Chapitre 8

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Il était là, face à elle. Imperturbable comme à son habitude. Son masque figeait éternellement une expression de neutralité sur son visage.

Le visage de Lyra, lui, devait se décomposer à vue d'œil. Elle bafouilla des suites de mots incompréhensibles, ses yeux allant de son père au chef de la garde. Pour une conteuse, c'était tout de même un comble de perdre ses mots.

Les trois hommes se levèrent du canapé et d'un même mouvement saluèrent la nouvelle arrivée poliment. Finalement, l'homme masqué brisa le silence ambiant.

  • Mademoiselle, c’est un plaisir de vous revoir depuis les festivités. Vous avez fait forte impression lors du bal d’hiver. Tant et si bien que ses Majestées souhaiteraient vous revoir. Voilà la raison de notre venue. Nous sommes ici pour vous escorter jusqu'au palais.

Bien que les mots qu’il employait semblaient élogieux, son ton ne l’était absolument pas. Lyra eut la désagréable impression qu’il récitait machinalement un texte préparé à l’avance.

Sans même adresser un regard aux trois hommes, elle se précipita à côté de son père.

  • Père ! Je suis terriblement désolée. Mais il y avait la lettre, et on attendait beaucoup de moi. Et puis, j’en attendais beaucoup de moi aussi. Je voulais… J’essayais de…
  • Il suffit, trancha Monsieur Merryweather. Que tu ne m’ais pas écouté, c’est une chose mais que tu me mentes et que tu entraînes tes sœurs et ta mère dans ton mensonge…

Enora prit la parole pour la première fois depuis l’arrivée des gardes.

  • Elle ne t’a pas écouté, et alors ? Ce n’est pas la première fois et certainement pas la dernière. Et pour ta gouverne cher papa, tes filles et ta femme sont assez grandes pour prendre leurs propres décisions.

Monsieur Merryweather, qui n'avait que trop l'habitude de ce genre de remontrance de la part des femmes de cette maison, s'affaissa dans le lourd canapé bleu. Il perdit un peu de sa superbe, dévoilant au passage de larges rides de fatigue aux coins de ses yeux.

  • Je n’ai absolument aucune autorité sur cette famille, se lamenta t-il.
  • Eh oui mon chéri, plaisanta Madame Merryweather, une main affectueuse tapotant l'épaule de son mari. Lyra, demande à Marie de t’aider à préparer tes bagages. Nous n’allons tout de même pas faire attendre ses charmants soldats qui patientent depuis longtemps.

Madame Merryweather savait pertinemment que sa plus jeune fille n’attendait qu’une chose, retourner contempler la beauté et la vivacité de la ville de Silverthrown. Elle lui en parlait en cachette dès qu’elle en avait l’opportunité. Mais les monologues de sa fille devenaient, avec le temps, redondants et ennuyeux. Madame Merryweather avait besoin de nouvelles croustillantes de la capitale et le plus tôt serait le mieux.

Sans perdre un instant, Lyra salua les personnes présentes dans le salon. De l’autre côté de la porte, Marie avait tout entendu, l’oreille collée au battant en bois. Toutes deux se précipitèrent dans les escaliers et mirent en vitesse dans le sac de voyage en toile de Lyra tout le nécessaire dont elle aurait besoin à la Cour.

Lyra redescendit prestement. Déjà les trois gardes et sa famille l’attendaient en bas de l’escalier principal de la demeure des Merryweather.

Une impression de déjà vu brouilla l’esprit de la jeune femme. Son regard se posa sur chacune des personnes présentes dans le hall. Elle avait encore du mal à réaliser qu’elle repartait à l’aventure. Tout s’était passé si vite. Il était néanmoins fort dommage que ce soit cet arrogant personnage qui l’accompagnât. Ses acolytes, à l’inverse, avait la mine bonne de ceux avec qui on peut parler sans se prendre la tête, ni le bec.

  • Tant pis, se dit intérieurement Lyra, de toute manière le voyage n’est pas si long en carrosse. Ainsi j’aurai amplement le temps de réfléchir à mes contes.

Mais son soudain espoir fut de courte durée. A peine sortis de la maison, les gardes saluèrent protocolairement les Merryweather puis se dirigèrent chacun vers une monture. Pied à l’étrier, ils enjambèrent le dos de leur destrier avec une facilité et une synchronisation déconcertante.

Mais toujours pas l’ombre du moindre fiacre. Lyra attendait donc, les doigts de sa main droite triturant frénétiquement une ficelle qui s’échappait de sa large chemise en lin.

  • Vous comptez vous y rendre à pied ? demanda le chef de la garde, incrédule. Il fit avancer son étalon devant Lyra, puis d’un geste faussement galant lui tendit une main assurée.
  • C’est-à-dire que je suis une piètre cavalière…
  • Une catastrophe équestre oui ! s’époumona Enora tout en frappant la paume de ses mains sur ses genoux, hilare. Si vous comptez un jour arriver à la capitale Monsieur, il vous faudra du courage et surtout du temps et de la patience.

Pour seule réponse aux rires de goret de sa sœur, la moquée lui lança vigoureusement son sac de voyage dans le dos.

  • Aïe ! s’exclama Enora à présent courbée et ébouriffée. T’as mis quoi là dedans ? Des livres ?
  • Exactement. Et estime-toi heureuse qu’il n’y en ait pas plus. Non mais, se moquer ainsi de sa sœur préférée !

Les deux soldats riaient franchement, attendris par ce tableau familial aussi drôle que touchant. Finalement, après les embrassades, Lyra accrocha son sac au flanc du cheval et accepta l’aide que lui proposait le chef de la garde.

Contrairement à leur première rencontre, elle ne ressentait plus cette colère et cette tristesse au contact de l’homme masqué. Mais plus un ennui profond. Une chose est sûre, il ne savait pas cacher ses émotions. Ou bien est-ce seulement l’envie qui lui manquait.

-§-

Plusieurs heures s’étaient écoulées et Lyra souffrait du silence ambiant. Au début, elle avait trouvé cela plutôt agréable. Les bruits de la forêt parvenaient ainsi plus clairement à ses oreilles. Le vent dans les branchages, le piaillement des oiseaux téméraires affrontant encore le froid de l’hiver, le craquement des feuilles sous le pas gracieux des biches et des cerfs, le cataclope des sabots des chevaux contre le chemin de terre.

Mais maintenant, elle s’ennuyait. Et le silence des trois hommes la mettait mal à l’aise.

  • Je ne m'attendais pas à revenir aussi tôt à Silverthrown, plaisanta Lyra pour détendre l’atmosphère.

Aucune réponse.

  • J’ai beaucoup vanté les mérites du château et de la capitale, à ma mère principalement. Ainsi que la grandeur de nos deux Reines. Elle est très friande de ce genre de mondanité. Personnellement, je n’y allais que pour conter mais je dois bien admettre que la ville à ses avantages. Vous savez, je vois ce deuxième voyage comme une aventure. Vous êtes un peu comme des compagnons de route. C’est drôle ça me donne une idée d’histoire.

Les deux gardes regardèrent leur chef du coin de l'œil, mais toujours aucune réponse.

  • Je vois …

Le voyage allait être long.

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