Chapitre 49

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  • Debout, Karel !

Le concerné lâcha un soupir bruyant face aux secousses de sa sœur. Il bougonna : c’était « le » jour.

La veille, leurs parents étaient partis, les laissant à un forgeron qui semblait bien connaître Lya. Du peu qu’il en savait, il avait l’air d’être une bonne personne, mais Karel ne pouvait s’empêcher de ressentir un malaise depuis qu’il avait vu ses parents disparaître à l’horizon. Toujours cette crainte de l’abandon. Comme il avait décidé de faire l’effort de leur faire confiance, Karel fit taire ce sentiment et le refoula. Il verrait bien dans la semaine si la promesse serait respectée ou non.

  • Allez ! C’est notre premier jour, il ne faut absolument pas qu’on se loupe, cette fois ! insista Lya.

Karel se releva avec humeur et s’habilla rapidement. Il prit la peine de faire son lit d’un simple mouvement de la main, histoire de demeurer respectueux envers leur hôte. Lya le regarda bouche bée.

  • Comment tu arrives à faire ça ?

Karel regarda Lya avec surprise. Ne sachant quoi lui répondre, il haussa seulement les épaules et en profita pour faire de même sur le lit de Lya qui lui sourit.

  • Merci beaucoup ! Tu sais en faire d’autres, des trucs comme ça ?

Karel lui répondit qu’il n’en savait rien. Tous deux sortirent de la pièce afin de descendre dans la pièce principale où les attendait déjà le forgeron. Comme sa sœur, Karel était fasciné par le travail qu’il effectuait. Pendant qu’il mangeait, il ne put détacher son regard de leur hôte travaillant le métal. Comment lui demander de le lui apprendre à faire la même chose ? Encore une énième chose pourtant extrêmement simple pour n’importe qui, et qui se révélait particulièrement difficile pour lui.

Un autre problème lui sembla plus urgent pour l’instant. Le jour de leur entretien, les Sorciers de l’Académie ne semblaient pas tolérer qu’il utilise la télépathie avec sa sœur pour lui demander de l’aide. Au vu de ses quelques lacunes encore, ça allait véritablement poser un problème. Surtout si on les séparait. Si possible, Karel souhaitait se faire le plus discret possible, estimant que, sans rien faire de particulier, il s’était déjà fait beaucoup trop remarquer.

Alors qu’il réfléchissait, il dessina avec l’index de sa main libre un mot invisible à l’intention de sa sœur.

  • « Communication ? »

Lya comprit aussitôt.

  • Mh. C’est vrai que ça risque d’être compliqué… écoute, tu peux essayer de noter tout ce qui te semble important, et dès que l’on peut, je te corrige et je t’explique ? Ce n’est pas le mieux, mais bon, on n’a pas trop le choix. En attendant, on devrait peut-être s’entraîner encore à se faire discrets, non ? Parce qu’écrire des mots invisibles, au bout d’un moment, on va se faire griller… euh, pardon, je veux dire « remarquer ».

Karel fit la moue. C’était décidément… compliqué. Lya le regarda avec bienveillance.

  • En attendant, on peut continuer à t’entraîner sur le Weylorien, si tu veux. Ensuite, on s’invente de nouveaux codes secrets pour se parler en toute discrétion. Ça te convient ?

Son frère opina et lui prit la main pour activer un lien télépathique.

  • Merci.

Lorsqu’ils arrivèrent à l’Académie, Lyrielle les rejoignit. Les filles parlèrent de tout et de rien, et surtout de leurs artéfacts. Lyrielle invita évidemment Karel à présenter le sien.

Leur nouvelle connaissance lui semblant sympathique, Karel fit quelques efforts, bien que ce fut seulement lorsqu’on le sollicitait, et répondant de lui-même uniquement lorsque les réponses pouvaient être simples à donner. Evidemment, ce qu’il redoutait chaque jour arriva.

  • Dis, Lya, ton frère, il est vraiment timide… je ne vais pas te manger, tu sais ?

Lya fut prise d’un rictus nerveux, sachant très bien que son frère n’aimait pas ce genre de réflexion. Elle ignorait surtout combien de temps Karel prendrait sur lui aujourd’hui. Pour la première fois, son frère prit les devants, car s’il y avait une chose qu’il appréciait encore moins que de passer pour ce qu’il n’était pas, c’étaient bien les conséquences que cela avait sur sa sœur. Lya commençait peut-être à se faire une amie, et voilà qu’elle s’empêchait d’être honnête avec elle ! Tout ça pour… pour le protéger. Karel était prêt à tolérer certaines choses, tant que cela ne nuisait pas à Lya. Il estimait qu’elle en faisait déjà énormément pour lui.

Quitte à passer encore pour quelqu’un de bizarre, il sortit de son sac le cahier offert quelques jours plus tôt par ses parents. Karel ignora difficilement le regard étrange que Lyrielle lui lançait, de même que celui, surpris, de Lya. Il écrivit quelques mots rapidement avant de le mettre sous les yeux de leur nouvelle connaissance avec une expression sérieuse, légèrement contrariée, aussi.

  • « Je ne parle pas parce que je ne peux pas » ? lut à voix haute Lyrielle en lui jetant un regard étonné.

Lya fut toute aussi surprise, mais pas pour les mêmes raisons. La réaction de son frère la toucha. Elle avait pensé qu’il allait se refermer sur lui-même et laisser courir. Lya se sentait heureuse de voir son frère enfin s’affirmer un peu. Une joie la saisit lorsqu’elle vit les mots qu’il avait griffonné. Pour la première fois, il n’y avait aucune faute et la phrase était juste. Lya était impressionnée de la vitesse avec laquelle Karel apprenait. La ponctuation lui était encore un peu compliquée, mais au moins, le principal commençait à venir. Ce principe de la négation, sa petite famille ne le lui avait expliqué qu’une seule fois.

  • Désolée, mais… comment est-ce qu’on ne peut pas faire un truc pareil ? demanda Lyrielle.

Contrairement aux autres, elle ne se montra pas hautaine ou moqueuse, ce qui empêcha Lya de mal réagir. Pour commencer, elle rassura son frère pour lui dire qu’il ne s’était pas trompé pour une fois, via une main sur l’épaule et un rapide regard encourageant. Karel se sentit rassuré et retint un soupir de soulagement. Oser se lancer malgré sa peur d’être encore moqué ne lui avait pas été simple. Lya reporta son attention sur Lyrielle.

  • C’est bête ce que je vais dire, mais Lyrielle, toi aussi, tu es différente à ta façon. Personnellement, je n’ai jamais vu personne avec des yeux de deux couleurs différentes. Je sais que chez moi, il n’y a pas beaucoup de monde, mais j’ai vu plein de gens en ville, et tu as toi-même confirmé que ce n’était pas particulier à la Tribu des Glaciers. Tu es née comme ça, c’est tout. J’imagine que plein de personnes ont dû te le faire remarquer, parfois pas de la bonne manière. Ben mon frère, c’est pareil. Sauf que toi, ça ne semble pas affecter ta vue, et c’est une sacrée chance.
  • Comment peux-tu supposer que j’ai pu avoir ces remarques ?

Lya lui sourit malicieusement.

  • À ton attitude le jour des entretiens. Tu étais en retrait, tu n’as osé l’ouvrir que parce que j’avais osé la première et parce que je continuais à tenir tête. Et même là, tu ne sembles pas avoir envie de te moquer. Ta question est sincère.

Lyrielle la regarda, impressionnée. Elle ne fut pas la seule. Passé l’étonnement, Karel afficha une expression fière. Dans le fond, il n’avait jamais douté de la vivacité d’esprit de sa sœur. Pour la première fois, elle avait aussi réussi à clarifier la situation sans se laisser déborder par ses sentiments.

  • Ouais, bon, c’est quand même bizarre, faut avouer, s’excusa Lyrielle. Il faut s’y habituer. Et tant que j’y suis, Lya, c’est quoi, ta différence ? Autant déjà m’y préparer !

Lya élargit son sourire.

  • Moi ? J’ai un frère apparu de nulle part et qui ne ressemble à personne !

Afin d’éviter que son frère ne commence à mal le prendre par défaut de compréhension au vu de la tête qu’il commençait à tirer, Lya le surprit en l’embrassant sur la joue puis lui donna un petit coup dans l’épaule.

  • C’était un compliment, idiot !

Rassuré, Karel lui répondit par un sourire gêné. Il devait vraiment apprendre à faire de nouveau confiance. Il regretta de ne pouvoir l’exprimer, mais il trouvait que Lya était différente dans un bien autre sens. Son esprit était ouvert et alerte. Peut-être un peu à l’avance pour le temps dans lequel ils vivaient, aussi. Karel n’avait pas manqué de remarquer que Lya avait été la seule personne qui n’avait pas mis en doute sa mutité sans même en connaître l’existence. Elle l’avait seulement constaté et accepté comme s’il s’agissait d’une banalité.

  • Bon ! conclut Lya. Vous venez ? On va se faire tuer si nous arrivons en retard ! Des « ennuis », quoi ! ajouta-t-elle en se rappelant que Karel ne maîtrisait pas encore très bien certaines expressions.

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