulement né avec une anomalie.
  • Quelle anomalie ? s’affola Sorel.
  • Ce n’est rien de grave. Votre fils est seulement muet.
  • Et… et ça se guérit ? Ce problème se soigne… n’est-ce pas ?
  • Je crains que son cas soit à vie. Je ne saurai que vous conseiller d’apprendre la langue des signes et de la lui enseigner en retour. Je vous enverrai un livre sur le sujet.

Elle ne se faisait aucun souci pour cet envoi. Elle avait beau vivre de l’autre côté du versant des Monts d’Onyx, qui séparait le peuple Avancé du reste de la population, la Tribu du Vent s’était toujours montrée d’une efficacité redoutable pour acheminer les correspondances à travers tout le pays. Bien plus que les inventions pourtant poussées de son peuple.

Elle sourit aux deux jeunes parents.

  • Alors… comment ce petit va-t-il s’appeler ?

Les parents réfléchirent pendant quelques instants.

  • Karel, répondit Eylen avec tendresse.
  • Merci… merci pour tout.
  • De rien. Je n’ai fait que mon devoir, répondit la sage-femme en s’éloignant vers sa valise. Je vais devoir vous quitter. Le navire de la Tribu de l’Eau partira demain, et d’autres patientes m’attendent. Je vais vous laisser de quoi me contacter. N’hésitez pas à me solliciter en cas de problème via la Tribu du Vent, je répondrais à vos questions sans problème. Je reviendrai aussi dans un mois pour voir comment vous vous portez, Eylen. Surtout, prenez soin de vous et faites-vous aider. Vous avez besoin de beaucoup de repos après cette épreuve. Je compte sur vous, Sorel.

Le jeune père acquiesça.

  • Merci, sourit Eylen. Vous nous avez sauvés.

La sage-femme leur sourit et commença à rassembler ses affaires. Encore une mission accomplie. Soudain, elle se figea.

« Attends… »

La mutité n’était pas un cas courant. Deux mois plus tôt, dans la structure où la sage-femme travaillait, une jeune fille de ce versant était venue échanger un livre sur la langue des signes contre des potions considérées comme miraculeuses pour le peuple des Avancés. Un savoir contre un savoir. Au début, la sage-femme n’y avait pas plus prêté attention, elle avait seulement été étonnée de voir une fille de si basse extraction posséder de telles choses et faire une demande aussi spécifique. Deux mois plus tôt. Cela remontait à la mort du Messager des Dragons.




Deux Sans-Pouvoirs pour lui donner corps et vie

Au prix du silence éternel.




La sage-femme devint soudain aussi blême que Sorel. Le Messager des Dragons avait payé cette annonce de sa vie. Peu de personnes avaient eu le temps de l’écouter. La sage-femme n’en avait entendu que quelques bribes lors d’une intervention au palais de Kyrma. Elle l’avait heureusement quitté peu avant le massacre, et avait jugé bon de garder le secret afin de ne pas connaître le même sort. Tout son être se glaça.

Des gémissements de terreur surgirent derrière elle. La sage-femme se retourna vivement et sursauta lorsqu’elle aperçut un étranger de dos, vêtu d’une cape noire usée qui faisait face aux nouveaux parents. Eylen serrait Karel dans ses bras comme pour le soustraire à la vue de l’étranger. La colère saisit la sage-femme et elle s’interposa entre le lit et lui, les bras écartés.

  • Monsieur, veuillez laisser ma patiente tranquille. Elle a grand besoin de repos et Karel aussi ! lui ordonna-t-elle. La journée a été difficile pour tout le monde, veuillez partir.
  • Oh, mais Madame ne m’intéresse guère, répondit l’étranger. C’est l’Enfant de la Prophétie que je veux.
  • Vous ne toucherez pas à mon fils ! vociféra Sorel.

Il se jeta sur l’intrus et celui-ci lui retourna le bras avec violence. Un craquement sinistre s’ensuivit et le jeune père s’écroula en hurlant de douleur. Cette démonstration de violence glaça la sage-femme qui sentit son cœur se serrer, lorsqu’elle constata qu’elle se retrouvait désormais dans le même état que Sorel ces dernières heures. L’idée de ne pas être capable de protéger ce bébé la terrifiait.

  • Je n’ai pas de temps à perdre, gronda le Mage.

Il leva rapidement sa main gauche, repoussant la sage-femme sur le côté qui lâcha une exclamation de surprise.

Durant un fugace instant, le Mage hésita, restant malgré-tout à l’affût du moindre mouvement. Il se reprit bien vite. Son temps était compté hors de sa cachette.

  • Prenez garde à l’œil rouge sans âme, annonça-t-il.

Ces mots dits, il ne perdit pas plus de temps. S’il restait ici davantage, la situation risquait de devenir dangereuse. Il disparut instantanément sous les cris déchirants d’Eylen.

  • Mon bébé ! Il a pris mon fils !



§§§§§

Suite ===>

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