Chapitre 11

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La Reine Ellyana avait menti. L'atmosphère n'était pas tendue. Elle était suffocante.

Tous était assis autour de l'imposante table de banquet. Thelma et Ellyana présidaient au bout de la table, côte à côte. À droite se tenait le Renard doré, dans son uniforme officiel ; une tunique bleu roi dont de ravissants motifs végétaux en argent ornaient le col et les manches, une large ceinture noire enserrant sa taille qui d’ordinaire soutenait son épée, une cape blanche avec les armoiries de la couronne, et pour finir son éternel masque doré, attribut lui ayant valu ce drôle de patronyme. Vint ensuite le chancelier, un vieil homme très maigre aux épais sourcils poivre et sel et à l’imposante moustache en forme de V retourné. Puis le secrétaire d'État, un homme sans âge et surtout sans cheveux et, enfin, Lyra.

À gauche étaient attablés la représentante du pays d’Alodonya avec qui le traité de paix devait être signé, une femme d’une cinquantaine d’années aux traits sévères et intelligents, ainsi que leur secrétaire d'état, un jeune homme vraisemblablement angoissé. Ce dernier ne cessait de tourner la tête à droite et à gauche et de desserrer le col de son uniforme. Pour finir le tour des invités, il y avait le duc. Celui que Lyra avait rencontré le soir du bal d'hiver. Le prince d’une de ses récentes histoires.

Des centaines de questions fusèrent dans sa tête. Qu'est ce que le beau duc de bidule chouette venait faire ici ? Et si les deux royaumes étaient en froid, que faisait-il au bal ? Elle avait pactisé avec l'ennemi… et puis surtout qu'est ce qu'elle avait avoir avec tout ça ?

Ses pensées furent stoppées nettes par l'arrivée des plats dans la salle à manger. Des serveurs, à la chaîne, placèrent devant chaque invité des cloches opaques. En face, Lyra reconnut Madeleine, la jeune domestique qui l'avait aidée et soutenue lors de sa première visite. Rassurée de voir enfin un visage familier et amical, elle lui fit un signe de la main. Madeleine, qui servait la représentante du pays étranger, n'eut pas un regard pour elle, de peur de commettre une erreur.

Les trois premières entrées venaient d’être terminées et Lyra en avait déjà assez. Elle voulait rentrer chez elle et manger avec sa famille si normale et réconfortante.

Autour de la table, personne ne se parlait. Les reines essayaient tant bien que mal d'attirer l'attention de leurs convives en lançant des sujets de conversation. La représentante et le secrétaire d'État restaient le nez penché sur leur assiette. Quant au duc, il trouvait sa fourchette bien plus intéressante que tout autre chose et jouait avec, vraisemblablement mort d'ennui.

  • Quel honneur vous nous faites de dîner à notre table. Nous espérons que les plats de notre cheffe cuisinière sont à votre convenance. Nous aimerions, avec la reine Thelma, vous prouver notre sympathie et notre reconnaissance. Pour cela nous avons un présent à vous partager.

Ellyana se tourna vers Lyra.

  • Très chère Lyra, si vous pouviez nous montrer vos talents.

Le moment était venu. Le bon déroulement de la soirée, et peut-être même le traité de paix, dépendait de sa prestation. Elle se leva de sa chaise afin de se déplacer en face des reines, à l’autre bout de la table. Bien que plusieurs verres de vin aient déjà glissé le long de sa gorge, sa bouche restait pâteuse et asséchée.

Le duc se désintéressa de ses couverts en argent pour planter ses yeux bleus glacés dans ceux de la conteuse. C’est alors que, perçant le silence pesant, Lyra se mit à conter.

C’était l’histoire d’un homme très élégant toujours accoutré de ses plus beaux atours, qui vivait tout en haut d’une montagne, dans un petit village de pierre. Ce gentilhomme avait pour mission de toujours faire sonner les cloches de l’église. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, ce vieil homme ne manquait jamais son rendez-vous. Le temps passa et le village devint de plus en plus inaccessible pour ses habitants, reclus dans la flore sauvage. Pas de travail, pas de ravitaillement. Alors, les uns après les autres, ils partirent jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’élégant sonneur de cloche. Une vie d’ermite, tout en haut de sa montagne, dans son petit village de pierre. Il est dit qu’encore aujourd’hui, bien des siècles après cette histoire, on entend encore sonner les cloches de ce village en ruine. Seule l’église n’a étrangement pas été touchée par les dommages du temps. Un reflet figé pour l’éternité de ce qu’avait été ce village abandonné.

Thelma commença à applaudir, rapidement suivi par les convives.

  • Mademoiselle … Lyra c’est bien ça ? commença la représentante. Votre récit était emprunt de tant de tristesse, de mélancolie et de poésie. J’ai cru un instant ne plus savoir où j’étais. Notre altesse serait en extase devant votre éloquence et votre sens du rythme.

Tous acquiescèrent d’un vive hochement de tête.

  • J’ai eu l’occasion d’écouter une première fois le talent de Mademoiselle Lyra et je dois dire que vous êtes toujours aussi impressionnante. Vous avez là un très joli don, complimenta le duc avec un sourire charmant aux fossettes naissantes.

Lyra rougit devant tant de reconnaissance. Pour être certaine d’avoir fait bonne impression à tout le monde autour de la table, elle lança un regard de défi au Renard doré. Ce dernier, qui n’avait pas détaché le sien de la jeune femme jusque là, tourna rapidement son masque vers sa voisine de table, la reine Ellyana.

Quel petit fourbe ! Il avait apprécié le spectacle et pourtant il persistait à faire sa mauvaise tête .

  • Et toi, mon cher Renard, qu’en as-tu pensé ? demanda Ellyana, un sourire taquin vers le chef de la garde. Tout comme le duc de Lomond, ce n’est pas la première fois que tu côtoies notre conteuse.
  • Votre altesse, je ne pense pas que le Renard doré ait quoi que ce soit de bienveillant à dire à mon égard ou à celui de mes histoires… Après tout, il a raison, ce ne sont que des mots, riposta Lyra.

Elle préférait devancer l’homme masqué sur ses remarques désobligeantes plutôt qu’être embarrassée devant les deux souveraines et leurs invités. Ellyana parût surprise et lança un drôle de regard vers le Renard doré. Un regard familier qui semblait vouloir dire “mais qu’est ce que tu es encore allé raconter ?” Ils avaient l’air tous deux très proches.

  • Vous vous méprenez Mademoiselle Merryweather. J’ai trouvé cette histoire… tragique.

Alors là, Lyra ne savait pas si elle devait prendre cette remarque comme une insulte ou un compliment.

La fin du repas se termina dans une bien meilleure atmosphère qu’au départ. La jeune femme pouvait se vanter d’avoir rempli sa mission à la perfection. Et, petit bonus, les œillades que lui lançaient le duc de Lomond la mettaient dans tous ses états. Ses pupilles glacées, continuellement soulignées d’un fin trait brun, étaient encore plus belles que dans ses souvenirs. Ses cheveux noirs comme les plumes d’un corbeau luisaient d’une douce lueur ocre à proximité des bougies. Lyra aimait sentir l’attention du duc sur elle. Il analysait d’abord ses yeux puis descendait lentement son regard vers ses lèvres, puis son cou, ses épaules dénudées, jusqu'aux courbes de son corps exacerbées par son corset.

Alors que les invités attendaient leur calèche devant la porte, le duc de Lomond s'inclina galamment face à Lyra qui accepta le baise main. Les fines lèvres venaient à peine de rencontrer la peau de la jeune femme que celle-ci ressentit un picotement lui traverser tout le corps.

  • Ce fut un plaisir de vous revoir, Monsieur le duc de Lomond.
  • Je vous en prie, appelez-moi Lysandre. Et sachez que le plaisir fut partagé, Mademoiselle Lyra.

A côté de cet échange langoureux était posté le Renard doré, derrière les reines Thelma et Ellyana, saluant la représentante du royaume d’Aldonya ainsi que le secrétaire d'État.

  • Nous vous remercions pour cette excellente soirée, vos Altesses. Il nous tarde de signer le traité de paix et d’enfin unir nos deux royaumes. C’est le moins que l’on puisse faire en ces temps d'accalmies.
  • En effet, et le plus tôt sera le mieux, confirma Thelma. Que dîtes-vous de revenir ce mercredi, le traité sera signé dans l’après-midi et le soir même sera donné une réception en votre honneur et en celui d’Aldonya ?

Visiblement cela leur convenait parfaitement. Et après courbettes et politesses d’usage, Lyra se dépêcha de sauter dans son lit, fière mais surtout exténuée par toutes ses émotions.

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