Chapitre 2

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Lyra profita de l'atmosphère chaleureuse et familiale du déjeuner pour aborder le sujet de la lettre.

Bien que particulièrement vigilants ces derniers temps sur leur dépense, la table des Merryweather était toujours appétissante et réconfortante. Un faisan dodu et juteux, dernier trophée de chasse du père de famille, trônait fièrement au centre des plats. Des patates chaudes, des asperges à la vinaigrette, des petits pois au lard et aux oignons embaumaient toute la salle à manger. Affamés par leurs nombreuses activités du matin, la famille s’attabla avec empressement, couteaux et fourchettes en main.

Pour une fois, Lyra avait fait un effort vestimentaire. La jeune femme avait troqué son habituelle robe en mousseline lilas pour une robe empire jaune serin, ceintrée sous la poitrine. Sa large tresse pendait mollement sur son épaule gauche. La faim tordait son estomac, ou peut-être était-ce l'inquiétude.

  • Bonjour petite soeur, salua Enora, la deuxième de la fratrie. Alors tu as eu beaucoup de monde ce matin sur la place centrale ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la famille de Lyra la soutenait complètement. Depuis que la plus jeune avait découvert cette passion, ils aimaient se retrouver le soir pour se blottir dans les canapés du salon et écouter les histoires de la jeune femme.

  • Je n’y suis pas allée, concéda Lyra. J'aimerais vous parler de quelque chose.

Tous la regardèrent attentivement, n’ayant pas l’habitude d’une Lyra si sérieuse.

  • Je me disais bien que tu étais drôlement bien apprêtée, plaisanta Obélia, la troisième sœur, pour détendre l’atmosphère.
  • Notre petite chérie a peut-être trouvé la personne faisant battre son coeur ? C’est la raison pour laquelle tu t’es faite si jolie aujourd’hui ?
  • Non maman, souffla Lyra avec une grimace. J’ai reçu une lettre du château, enfin, plutôt une invitation. Pour le bal d’hiver. Et j’aimerais vraiment beaucoup y aller.

Des exclamations de surprise sortirent de la bouche des femmes autour de la table, en chœur.

Une fois sa demande formulée, Lyra lança un regard interrogateur vers son père.

Plus personne ne parlait et les sourires, il y a peu, jusqu’aux oreilles s'étaient à présent évanouis. Monsieur Merryweather posa ses couverts, s’essuya lentement la bouche, vida son verre de vin d’une traite et prit la parole.

  • Ma chérie, je me doute que la capitale peut te paraître palpitante et qu’un bal pour une conteuse comme toi relève de l’aventure. Mais tu sais déjà ce que j’en pense. Jamais plus un Merryweather ne mettra les pieds dans ce château.
  • Mais père ! s’exclama Lyra.
  • Il n’y a pas de “mais” qui tienne.

Le repas se termina rapidement dans une ambiance pesante. Les grandes sœurs de Lyra et leur mère essayèrent de changer de conversation, mais le père resta muet. De son côté, la jeune femme garda la tête baissée tout du long, se creusant les méninges pour trouver un moyen de déjouer l'autorité paternelle.

La faillite n’était pas le seul malheur qui avait frappé la famille. Autrefois, les Merryweather avaient été les puissants alliés du précédent roi. Leur titre s’élevait au rang de Duc et leur propriété était prospère et enviée de tous. Mais le roi, qui avait trahi son peuple en cédant ses terres à un royaume ennemi, fut destitué par Thelma, qui deviendra la nouvelle reine, afin d’éviter l’asservissement de son peuple. Bien que le roi était un couard abject, le duc de Merryweather lui avait juré allégeance. Par conséquent, il se trouvait être le premier obstacle à l’accession au trône de la reine Thelma. Afin de définitivement tirer un trait sur le passé et de construire un nouveau royaume, elle avait banni les Merryweather de leurs terres et leur avait retiré leur titre. Cependant, la souveraine, puisqu’elle ne souhaitait pas leur malheur, les avait éloignés dans la campagne de Rivermoore et leur avait cédé un domaine dans l’est de la contrée. Un endroit paisible loin des commérages.

Les Merryweather étaient alors devenus la risée de la noblesse. De simples seigneurs sans aucune fortune. Pire. Des traîtres.

Bien évidemment, la famille avait gardé une certaine rancœur vis-à-vis de la couronne. Surtout le père qui avait perdu à la fois sa place et son honneur.

Elle savait pertinemment qu’il ne changerait pas d’avis. Mais il était tout bonnement impossible pour Lyra de décliner l'invitation. Jamais encore elle n’avait reçu de lettre. À cause de leur disgrâce, la jeune femme n’avait pas eu l’occasion de participer à ce genre de festivité, mais elle en mourrait d’envie. La lecture de bon nombre de romans l’avait transportée dans des salles superbement décorées et fleuries pour l’occasion. Elle s’imaginait déjà la musique dans les airs, les tablées de petits-fours minutieusement préparés, les danseurs en tenues élégantes virevoltant à l’unisson. Et elle, au milieu de tout cela, narrant aux invités des exploits chevaleresques et des aventures romanesques.

Elle sortit de table mais fut rapidement rattrapée par ses sœurs et sa mère. Toutes les quatre lui intimèrent de les suivre dans le boudoir. Une fois la porte refermée, elles s’extasièrent.

  • Lyra tu dois y aller, ordonna gravement Cassandra. Un bal, un vrai bal !
  • Si tu ne le fais pas pour toi, alors fais-le pour nous, tes grandes sœurs chéries que tu aimes tant, s’apitoya Obélia.

Enora hochait vigoureusement de la tête, signe de son approbation.

  • Ma chérie, ajouta Madame Merryweather, ce sera une si belle expérience. Comme j’aimais danser lors de ces évènements. Vous savez, c’est à l’un de ces bals que j’ai rencontré votre père. Il était si beau dans son costume et si galant.

Les joues légèrement rosies et les yeux pétillants d’une jeunesse retrouvée, la mère de famille s’échappa un instant dans ses souvenirs.

  • Mère si je vais à ce bal ce n’est pas pour…
  • Tut tut tut, mais tu vas aller à ce bal !

Enora, qui jusqu’alors n’avait pas ouvert la bouche, sourit malicieusement.

  • Marie t’aidera à te préparer, et il faudra trouver une excuse pour justifier ton absence à papa, mais pour le transport j’ai une idée. Marco possède une petite calèche, je suis persuadée qu’il acceptera de nous la prêter ainsi que son cocher.

Marco était le fiancé d’Enora. Le fils d’un riche bijoutier de la région. Un jour qu’il se reposait près d’un buisson dans la campagne, un impressionnant étalon noir avait sauté par dessus l’arbuste et le dormeur. Une femme vêtue d’un ample pantalon, les cheveux au vent, montait le puissant animal. Agacée par ce paresseux gêneur, elle l’avait disputé avant de repartir au galop. Par la suite, Marco avait remué tout Rivermoore pour retrouver la mystérieuse cavalière. Après plusieurs rendez-vous galants, il l’avait demandée en mariage le premier jour du printemps. Le jeune homme était, paraît-il, tombé éperdument amoureux du tempérament de feu d’Enora. L’âme particulièrement romantique, il avait insisté pour que la cérémonie se tienne l’année suivante à la même date que la demande.

  • Je m’occuperai de votre père, accepta solennellement Madame Merryweather. Maintenant, Lyra, ne te soucie plus de tous ces détails et occupe toi seulement de ta performance.
  • Oh ! trépigna Obélia. Tu pourras raconter l’histoire de la Dame à la lanterne ? C’est de loin ma préférée.

Lyra, touchée par l’implication de sa famille, la serra fort contre son cœur. Elle promit à Obélia de conter la Dame à la lanterne, mais surtout, de leur détailler toute la soirée à son retour.

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