Chapitre 4

7 minutes de lecture

Lyra attendait, pensive, assise sur l’un des canapés du salon d'Émeraude. Un salon portant drôlement bien son nom. Du mobilier à la tapisserie, du plafond aux coussins, des peintures aux tentures, la pièce entière était exclusivement composée de diverses nuances de vert.

D’ordinaire, Lyra appréciait cette couleur qui lui rappelait les collines verdoyantes et les printemps ensoleillés. Le vert, la couleur de la vie. Pourtant, ici, elle ressentait principalement un sentiment de malaise. L’air en devenait suffocant et les différentes teintes de vert rendaient la jeune femme nauséeuse. Après toutes les merveilles qu’elle avait entendues à propos du château de Silverthrown, Lyra était presque déçue. Cette pièce était tout simplement laide, décorée de façon grossière et ostentatoire. Les nombreux chandeliers couleur bronze se disputaient la place sur la devanture de la cheminée, l’horloge incrustée de verre et de joyaux cachait une table en acajou finement sculptée et les coussins de fourrures prenaient tellement de place sur les fauteuils que Lyra n’y avait posé que la moitié de son postérieur de peur de les froisser.

La jeune femme finit par se demander ce qu’elle faisait là. Loin de ses proches, dans un monde qu’elle ne connaissait pas, entourée de personnes indifférentes et de mochetés vertes.

On frappa finalement à la porte et une jeune domestique fit son apparition. Menue et pas très grande, elle fit face à Lyra. Ses cheveux blonds comme les blés retombaient gracieusement le long de ses épaules en deux nattes parfaitement coiffées. De légères tâches de rousseurs parsemaient le bout de son nez et ses pommettes roses.

Ainsi vêtue de son uniforme bleu ciel repassé, elle ferait pâlir les plus belles poupées de porcelaine, pensa Lyra.

Timide, la tête baissée, la femme de chambre - qui ne devait pas avoir plus d’une quinzaine d’années - murmura d’une voix fluette à peine audible.

  • Je me prénomme Madeleine. Je serai votre femme de chambre attitrée tout le long de votre séjour. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites le moi savoir. C’est un plaisir de travailler pour vous Mademoiselle, et elle termina sa phrase par une rapide révérence.
  • Ravie de te rencontrer, s’émerveilla Lyra devant sa candeur et sa douceur.

La petite demoiselle de chambre était bien loin de ressembler à Marie. Mis à part l’écart d’âge, Madeleine paraissait aussi douce qu’un agneau, à peine expérimentée et tirée à quatre épingles. Marie, au contraire, jurait comme un charretier, avait la douceur d’un arracheur de dent et ne se gênait pas pour réprimander les filles Merryweather quand celles-ci dépassaient les bornes. Plus qu’une domestique, Marie était devenue au fil du temps comme une quatrième grande soeur pour Lyra, ou bien une tante acariâtre. Cela dépendait des jours.

  • Pour être honnête, avoua Lyra, on m’a demandé d’attendre ici mais je ne sais ni qui je dois attendre ni ce que je dois faire en attendant.
  • Je suis désolée, je devais venir vous chercher plus tôt mais personne ne semblait être au courant de votre présence ici. Je vous ai cherchée dans tout le château mais je ne pensais pas vous trouver dans cette pièce. Elle n’est pas censée être ouverte au public. Ce salon était celui de l’ancien roi. Normalement, l’accès est condamné.

Lyra se remémora le sourire en coin sur le visage de la domestique qui l’avait conduite dans cet enfer vert à son arrivée. Elle était perdue et avait demandé son chemin à une femme coiffée d’une queue de cheval brune. L’examinant de la tête aux pieds, la servante l’avait conduite dans “le salon privé”, avait-elle roucoulé avec fierté.

Le salon privé du roi. Voilà pourquoi personne n’était venue la chercher plus tôt et surtout cela expliquait le mauvais goût certain de l'ex-souverain. Un homme privilégiant la quantité et la luxure plutôt que l'élégance et le raffinement. Lyra se jura de se rappeler en détail la tête de cette vipère et de lui rendre la monnaie de sa pièce.

Déconcertée, Madeleine se triturait les doigts, le regard fixant ses souliers cirés.

  • Ce n’est rien, la rassura Lyra d’un sourire franc. J’ai eu le temps de répéter pour ce soir.

Ce qui n’était pas faux. Toutes les occasions sont bonnes pour s'entraîner. Et du temps, la jeune femme en a eu dans cet hideux salon.

  • Répéter ?

Lyra hocha vivement de la tête. Elle se releva prestement du canapé et prit dans ses mains celles de Maleine. Des étoiles pleins les yeux, elle expliqua :

  • La reine m’a invitée au bal de ce soir pour que je conte une de mes histoires. Je suis tellement impatiente, c’est un honneur pour moi de me représenter devant sa Majestée et sa Cour. Mais c’est aussi terriblement angoissant. Je sais que l’on ne se connaît pas, Madeleine, mais j’espère que nous serons amies ! Une présence amicale me ferait le plus grand bien.

Lyra parlait si vite que la femme de chambre avait du mal à suivre ; mais quand vint le mot “amies”, elle rougit instantanément. Aucune des nobles qu’elle avait aperçues n’était aussi franche et joviale.

À la table des domestiques, peu avant le bal, leurs tâches leur avaient été assignées. Et bien que s’occuper de la toilette des invitées était la plus belle des opportunités, tout le monde avait fui le nom Merryweather. Seule Madeleine, trop jeune pour comprendre les risibles médisances de la société, s’était portée volontaire.

La petite domestique présenta finalement la chambre dans laquelle allait séjourner Lyra. La pièce était tout à fait charmante, bien loin de l’horreur du salon d’Emeraude. Les murs de couleur crème étaient décorés ici et là de petits tableaux circulaires représentant des natures mortes et des paysages de campagne. Les rideaux, les napperons et le lit à baldaquin étaient d’une rafraîchissante couleur lilas. Et pour finir, un bouquet de lavande, placé sur une table basse en bois blanc, embaumait la pièce.

Lyra se demanda si c’était la reine qui lui avait personnellement dédié cette chambre ou si c’était le simple fait du hasard. Dans tous les cas, elle en était reconnaissante. Le voyage n’ayant pas été de tout repos, Lyra sentait poindre le mal du pays au fond de son cœur. Et cette chambre lui rappelait sa campagne, les paysages qu’elle aimait tant, sa maison.

Après cette journée trépidante, la jeune femme était exténuée et ne désirait plus qu’une chose : prendre un bon bain chaud puis se jeter dans les draps. Les festivités du bal d’hiver commençaient le soir même dans les alentours de 22h30, ce qui laissait trois bonnes heures à Lyra pour faire une sieste réparatrice puis se préparer.

Son bonheur allait bientôt être décuplé puisque Madeleine, qui visiblement savait lire dans les pensées, proposa à Lyra de se détendre dans un bain chaud avant de se préparer. La jeune femme, au comble de la joie, se déshabilla immédiatement.

Madeleine avait déjà vu le corps nu d’une femme, de part son métier. Elle s’était déjà occupée de la toilette de nobles dames sans qu’elle n’en ressente ni gêne ni pudeur. Mais la désinvolture avec laquelle la demoiselle Merryweather avait ôté ses vêtements lui fit instantanément dévier le regard.

Lyra n'avait jamais été une personne pudique. Marie lui avait raconté une fois que la petite Lyra, alors âgée de quatre ans, aimait par-dessus tout courir nue dans les couloirs de la demeure Merryweather. Après son bain, elle fuyait fesses à l’air pour aller voir ce que faisaient ses parents ou embêter ses sœurs. Habituée à la présence de Marie lors de ses toilettes, elle ne pensa même pas à l'embarras que pouvait ressentir Madeleine.

Lyra soupira d’aise en entrant dans la baignoire préparée spécialement pour elle dans un recoin de la grande chambre. Elle s’allongea, reposant sa tête et ses pieds sur le rebord de cuivre. Ses muscles se détendirent petit à petit au contact de l’eau chaude et parfumée. Lyra huma l’air tout en fermant les yeux. Elle avait trouvé le paradis sur terre.

Une fois le bain et la sieste terminés - Lyra ayant finalement succombée aux réconfortants bras de Morphée - Madeleine commença à s'exécuter et prépara la demoiselle. Dans un premier temps, elle enduisit le corps de la jeune femme avec la crème que Marie, avait déposé dans son sac. Une crème à base de miel et de lavande, le parfum préféré de Lyra, à la fois doux et sucré. Ensuite la jeune domestique l’aida à resserrer son corset, ses bas, mettre ses chaussures et enfin enfiler sa robe de bal.

Robe passée de mode si Madeleine avait bien suivi la tendance chez les femmes de la capitale. Pourtant les arrangements et les modifications faîtes par Marie, comme lui avait expliqué Lyra avec fierté, redonnaient une certaine fraîcheur au vêtement. Le bustier, parfaitement ceintrée, réhaussait la poitrine de la jeune femme, ce qui ne la rendait que plus pulpeuse et attrayante. Les manches bouffantes, débutant sous les épaules, dégageait son cou au teint hâlé qui, lui, était paré d'un collier en or simple et élégant. Pour finir, la jupe harmonisait parfaitement la tenue avec la grosseur, la fluidité des jupons et l’ajustement du bustier. Enfin, le rouge écarlate du tissu sublimait la peau caramel de la jeune femme et faisait ressortir ses pupilles ambrées.

Madeleine poursuivit la préparation par un léger maquillage. Il ne fallait pas que des couleurs trop vives ou trop sombres éclipsent la beauté particulière de la robe. Enfin, elle coiffa les épais cheveux chocolat de Lyra en un chignon complexe.

En se regardant dans le miroir, Lyra se trouva très belle. D’ordinaire, sa tenue ne la préoccupait pas, du moment qu’elle était assez simple et confortable, mais à ce moment précis, elle était fière de la femme qu’elle voyait dans le miroir. Elle fut heureuse de constater qu’elle pouvait être aussi jolie. Elle remercia vivement Madeleine.

Lyra Merryweather sentit une inspiration nouvelle venir en elle. Elle se sentait prête à affronter l’inconnu. Parée de ses plus beaux atours, son récit bien en mémoire, elle était confiante.

La petite horloge sur la commode sonna onze coups, clairs et distincts.

Il était temps d’y aller.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire NeverlandClochette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0