Chapitre 16

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Lyra se précipita dans le fleuve. Son jupon, alourdi par l'absorption de l’eau glacée, ne faisait que la ralentir. Les gouttes éclaboussaient son visage, collant des mèches de cheveux contre ses joues et son front. À cet instant précis, son apparence lui importait peu. Elle ne voyait que le corps inerte du Renard. Une épaisse tâche rouge, provenant de l’arrière du crâne du jeune homme, se diluait dans la transparence de l’eau. Devenant invisible, inexistante, comme ci tout ceci n’était qu’un simple cauchemar morbide.

Tout d’abord, Lyra souleva légèrement la tête du Renard. Cette dernière avait visiblement heurté une roche. Heureusement, ou non, la pierre était ronde et lisse, certainement polie pendant des années par le courant, l’eau et les algues.

La plaie ne cessait de saigner. Dans un geste désespéré, elle tapota la joue du jeune homme, mais il ne réagissait pas. Ses yeux toujours clos. Accroupie, Lyra tenta d’apercevoir leur assaillant. Mais elle ne voyait que les arbres et la nuit. Au loin, le cri d’une chauve-souris transperça le silence pesant. La gorge de Lyra se noua tant qu’elle dut inspirer profondément pour ne pas suffoquer.

Étaient-ils toujours en danger ? Plusieurs minutes s'étaient sans doute déjà écoulées. La conteuse n’avait plus la notion du temps, elle ne voyait que le visage pâle du jeune homme, le sang et l’eau glacée s’insinuer dans tout son être.

De toute façon, elle était en plein milieu d’un paysage dégagé : si l’assassin voulait vraiment la tuer, cela fait bien longtemps qu’elle aurait cessé de respirer. Donc, soit elle n’était pas la cible et seul le chef de la garde l’était, soit il s’était enfui après avoir touché le Renard par mégarde.

Lyra opta pour la première option. C’était une attaque préparée et qui avait presque réussi. Mais dans les deux cas, elle se retrouvait seule avec un homme à demi-mort sur ses genoux.

Elle réussit tant bien que mal à hisser le Renard sur la berge. Dans un premier temps, il fallait stopper l’écoulement de la plaie. La jeune femme essaya d’arracher à mains nues le bas de sa robe mais, le tissus étant imbibé d’eau était indéchirable. En tirant le Renard, elle avait senti une fine dague accrochée à son flanc gauche. Elle sortit la petite arme de son fourreau. Petite, certes, mais bien assez tranchante pour découper une bonne partie du satin jaune ainsi qu’un bout du jupon. Elle ne garda que le morceau de la robe, jetant le reste plus loin. Elle enroula ensuite précautionneusement le tissu autour de la tête du Renard. Rapidement le jaune jonquille se teinta d’un rouge écralate.

Bon la tête, c’était réglé. Mais il ne se réveillait toujours pas. Étant tombé à l’eau, Lyra eut peur qu’il n’en ai avalé. Et si ses poumons étaient gorgés d'eau et qu’il se noyait ? Prise d’une nouvelle panique, elle se rappela que le héros de son roman préféré avait sauvé un personnage de la noyade grâce au bouche à bouche.

La conteuse posa deux de ses doigts sous le menton du Renard pour lui souleva légèrement la tête. Elle approcha son visage, ferma les yeux puis posa ses lèvres contre celles du chef de la garde, froides et humides. Et enfin, elle souffla. Une fois, deux fois, trois fois. Au moment de prendre sa respiration, elle rouvrit les yeux et tomba nez à nez face au regard à la fois médusé et affolé du Renard. Il bafouilla. Lyra l’aida à s'asseoir. Mais le choc, trop violent, lui fit vomir toute l’eau et tout son repas sur l’herbe. La conteuse ne s’attendait pas à ça. Dans le roman, le personnage qui s’était noyé se redressait tout seul comme un grand, remerciait le héros puis, après une poignée de main virile, repartait de là où il venait.

Là le Renard était mal en point, rendu poisseux par les algues et la vase, incapable de tenir assis et encore moins de dire merci. Lyra se plaça derrière lui, à genoux, de sorte que le pauvre garçon puisse s’adosser à elle et se tenir un minimum droit. Il eut un moment d’absence. Sa tête reposait sur l’épaule de sa sauveuse. Ses longs cheveux roux emmêlés, dont les pointes commençaient à boucler, gouttaient sur son visage découvert. Sa respiration saccadée se fit plus lente et plus profonde. Le Renard doré était vivant. Quel soulagement !

Lyra profita de ce moment de répit pour enfin analyser l’homme dont personne n’avait vu le visage. Son teint était d’une pâleur fantomatique, probablement parce qu’il venait de faire un plongeon en plein hiver tout en trompant la mort. Ou bien était-ce l'hémorragie qui lui faisait perdre des couleurs? Ses yeux clos, dont dépassaient de courts cils bruns, ne laissaient pas entrevoir ses iris. Un nez retroussé, recouvert de tâches de rousseurs, qui formaient un sourire en passant par-dessus des joues creuses jusqu’à des oreilles aux bouts légèrement pointus. Même assoupi ainsi, le jeune chef de la garde ne semblait pas reposé, ses sourcils continuellement froncés. Parce que jeune, en réalité, il l’était. À vue de nez, il ne devait pas dépasser les vingt-cinq ans.

Trois larges cicatrices entaillaient un visage que l’on aurait pu qualifier d’angélique.

Une première balafre, d’un rose pâle buriné, scindait sa joue droite du bas de son visage jusqu’en haut de sa joue. Une deuxième, sur l'arête de son nez, barrait horizontalement son visage. La troisième, en forme de demi-lune, débutait sur sa tempe gauche, passait sur son œil et venait s’arrêter à son oreille. D’autres entailles, presque invisibles tant elles étaient fines, parcouraient son visage endormi.

Etait-ce sa chute qui l'avait ainsi abîmé ? Impossible, les marques ne saignaient pas et semblaient bien plus anciennes. Vraiment plus anciennes. Lyra jeta un regard au masque doré fendu en deux, gisant sur le sol.

Le Renard plissa les paupières d’inconfort. Sa tête et son estomac lui faisaient un mal de tous les diables. Il porta machinalement une main à son visage mais il ne sentit pas le métal froid et rigide au bout de ses doigts. Pris de panique, il se retourna. Derrière lui, Lyra lui lançait un regard inquiet et apeuré, ses mains soutenant son dos pour ne pas qu’il s’évanouisse de nouveau.

Les cheveux de la jeune femme, si bien coiffés il y a peu, dégoulinaient à présent sur ses épaules, laissant au passage une traînée de chair de poule sur sa peau. Sa robe, en piteux état, était déchirée et tâchée par la vase verdâtre. Le mascara qui habillait ses yeux d’ambre coulait sur ses joues, comme si elle avait longtemps pleuré. Le jeune homme essaya de se remémorer les événements qui venaient de se produire.

Tous deux parlaient, non, se disputaient.

Il y avait eu cette chose qui avait fondu vers lui, c’était quoi ? Une flèche ?

Puis la sensation de tomber. Le froid. Partout autour de lui.

Et enfin la lumière, l’impression de revivre. Une douce chaleur provenant de ses lèvres… ses lèvres…

Machinalement, ses yeux se posèrent sur la bouche de Lyra. Il se rappela instantanément. Et alors qu’il était frigorifié, une brûlure ardente empourpra ses joues et ses oreilles. Sa peau vira au rouge pivoine.

Il se retira de l’étreinte de la conteuse pour lui faire face.

  • Vous, vous m’avez embrassé… Je… Vous avez profité de mon inconscience pour … !
  • Je ne vous ai pas embrassé, je vous ai sauvé la vie ! Vous pourriez au moins me remercier.
  • Me sauver ? En essayant d’aspirer mon âme ?!
  • C’est ce qu’on appelle du bouche à bouche.

Furieux et décontenancé, il se releva brusquement.

  • Mais dans quel monde avez-vous vu que le bouche à bouche sauvait les pauvres malheureux de la noyade ?

Mais le mal de tête lui reprit si violemment qu’il trébucha. Lyra eut tout juste le temps de le rattraper avant qu’il ne s’écrase sur la terre ferme. Elle passa la tête sous son épaule pour pouvoir l’aider à avancer.

  • Je vous sauve et vous arrivez quand même à me faire des reproches, souffla-t-elle à cause de l’effort.

Il avait beau ne pas être très lourd, leurs vêtements trempés combinés pesaient une tonne.

Lyra estima qu’il était temps de rentrer. Surtout que Monsieur Jamais Content, ici présent, avait grand besoin de soins. De sa main libre, elle attrapa les deux moitiés du masque et les tendit au Renard.

Trop faible pour dire quoi que ce soit, il aurait aimé la remercier. Au moins pour avoir récupéré son masque.

Le chemin retour fut long et fastidieux. Entre les grognements du Renard et ses membres engourdis par le froid et par l’effort, Lyra n’en pouvait plus. Mais voilà qu’enfin, derrière les structures végétales du jardin botanique, elle voyait la porte de marbre du château.

Une fois devant, elle n’eut plus la force de monter la vingtaine de marches qui les séparaient de l’entrée. Son cœur battait de plus en plus fort. Tellement fort que cela lui faisait mal. D’impuissance, elle posa un genou à terre, soutenant difficilement le Renard. Les graviers lui éraflèrent la peau, mais ce n’était rien comparé à la douleur qui lui enserrait la poitrine.

Sa vision devint trouble. Le sifflement dans ses oreilles. Puis des points noirs apparurent devant elle. Lyra savait qu’elle allait bientôt tomber dans les pommes.

Deux gardes, postés en haut des escaliers et dont la mission était de contrôler les allées et venues des invités, se précipitèrent vers les deux jeunes gens. Ils reconnurent immédiatement leur chef, blessé, qui tenait devant son visage son célèbre masque doré brisé en deux.

  • On lui a tiré dessus.

Voilà tout ce que la conteuse eut le temps de révéler avant de s’écrouler auprès du chef de la garde.

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