/!\ Chapitre 25 - 1

6 minutes de lecture

Plus de 200 ans plus tôt.




L’adolescent ouvrit les yeux. Un violent sursaut l’anima quand il se rendit compte qu’il n’avait pas péri noyé, horrifié à l’idée de constater que même la mort lui était interdite. Assis et le cœur battant, il regarda autour de lui. Ses entraves glacées paraissaient lourdes sur ses maigres poignets. Le désespoir l’envahit lorsqu’il prit conscience de la dure réalité qui s’imposait à lui, aussi violente qu’impitoyable.

Sa vie avait si peu de valeur que même Illuyankas avait refusé de la récupérer. Il était condamné à une vie de souffrances éternelles.

L’adolescent frappa son poing valide sur le tapis en toile et une exclamation rageuse lui échappa. Un fort cliquetis de chaîne se fit entendre, mais il n’y prêta pas attention. Avec le temps, il s’était habitué à cette présence autour de ses poignets, ses chevilles, son cou et à sa taille, qui bloquait ses pouvoirs. Il sentit les désagréables pieux métalliques à l’intérieur des anneaux enfoncés dans sa chair, prêts à le paralyser s’il sollicitait la moindre once de magie. Du sang argenté suinta suite à son mouvement d’humeur et traversa son manteau abîmé. Il ne grimaça pas. La douleur faisait partie de chaque minute de sa vie.

Sa mâchoire se crispa alors qu’il constatait une énième fois que sa vie était aussi vide d’intérêt. Il avait aperçu des animaux bien mieux traités que lui. Des objets aussi, surtout ce bâtiment constitué de métaux et de rouages, déguisé en totem. L’adolescent lutta pour ne pas céder à la folie lorsqu’il repensa à tous ces pieux de métaux sur lesquels les elfes l’avaient empalé pour le vider de son sang. Après chaque séance quotidienne, il entendait ses tortionnaires commenter son état et se réjouir à l’idée qu’ils pouvaient aller encore plus loin, pour la seule raison que leur cobaye ne mourrait jamais.

Ne sachant pas compter, l’adolescent ignorait depuis combien de temps il agonisait. Dans son esprit, cela lui semblait une éternité. Son seul repère temporel était son propre corps : il se souvenait qu’il était très jeune quand toutes ces tortures avaient commencé. Depuis, s’il exceptait les difformités qu’il cachait sous son manteau, il avait pu constater qu’il avait une morphologie qui ressemblait de plus en plus à celle des adultes.

Submergé par son désespoir, l’adolescent saisit l’entrave autour de sa taille et se jeta avec violence contre le mur derrière lui afin de se blesser, dans le vain espoir d’achever sa vie en l’instant. Les pointes lui percèrent la chair de toute part, mais il était encore vivant. L’adolescent se saisit de l’anneau autour de son cou pour s’égorger lorsqu’un violent coup de canne s’abattit sur sa nuque. Il tomba à terre, sonné. Il avait la désagréable impression de s’être fait enfoncer un objet à l’intérieur de la colonne vertébrale.

  • Tiens-toi tranquille, tu me fatigues, le réprimanda une voix dure.

L’adolescent la reconnut aussitôt. Ses poings tremblèrent de colère. Il haïssait cet homme, plus encore que tous les autres elfes noirs de ce maudit clan. La honte le terrassait à chaque fois qu’il se souvenait d’y être né. Il jeta un regard assassin à son interlocuteur et à défaut de pouvoir se jeter sur lui, il cracha à ses pieds.

Un autre coup dans l’estomac le plia en deux.

  • Je ne comprends vraiment pas comment tu peux te montrer aussi irrespectueux envers la personne qui a permis ton existence ! le tança l’elfe avec froideur.

L’hybride fulmina. La réponse n’était-elle pas évidente ? Comment pouvait-il éprouver le moindre respect envers des gens qui n’en avaient absolument aucun pour lui ? Ce fut ce qu’il aurait souhaité prononcer sans y parvenir. Les mots restèrent coincés dans son être et empoisonnèrent un peu plus son cœur et son esprit.

Ils n’étaient pas liés par le sang. Sa mère avait été une elfe noire. Il ne l’avait jamais connue, et pour cause : le clan avait pour mœurs de mettre à mort leurs femmes après qu’elles aient donné la vie. Les elfes prétextaient un rituel consistant à transférer leur essence vitale au nouveau-né. Chaque enfant était élevé par un homme, et le clan n'avait de cesse de diminuer d’année en année.

Un jour, le vieil elfe l’avait rendu de force spectateur de cette sanglante tradition, ainsi que d’une « conception », sous couvert de tradition. S’il n’avait pas tremblé, il n’en avait pas été moins profondément marqué au point d’en avoir perdu le sommeil pendant plusieurs semaines. Cela avait inspiré une idée d’expérience de la part de ses bourreaux. Une étude consistant à l’empêcher de dormir et de se reposer le plus de temps possible afin d’en constater les résultats sur sa santé physique et mentale. L’hybride avait fini par faire un malaise qui avait duré plusieurs jours.

Il avait été élevé par cet elfe, dénommé l’Ancien. Le demi-elfe ne l’appréciait pas pour autant. Il gardait en tête le souvenir du jour où cet être l’avait vendu à ses congénères en lui faisant comprendre qu’il n’était qu’un précieux cobaye depuis toujours. L’Ancien s’était contenté de le maintenir en bonne santé. À ce jour, de par le manque presque total d’échanges verbaux, l’adolescent était incapable d’aligner plusieurs mots d’affilées. Le peu qu’il connaissait provenait de ce qu’il entendait autour de lui, et encore quand il n’était pas harcelé de menaces et de maux en tout genre, ce qui était rare. Lorsque le demi-elfe devait lutter pour endurer des souffrances parfois macabres, les sons se transformaient en cacophonie insupportable. La première et dernière fois qu’il avait essayé de s’exprimer, ses tortionnaires avaient eu l’idée de mener des recherches au niveau de sa gorge. L’hybride se souvenait encore avec épouvante de cette substance brûlante que les elfes l’avaient forcé à ingérer. Il avait cru avoir des charbons ardents à même ses poumons et à l’intérieur de son crâne.

Pour le peu de dignité qui lui restait, l’adolescent préférait donc éviter de leur donner une raison supplémentaire de le torturer. Comme tous les jours, de chaque mois, de chaque année. Ainsi préférait-il se taire et ne tenter aucune initiative sous leurs yeux.

L’adolescent fixa le vieil elfe d’un regard noir. Celui-ci s’appuya sur sa grande canne :

  • Laisse-moi te rappeler une chose, espèce d’ingrat ! Tu es une ressource précieuse. Tu es protégé de la convoitise des autres peuples ici, ne l’oublie surtout pas ! Tu as de la chance que nous n’ayons pas révélé ton existence à Weylor toute entière ! Mets un seul pied dehors et seul l’enfer t’ouvrira les bras.

L’hybride se raidit de colère. Parce qu’il devait en plus lui en être reconnaissant ? Comme toujours, il serra les dents pour empêcher toute tentative de verbalisation. La crainte était une entrave aussi lourde que ses chaînes. Il fixa l’Ancien d’un regard lourd de reproches en les lui désignant.

  • Nous avons tous la situation que nous méritons, cher bien, lui répondit l’Ancien, habitué à traduire ses expressions non-verbales.

C’en fut trop pour le demi-elfe. Il se jeta sur l’Ancien avec rage, mais la chaîne était trop courte pour lui permettre de se relever. La canne pénétra avec violence entre deux de ses côtes. L’adolescent en eut le souffle coupé et la douleur l’aveugla. À peine reprenait-il ses esprits qu’une sensation le glaça. Une gêne s’installa à l’intérieur de son crâne, aussi désagréable que si la canne s’enfonçait dans l’une de ses tempes. C’était comme si des serres s’étaient insérées au-dessus de son cerveau et y enfonçait les griffes. L’adolescent retint son souffle. S’il osait bouger, il serait blessé à l’intérieur même de son crâne. De force, ses pensées défilèrent de manière chaotique. L’Ancien lisait dans son esprit. L’hybride ne supportait pas cette pratique. Il se sentait mis à nu, sans plus aucun espace où il pouvait espérer s’isoler du reste du monde. Lorsque l’Ancien cessa d’utiliser sa magie, une expression mauvaise anima son visage ridé :

  • Tu penses donc que tu n’as rien demandé ? Arrête de te fatiguer pour rien. Tu n’as pas besoin de t’encombrer d’avis ou de réflexions.

Le demi-elfe garda la tête haute, afin de lui signifier qu’il camperait sur ses positions. Il ne s’empêcherait jamais d’observer et de penser, car il s’agissait de la seule chose dont il semblait capable.

  • Je vois. Tu veux donc être autre chose.

L’Ancien marqua une courte pause, sembla réfléchir puis il ordonna :

  • Très bien. Alors mérite-le ! Prouve que tu es une personne, si tu tiens à être considéré comme tel !

Il exécuta un geste de la main et les entraves tombèrent autour du demi-elfe.

Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 11 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0