Chapitre 13

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Madeleine s’affairait dans la cuisine. Alors qu’elle étalait généreusement de la confiture de lait sur une tranche de pain blanc, la bouilloire se mit à jouer les cantatrices et hurla à qui voulait l’entendre que le thé était prêt. Munie de son tablier, elle s’en empara au-dessus du feu et versa le liquide rougeoyant dans une fine tasse de porcelaine.

La jeune domestique avait l’âme romantique et aimait que les choses soient belles à regarder. Alors, elle déplaça la tasse et sa coupelle un peu sur la droite, la tartine un peu plus sur la gauche. Elle finit par déposer un brin de cyclamen coum d’un violet profond. Examinant son chef d’oeuvre d’un oeil expert, la jeune femme en fut satisfaite puis se dirigea vers la porte des domestiques.

À cette heure matinale, les couloirs étaient toujours silencieux. On entendait parfois le pas léger d’un majordome ou le froufrou de la robe d’une domestique. Madeleine poursuivait son ascension dans les escaliers qui menaient à l’aile dédiée aux invités. D’une main, elle toqua à la troisième porte, tandis que l’autre tenait dans un équilibre parfait le plateau d’argent.

Sans attendre une réponse, elle entra dans la pièce dont les rideaux avaient été ouverts en grand et le lit avait été fait. Madeleine leva les yeux au ciel. Cette demoiselle lui mâchait le travail.

  • Mademoiselle Lyra, je vous ai apporté votre petit déjeuner.

Étrange. Généralement, quand Madeleine arrivait avec ses merveilleuses tartines, Lyra ne mettait pas bien longtemps à apparaître en s’humectant les lèvres.

La domestique posa le plateau sur la petite table en bois d’érable et en profita pour repasser le lit au peigne fin. Elle n’avait pas grand chose à rattraper, Lyra l’avait très bien fait, mais il en allait de son devoir de bien accomplir toutes ses tâches.

  • Madeleine, tes tartines sont à se damner !

Ladite Madeleine sursauta à l’entente de son prénom. Elle n’avait pas entendu Lyra entrer dans la chambre, une tartine déjà dans la bouche et la fleur violette piquée dans ses cheveux.

  • Bonjour Mademoiselle, j’espère que vous avez passé une bonne nuit.
  • Très, je t’en remercie. Mon lit était mal fait ? Si tu veux, tu peux me montrer comment faire, tu n’auras pas besoin de repasser derrière moi comme ça.
  • Non Mademoiselle, il était parfait. Mais c’est mon travail de faire ce genre de tâche. Vous n’avez pas besoin...
  • Je sais je sais, je n’ai pas l’habitude. Ici tout est si rigide, soupira Lyra. Et puis je préfère que tu passes du temps à préparer tes délicieux encas plutôt que de faire mon lit, ironisa-t-elle en lui lançant un clin d'œil complice.

Madeleine rit, les joues rosies par le compliment de la conteuse. La majorité des personnes ici était bienveillante mais Lyra était réellement gentille et se souciait de la domestique.

Après avoir englouti ses deux tartines, Lyra se laissa entraîner sur la chaise face à la coiffeuse. Elle appréciait se faire pomponner. Madeleine, brosse en main et épingles coincées entre les lèvres, s’attela à coiffer les épais cheveux de la jeune femme. Un chignon haut ou alors attaché sur le devant et lâché derrière ?

  • Vous vous êtes levée tôt ? hasarda Madeleine pour faire la conversation.
  • Oui, je voulais voir les chevaux mais j'ai eu un peu de mal à trouver l’écurie. Oh, et je suis tombée sur le Renard doré !
  • Vous avez réussi à ne pas l’étrangler ? gloussa la domestique. J’ai cru comprendre au fur et à mesure de nos conversations que vous ne le portiez pas dans votre cœur.
  • Je commence à l’apprécier, souffla Lyra qui repensa à leur échange. Disons qu’il n’est pas aussi méchant et médisant qu’il ne veut bien le faire croire. Dis donc, tu ne trouves pas qu’il fait drôlement chaud dans ce château ? demanda Lyra qui avait des bouffées de chaleur depuis qu’elle avait quitté le Renard.
  • Non pas vraiment, nous sommes en plein hiver… mais c’est vrai que vous êtes rouge, constata Madeleine dans le reflet que renvoyait le miroir face à elle. Voilà ce qui arrive quand on se promène les matins d’hiver, on attrape froid, la sermonna- t-elle.

Madeleine passa sa main sur le front de Lyra. Elle ne semblait pas avoir de fièvre, pourtant ses joues étaient chaudes.

  • Aujourd'hui vous restez au lit !
  • Non ! Je n’ai pas le temps, je devais m'entretenir avec la reine Ellyana.

Mais Madeleine était intransigeante sur la santé. Relevant Lyra, elle la força à se mettre en chemise de nuit et à se recoucher. De son côté Lyra se sentait parfaitement bien et n’avait aucune envie de dormir. Elle essaya tant que mal de convaincre Madeleine mais rien n’y fit.

Donc la voici, allongée telle une mourante, à s’ennuyer à mourir. Ses jambes n’en pouvaient plus de cette immobilité et gesticulaient sans cesse, froissant les draps. Elle avait essayé de partir en douce mais Madeleine veillait devant la chambre. Consciencieuse dans son rôle de gardienne, elle ne lâchait pas la porte des yeux, même pas pour aller aux toilettes. Lyra avait aussi pensé à passer par la fenêtre, mais elle se situait au troisième étage, la chute allait sans doute être très douloureuse. Voire fatale. Alors elle attendait, regardant le plafond blanc, les murs bleus ciels, le mobiler en bois unis, ... que le temps passait lentement !

Derrière la porte, une autre voix que celle de Madeleine retentit. Lyra s’était déjà levée et collait l’oreille au battant en bois. La discussion était trop étouffée, la conteuse ne percevait aucun mot intelligible.

Elle n’eut pas longtemps à attendre car on toqua à la porte. Elle se précipita, faillit tomber en glissant sur un drap gisant à terre, et finit par s'asseoir avec hâte sur le lit.

Une tête couronnée passa dans l'entrebâillement de la porte. Puis son corps entier. Reconnaissable entre mille de par son statut et sa beauté, la reine Ellyana venait de faire son apparition dans la chambre de Lyra. Ses longs cheveux frisés entouraient sa tête comme un halo de lumière posé par les anges. Ses tenues vaporeuses épousaient parfaitement les formes généreuses de son corps. Son teint noir, quant à lui, faisait ressortir ses lèvres pulpeuses peintes d’un rouge sang. Lyra ne pouvait s’empêcher de la trouver sublime à chacune de ses apparitions.

  • Bonjour, chère Lyra, l’intendant m’a informée que tu étais souffrante, déclara-t-elle, sincèrement soucieuse.

Lyra était effroyablement gênée d'accueillir le soleil d’Ambrume dans cet accoutrement. Tant bien que mal, elle coiffa furtivement ses cheveux du bout des doigts. Puis se leva précipitamment pour faire, comme le voulait l’usage, une révérence.

  • Bonjour, votre Altesse. Je vous remercie pour votre sollicitude mais ne vous inquiétez pas, je vais très bien. Madeleine a légèrement exagéré mon état, répondit-elle en insistant sur le “légèrement”.
  • Tut tut tut, recouchez-vous Mademoiselle Merryweather ! C’est un ordre de votre reine. La santé passe avant tout et une fièvre peut bien vite empirer. Nous pouvons nous entretenir ici.

Lyra allait protester mais la reine lui empoigna les épaules et la recoucha, avant de s'asseoir à ses pieds. Décidément tout le monde voulait qu’elle reste au lit aujourd’hui.

  • J’ai cru comprendre que tu voulais, lors du prochain bal, présenter une nouvelle histoire ?
  • En effet, j’ai pensé que cela plairait aux dignitaires étrangers, pour les remercier de signer le traité.

Ellyana sourit, et Lyra, qui angoissait un peu à l’idée de cet échange, se détendit immédiatement. Comment un sourire pouvait-il être aussi doux et chaleureux ?

  • Nous te l’avons déjà dit, mais tu es une perle, ma chère Lyra. Tu es si généreuse envers notre royaume. Mais nous voulions avec Thelma que cette soirée soit pour toi comme un temps de repos. Que tu puisses en profiter comme toute jeune fille de ton âge.
  • Votre Altesse, je suis honorée que vous ayez pensé à moi. Mais conter est avant tout un plaisir immense. Je serais ravie de pouvoir vous montrer ma gratitude en ayant la chance de me présenter face à vous.
  • Tu sais très bien manier les mots. Je ne peux rien faire contre ça, soupira Ellyana, les yeux rieurs. Très bien mais alors tu devras faire la plus belle représentation jamais contée.
  • Je vous en fais la promesse, votre Altesse !

Ellyana commença à se relever et dit à voix haute :

  • Je suis soulagée que tu te sentes bien, je m’inquiétais de cette soudaine poussée de fièvre. Le Renard doré m’a affirmé que tu allais bien ce matin quand il t’a croisée.
  • Il vous a parlé de moi ? s’enquit Lyra, intriguée que le Renard ait mentionné cette rencontre, et surtout de l’intime proximité que le chef de la garde et la souveraine semblaient entretenir.
  • Bien sûr, et ce n’est pas la première fois. Je n’aurais peut-être pas dû le dire comme ça, se rattrapa Ellyana, la main devant la bouche. Après le dîner avec le secrétaire d'État, le Renard doré nous a raconté votre première rencontre. Il en avait honte, tu peux me croire, d’autant plus que Thelma l’a rabroué… Enfin… oublie ce que je viens de te dire et repose-toi.

Sur ces mots, la reine partit avant même d’avoir laissé le temps à Lyra de la saluer convenablement.

À force de se triturer les méninges, la tête de Lyra la malmenait. Finalement, peut-être qu’elle couvait réellement quelque mal.

Elle appela Madeleine, toujours postée devant la porte telle un chien de garde. Dans la seconde rappliquait la domestique, prête à répondre à toutes les demandes de la jeune femme.

  • Tu es ici depuis combien de temps ? demanda Lyra.

Madeleine, ne comprenant pas où voulait en venir la conteuse, répondit sans même réfléchir :

  • Lorsque j’ai commencé à travailler au château je devais avoir une dizaine d'années peut-être. Donc cette année doit être ma sixième.
  • Le Renard doré a-t-il toujours été là ou est-il arrivé plus tard ?

Voilà où elle voulait en venir. Le mystérieux homme masqué avait finalement réussi à se faire remarquer par sa demoiselle. Cela n’étonna pas Madeleine. Toute la cour vouait une réelle fascination pour le chef de la garde. Et ce, bien avant que la domestique ne soit arrivée à la capitale.

  • Du plus loin que je m’en souvienne, je l’ai toujours connu au service de leurs Majestées. Pourquoi cette question ?
  • Par curiosité, argumenta Lyra, évasive. Mais ce masque-là, c’est une lubie ? Ça lui a pris un jour, comme ça, de se costumer ?
  • Personne n’a jamais vu son visage. Jamais. Mais une rumeur raconte qu’il ne le montre qu’à ceux qui s'apprêtent à périr sous sa lame.

Un frisson de dégoût parcouru la colonne vertébrale de la jeune femme. Pourtant ce matin, alors qu’il s’occupait avec douceur de sa monture, il semblait incapable de faire du mal à une mouche. Lyra se surprit à être déçue. Déçue par le nouveau visage de l’homme qu’elle pensait, enfin, apercevoir sous le masque.

  • Il n’est pas tant idolâtré par la gente masculine et féminine pour rien, poursuivit Madeleine. C’est tout de même le plus jeune chef de la garde depuis près d’un siècle.

Lyra leva un sourcil perplexe vers la domestique. Elle savait que le Renard était connu. Encore que dans sa campagne de Rivermoore les ragots mettaient du temps avant d’arriver aux oreilles des commères. Mais de là à être idolâtré par tous, il y avait tout de même un écart assez conséquent. Et pour ce qui est de son âge, c’est facile à dire quand sa tête est intégralement dissimulée. Peut-être avait-il en réalité vingt ans de plus, d’ailleurs quel âge pouvait-il avoir ?

  • Tout le monde essaie tant bien que mal d’avoir ses faveurs. D’autant plus qu’il est dans les bonnes grâces des reines, et donc de toute la noblesse du royaume. Il est de loin le meilleur parti. Et puis tout le monde est persuadé que derrière ce masque il y a en réalité un homme à la beauté tellement éblouissante qu’il se cacherait pour ne pas aveugler ses interlocuteurs.
  • Ça, c’est parce que ça vous arrange bien de croire qu’il est beau, éclata de rire Lyra. Sinon cela fait bien longtemps que la reine Ellyana se serait masquée la tête. La vérité, c’est qu’il doit être sacrément laid ou difforme pour avoir tant honte de son visage au point qu’il le cache derrière son mur d’or. De l’or en plus, il n’y a rien de plus orgueilleux.
  • Je ne fais que constater les bruits de couloir que j’entends, et c’est vous qui m’avez posé la question la première, bouda Madeleine avant de partir chercher une tasse de chocolat chaud pour Lyra.

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