Chapitre 3

6 minutes de lecture

La calèche dodelinait capricieusement sur le chemin rocailleux. La tête de Lyra reposait sur le carreau de la fenêtre. Tout en fermant les yeux, elle repensait aux événements qui venaient de se dérouler.

La semaine qui précéda le bal, Lyra la passa à répéter encore et encore pour être parfaite. Ses gestes, ses intonations, ses dialogues, rien n’était laissé au hasard.

De son côté, Marie, déçue de ne pas avoir pu faire confectionner un ensemble par la modiste, remit au goût du jour une superbe robe rouge écarlate qui appartenait autrefois à Cassandra. Tous les préparatifs étaient fin prêts. Marco avait bien évidemment tout de suite accepté la demande de sa fiancée, incapable de lui refuser quoi que ce soit. La veille du bal approchait plus vite que Lyra ne l'espérait. Une certaine angoisse commençait à méchamment lui tordre le ventre. Il fallait compter une journée entière de route avant d’arriver à la capitale, puis deux jours de festivités. Leur stratagème allait-il fonctionner ?

-§-

Après avoir fait croire à son père qu’elle était souffrante et resterait couchée cinq jours à cause de ses douleurs menstruelles, Lyra avait enfilé une tenue confortable et était sortie une fois la lune haute dans le ciel. Monsieur Merryweather, qui avait l’habitude avec cinq femmes à la maison, n’avait pas posé plus de questions, trop absorbé par ses calculs de pertes et de bénéfices. Alors aidée de ses soeurs, de sa mère et de la femme de chambre, Lyra était montée à bord de la calèche et s’était enfuie dans l’obscurité de la nuit.

Le cœur de Lyra tambourinait dans sa poitrine d’excitation et d’une légère anxiété. La noblesse, la cour royale, les bals, tout cela lui était parfaitement inconnu. Malgré les nombreux conseils de sa mère, Lyra appréhendait. Les invités, sans aucun doute tous prestigieux, remarqueraient-ils qu’elle n’était que la fille d’un seigneur de province ? La reine allait-elle réellement la laisser prendre la parole devant tout ce beau monde, elle, une fille de traître ?

À cette pensée, la jeune femme resserra sa prise sur le sac de voyage placé sur ses genoux. Elle avait emporté le strict minimum : des vêtements de rechange, sa robe de bal, son roman préféré, un peu de maquillage, de quoi orner sa chevelure, ainsi que des objets de première nécessité.

Tout en se remémorant pour la énième fois le fil d'Ariane de son récit, Lyra ferma les yeux et s’endormit paisiblement.

-§-

  • Mademoiselle, nous arrivons à la capitale. D’ici, vous pouvez apercevoir les tours du château, s’écria le cocher du haut de son siège.

Ravie que ce trajet aussi long qu’inconfortable se termine enfin, Lyra ouvrit la fenêtre en grand et laissa l’air frais de l’extérieur s’engouffrer dans la calèche.

La capitale Silverthrown était, paraît-il, la plus belle et la plus harmonieuse ville du pays. Cette allégation était fondée. On trouvait divers rangs sociaux allant des plus pauvres orphelins aux plus riches héritiers. Cependant, il est important de préciser que toutes ces personnes ne se côtoyaient pas. Bâtie sur une ancienne colline, Silverthrown était scindée en trois parties, divisant ainsi la population en trois étages: le bas, le milieu et le haut de la capitale.

Le bas de la capitale, où se trouvait actuellement Lyra, regroupait les personnes de rang dit "inférieur", les paysans, les boulangers, les forgerons, les constructeurs... Bien que n'étant pas conviés aux festivités de ce soir, les habitants du bas de la capitale s'affairaient gaiement à parsemer les rues et les balcons de fleurs aux parfums entêtants et de banderoles colorées. Le sourire aux lèvres, les adultes riaient et se taquinaient, pendant que les enfants jouaient avec des cordes à sauter et des cerceaux en fer. Jamais Lyra n'avait vu des personnes aussi heureuses de se préparer pour un événement auquel elles ne participeraient pas. La calèche continua son chemin en laissant derrière elle l'effusion d'excitation et de bonne humeur des habitants du bas de Silverthrown.

Lyra poursuivait sa route en remontant vers le milieu de la ville. Ici vivaient les personnes plus aisées comme les médecins, les bijoutiers ou certains marchands fortunés. Plus la voiture montait vers le sommet de la capitale et plus le paysage changeait. Les maisons devenaient plus intimidantes, plus colorées, plus fleuries. Les rues, qui avant étaient tracées par des chemins de terre ou de gros pavés grisâtres, semblaient à présent représenter des motifs complexes et sinueux à l’image des mosaïques antiques. La végétation, finement taillée, indiquait sans nul doute la direction du château. Arbres, buissons, parterre de fleurs, rien n’était laissé au hasard.

Contrairement au bas de la ville, peu de passants flânaient dans les rues. Pas d’adultes heureux de festoyer, pas d’enfants jouant gaiement. Les nobles étaient probablement trop occupés à se préparer pour le bal. Les hommes devaient en ce moment même tailler leur barbe et leur moustache, faire cirer leurs chaussures et ajuster leurs boutons de manchettes. Les dames, quant à elles, devaient être en train de se parfumer allégrement, rembourrer leur corsage et appliquer un léger maquillage, subtil mais sensuel.

La calèche s’arrêta finalement devant l’entrée principale du château.

Lyra en sortit précipitamment, n’attendant pas l’aide proposée par le cocher. Elle se retrouva face à de grandes marches d’un blanc éclatant. Deux par deux, sac en main, elle les grimpa avec l’aisance et la grâce d’une fermière.

En haut des marches se tenait, droit comme un pic, un valet de pied à l’air maussade. À la vue de cet énergumène, il ne put s'empêcher de hausser un sourcil tout en retroussant son nez pointu.

  • Bonjour, souffla Lyra entre deux respirations sifflantes. J’ai été invitée par sa Majestée au bal de ce soir.
  • Votre invitation Mademoiselle, récita mollement le domestique, la main tendue.

La jeune femme tâta les poches de sa cape, de sa robe. Pas de lettre. Prise de panique à l’idée d’avoir oublié son billet d’entrée pour l'événement de l’année, voire même de sa vie, elle s’agenouilla à terre, cherchant frénétiquement le bout de papier dans son sac. Les joues rougies par l’angoisse et par l’embarras dans lequel elle se trouvait, elle était néanmoins heureuse que personne d’autre que ce valet de pied ne la voit dans une situation si incommodante. Ses cheveux s'emmêlèrent devant son visage, brouillant sa vue. Du bout des doigts, elle sentit enfin le papier qu’elle extirpa de sous ses vêtements. Victorieuse, elle allait le tendre au valet de pied quand un homme vêtu d’une longue cape blanche la bouscula franchement et lui passa devant. Il déposa discrètement un parchemin enroulé dans la main du domestique. Un deuxième témoin de son embarras, et un malappris de surcroît !

  • Excusez-moi, s’indigna Lyra en tapotant l'épaule de l’inconnu, loin de moi l’envie de paraître grossière mais j’étais devant vous.

Pour toute réponse, l’homme se retourna brièvement vers elle, juste le temps pour que Lyra découvre que son visage était entièrement dissimulé sous un masque doré. Il souffla bruyamment tout en regardant le valet de pied. Bien que parfaitement neutre, l’expression derrière son masque semblait demander ce qu’une roturière venait faire au palais. Lyra fulminait de colère devant cet être indélicat. Et elle ne dissimulait pas son mécontentement. Habillé de la sorte, il tenait plus du pantin que de l’homme.

Après une brève salutation au domestique, sans une once de considération pour Lyra, l’homme masqué s’engagea dans le long corridor puis disparut derrière une colonne.

Bon débarras.

Lyra se concentra sur son objectif premier. Elle déposa fermement son invitation dans l’autre main du valet de pied, peu enclin à la discussion et toujours aussi maussade. Elle rassembla rapidement dans son sac ses effets personnels éparpillés au sol, puis passa les grandes portes de marbre avant de s’engouffrer à l’intérieur de la demeure la plus luxueuse et la plus grandiose de tout le pays.

Toutefois, elle ne put s'empêcher de repenser au léger frisson d’inconfort qui l’avait parcourue quand l’inconnu l’avait bousculée. Un mélange de peur et de profonde colère.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire NeverlandClochette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0