Chapitre 16

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Le samedi matin German frappa à la porte de la chambre d’Eva.

« Bonjour Eva, désolé de vous déranger, mais j’ai une faveur à vous demander, j'ai besoin de vous ce soir.

- Ah ?

- J’ai un dîner avec un potentiel distributeur. Le problème est qu’il ne parle presque pas anglais, j’ai besoin de vous, en tant que traductrice.

- Oh très bien.

- J’ai demandé à Guiseppe de vous apporter une robe de la collection.

- Non, j’ai ce qu’il faut….

- Quoi ? dit German ironique. Vos vieux pulls trop grands.

- Mais…

- Pas de mais Eva, ce soir vous représenterez la marque Bouchard, pas question d’arriver en vêtement difforme et trop grand.

Les yeux d’Eva lançaient des éclairs, il en fut presque ravi. Il aimait la mettre hors d'elle, son iris devenait plus éclatant dans la colère, il trouvait ça charmant.

- À ce soir Eva, 19h dans le hall. Se retourna-t-il dans un sourire.

En milieu de matinée, elle réserva un vélo et se dirigea rue du repos. Lorsqu'elle pénétra dans le cimetière du Père-Lachaise où reposait l'urne de sa mère, une vague de tristesse la submergea. Elle traversa les allées jonchées de fleurs pour la plupart fanées. Arrivée devant le columbarium, elle s'arrêta. Elle ne se souvenait plus de l'emplacement. Elle en ressentit une culpabilité écrasante. Elle réalisa qu'un jour, même sa mort s'effacerait. Elle parcourut d'abord les épitaphes du bas, puis elle prit l'escalier et retrouva enfin la petite plaque grise sur laquelle ne figurait qu'un nom et une date. Elle avait tant à lui confier. C'était absurde, mais elle sentait qu'elle pouvait lui parler. Elle était sûre qu'elle l'entendait. Elle en profita pour lui déposer, silencieuse, ses chagrins et ses peurs, ses quelques joies aussi. La seule chose qui la désolait, était de ne pas pouvoir entendre le son de sa voix. Sa tonalité, sa douceur, s'évanouissaient dans le lointain de ses souvenirs. Les sons aussi s'effaçaient. Avant de partir, elle lui dit au revoir en déposant un baiser du bout des doigts sur son prénom. Elle ne savait pas si elle reviendrait un jour. La nostalgie qui l'assaillit l'habita le reste de la matinée. Jusqu'à ce qu'elle retrouve Lucile et Christine avec qui elle passa son dernier après-midi avant de reprendre l'avion le lendemain.

Elles passèrent un moment agréable toutes les trois. Eva revisitait Paris et la beauté de ses constructions. Chaque coin de rue suintait l'histoire, celle avec un grand H comme la plus petite. Rien aux Etats-Unis ne soutenait la comparaison. Elles montèrent jusqu'à Montmartre où elles s'installèrent à une terrasse prendre un café avec une vue imprenable sur Paris. En se quittant, elles ne se promirent rien. Elles savaient que cela ne servirait pas à grand chose. Elles profitèrent de ce temps accordé et emportaient chacune, une bulle de souvenir qui réchauffera leurs cœurs.

À 17h, elle rejoignit l’hôtel, Guiseppe l’ayant averti qu’il ne tolérerait aucun retard.

- Allez bella, c’est parti, on va commencer par une douche puis la coiffure et le maquillage.

- Guiseppe pas la peine d’exagérer, ce n’est qu’un repas d’affaires. Pas besoin de me transformer en pot de peinture.

- Tut tut un soupçon, ça ne te fera pas de mal, tu verras. Et German a insisté.

- Hum un vrai dictateur celui-là.

Guiseppe choisit une pièce simple et chic, noire. Une robe longue avec des manches en tulle cintrée en dessous de la poitrine dont le bas se terminait en un voile fleuri aux tons ocre rouge.

Les cheveux laissés pendus avec les côtés ramenés sur le derrière en une natte. Les yeux légèrement maquillés et les lèvres rosies par un gloss, Eva était méconnaissable. La robe lui allait à merveille et elle pouvait être l’égérie de Bouchard sans détonner.

- Whaou Eva, qui aurait pu imaginer ce qu’il se cachait derrière cette façade de fille fade et effacée. Il ne faut pas dissimuler une telle beauté mia cara.

Eva haussa les épaules. Elle était déjà en retard et se pressa pour rejoindre le hall. Une fois arrivée, elle vit German de dos avec deux hommes qui lui faisait face. Un homme d’une cinquantaine d’années et un plus jeune. Leurs regards se portèrent sur elle alors qu’elle avançait vers eux. German se retourna et resta quelques secondes à observer Eva, leurs regards s’accrochèrent, captifs l’un de l’autre. Elle était juste sublime, elle marchait avec prudence, lentement, vers lui. Hypnotisés, ils ne se lâchaient pas. Cette attraction enflait de jour en jour et German ne savait comment la contrôler. C’était bien la première fois que cela lui arrivait. L’un des deux hommes se racla la gorge alors que German et Eva se faisaient face. German sortit de sa torpeur et présenta Eva aux deux messieurs de chez Marceau maison de distribution des magasins "M".

Le repas se déroula sereinement, Eva traduisait quand des difficultés de compréhension survenaient. L’affaire s’annonçait plutôt bien. Avant le déssert, Eva s'excusa auprès de ses messieurs pour rejoindre les toilettes.

Elle se lavait les mains quand la porte s’ouvrit. Son sang se figea, glacé devant l’apparition d’une femme élégante qu’elle ne connaissait que trop bien. Celle-ci la regardait au travers du miroir, un sourire hostile sur les lèvres. Le ventre d’Eva se contracta, un frisson parcourut son dos.

- Je préférais le vérifier de mes propres yeux. Voyez-vous ma chère, j’ai très clairement cru avoir la berlue en vous apercevant ce soir. Cela fait combien de temps maintenant ? Dix ans ?

Eva joua la seule carte qui lui semblait plausible. 

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler….

- Allons, allons, ne faites pas comme-ci. Vous avez changé certes, mûri, mais vous êtes reconnaissable entre toutes. En tout cas, quelle que soit la raison de votre réapparition, je vous préviens, restez loin de lui sinon vous aurez affaire à moi.

- Parce que vous pensez que je pourrais avoir envie de le voir ?

- Ah, je vois que vous me remettez ! dit-elle dans un rire froid. Elle lui caressa la joue de son index. Un tel talent quel gâchis. Rappelez-vous seulement ce que je viens de vous dire, restez loin de lui.

- Pour ça, vous n’avez rien à craindre Tina, je resterais aussi loin que possible de votre détraqué de frère.

- Ce n’est pas très gentil de ta part, après tout ce qu’il a fait pour toi. Enfin, puisque nous sommes d’accord, je te laisse."

Tina Lombard sortit comme elle était venue avec majesté. Cette femme était un suppôt de Satan. Eva frissonna, catastrophée d’avoir été vu par la seule personne qu’elle n’aurait jamais dû croiser. Elle maudit Guiseppe de l’avoir rendue reconnaissable, elle se maudit elle-même d’avoir accepté ce voyage.

Elle sortit des toilettes, s’adossa au mur. La tête dans ses mains, des images du passé la submergeaient, un tremblement agitait ses muscles. Les plaies qu'elle pensait avoir fermées à jamais, saignaient à nouveau. Elle attendit, dans le silence angoissant des ombres de sa mémoire, que son malaise s'apaise.

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