Chapitre 19

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Il faisait une chaleur dans cette voiture. Ses oreilles le brûlaient. Ou bien était-ce ses joues ? Son front ? Non, son corps entier souffrait d’une soudaine bouffée de chaleur. Cette façon qu’elle avait de le regarder. Il détestait ça. C’était comme si elle lisait en lui, plongeant au fond de son âme pour faire ressortir des souvenirs et des sentiments enfouis pour une bonne raison. Mais en même temps il ne voulait pas que ça s’arrête. Il avait l’impression qu'on le voyait pour la première fois. Lui. Non pas le Renard doré.

Il pourrait enlever son masque, de toute façon elle avait déjà vu son visage. Deux fois. Et maintenant elle connaissait même son prénom. Pourtant il n’y arrivait pas. C’était s’exposer directement à elle. Sans protection. Et s'il faisait une tête étrange ? Il n’avait plus l’habitude de faire attention à ses expressions du visage, toujours caché derrière son mur doré.

Pourquoi se sentait-il si stupide en sa présence ? Lui qui n’avait jamais douter de rien, menait des armées vers le champ de bataille. Lui le plus jeune chef de la garde.

  • Monseigneur, Mademoiselle, on va devoir s’arrêter pour la nuit. On arrive même plus à distinguer le derrière des chevaux. Je connais une auberge à deux pas, le gérant est un ami.

Quel ne fut pas leur étonnement en reconnaissant, malgré l’obscurité, Le cochon grillé. L’auberge que tenait le géant Maximilien. Une délicieuse odeur de poulet grillé et de patates chaudes leur parvenait de l’intérieur. Le ventre de Lyra gronda si fort que le Renard doré, qui l’aidait à descendre de la calèche, pouffa de rire.

Le premier cocher entreprit de porter leurs bagages mais les nouveaux vêtements offerts à Lyra combinés aux affaires du Renard doré étaient bien trop lourds pour un seul homme. Les deux jeunes gens soulagèrent le pauvre homme de son fardeau en lui assurant qu’ils étaient bien assez grands pour prendre leur bagage. Il regagna alors son siège sur la première voiture et fit signe à la cochère derrière lui, celle qui conduisait la calèche remplie des présents des deux reines, de le suivre jusqu’à la grange.

En ouvrant la porte en bois, une douce chaleur enveloppa la conteuse et le Renard. Des plats plus luisants de gras les uns que les autres cheminaient sur des plateaux d’un bout à l’autre de la salle à manger pour atterrir sur les tables de voyageurs affamés. Lyra en salivait d’avance.

Tous deux s’approchèrent du comptoir où un dos immense leur faisait face.

  • Maximilien, votre meilleure table ! s’exclama Lyra enjouée.
  • Oh, oh, oh ! Je reconnaîtrai cette voix et cette témérité entre mille, confia le géant en se retournant. Mamselle Lyra ! C’est bon de vous revoir.

Il lâcha avec hâte le verre qu’il nettoyait pour passer par-dessus le comptoir et la prendre dans ses bras. La jeune femme décola du sol en éclatant de rire.

  • Toujours fourrés ensemble ces deux-là, constata Maximilien après avoir reposé Lyra et serré la main au chef de la garde.
  • Non pas vraiment, enfin dans le cas présent …oui, mais je rentre chez moi.
  • Vous tombez mal mes lapins, on est complet jusqu’à la semaine prochaine. Depuis que Silverthrown vérifie toutes les allées et venues, les gens restent bloqués à l’entrée et se retrouvent ici. Ce qui n’est pas pour me déplaire, je n’ai jamais fait un aussi bon chiffre d'affaires. Mais je n’ai plus de chambre de libre. Pour me faire pardonner je vous offre le repas !
  • Nous vous remercions pour votre générosité, commença le Renard, nous attendons encore deux personnes …

Ce fut le moment que choisirent les deux cochers pour faire leur entrée.

  • Max, vieille crapule ! clama le cocher.
  • Achim, vieux crouton ! C’est toi qui emmène ces jeunes gens jusqu’à Rivermoore ?

Les deux amis s’embrassèrent et alors qu’Achim leur racontait des anecdotes sur le gérant, ce dernier les plaça sur une table au fond de l’auberge. La cochère, nommée Anastasia, fit remarquer qu’il y avait beaucoup de monde pour une petite auberge placée sur un chemin de forêt. Effectivement, toutes les tables étaient pleines à craquer. Les conversations d’ordinaire vives devenaient de plus en plus bruyantes, assourdissantes.

Sans trop réfléchir, Lyra commanda un canard en sauce, servi avec ses haricots et une chope de bière, suivit par Achim séduit par le choix de la jeune femme. Le Renard prit une assiette de pâtes aux champignons et Anastasia s'arrêta sur le plat du jour, le poulet aux pommes de terre.

Alors que Maximilien partait en cuisine pour annoncer les commandes, un homme d’une cinquantaine d'années, vraisemblablement un marchand au vu de ses vêtements, se mit à insulter avec virulence le Renard doré. D’abord dans son dos, sans doute trop poltron pour faire face au chef de la garde. Puis après avoir descendu son troisième godet d’une traite (les cadavres des deux premiers roulaient sur la table) il essaya de se lever mais tomba en arrière.

  • Rah ! Chien de la reine, tout ça c’est à cause de toi ! Trois jours que je poireaute dans ce taudis.

Le Renard ne releva pas l’insulte, et ne lança même pas un regard à l’ivrogne. Difficilement et prenant appui sur la table, l’homme fut de nouveau sur ses jambes. Mais l'alcool faisait effet, lui procurant un sentiment de courage et d’invincibilité. Il arma son poing qui fonçait déjà en direction du Renard.

Lyra voulait le prévenir. La scène était trop rapide. Le chef de la garde avait esquivé le coup avec une tel agilité que la jeune femme n’avait pas réussit à le suivre du regard. Il se tenait à présent derrière son agresseur, maintenant les bras de ce dernier dans une position qui tout était sauf naturelle. Les articulations craquants à chacun de ses mouvements, l’homme rouge de honte et d’alcool braillait des insultes toutes plus imagées les unes que les autres. Toutes les têtes étaient tournées vers la petite table du fond de l’auberge.

  • Trois jours qu’on me dit que mes cargaisons sont pas conformes! Et j’ai pas le bon papier, et j’empeste trop l’alcool ! Tout ça c’est a cause de toi, tu vas me rembourser chacune de mes marchandises que j’ai pas pu vendre, sale chien.

Et pour appuyer son propos il cracha à ses pieds. La porte des cuisines claqua contre le mur.

  • Qu’est ce qui se passe ici ? demanda Maximilien de sa plus grosse voix. Ah pas de ça dans mon établissement jeune homme !

Un long silence de toute la salle accompagna son exclamation. Le gérant ne comprenait pas la situation. Il ne voyait que le Renard faire une clé de bras à un homme bougon.

  • Maximilien, ce n’est pas ce que tu crois, défendit Lyra. Cet homme s’en est pris à Ka… au Renard doré.

Toute l’assemblée se mit au côté de Lyra pour confirmer la scène. Décidément, pensa le Renard, cette fille sait se faire entendre. Elle finit toujours par rallier les gens à sa cause, c’est impressionnant.

  • Il a même osé dire que ton auberge était un taudis, renchérit Achim. En entendant ça, le Renard s’est levé pour calmer le fou.

Maximilien changea complètement de visage. Une rage dévastatrice dans le regard, il empoigna le malotru par les bras, le fit décoller du sol et l’emporta jusqu’à la sortie. Ensuite, après un puissant coup de pied au derrière, il jeta l’homme dehors.

  • Un taudis, mon auberge adoré que j’ai construit de mes propres mains ! Que je ne revois plus jamais ta sale tête de rat crevé !

Et il claqua la porte.

Il s'excusa humblement pour son comportement auprès de ses clients et en particulier auprès du chef de la garde.

  • N’empêche, conclut-il, maintenant j’ai une chambre de libre.

Les assiettes englouties, ils étaient repus. Achim commençait à somnoler sur sa chaise, bien qu’il avait les yeux ouverts, de petits ronflements d’aises s'échappaient de ses lèvres, ce qui fit beaucoup rire Lyra et Anastasia.

  • Lyra, mon petit oiseau (Maximilien était adepte des surnoms animaliers). Que dirais-tu pour réveiller ces vieilles carcasses de nous raconter une de tes histoires ?

Lyra s'exécuta avec joie. Et comme elle ne savait pas faire dans la discrétion elle monta sur la table, et tapa du pied chope à la main.

  • Écoutez tous, voyageurs en quête d’aventure, c’est à vous que je parle. Laissez moi vous conter l’histoire d’une jeune femme se battant pour l’amour, surmontant diverses épreuves dont celle de terrasser un ogre fait d’or.

Le succès était au rendez-vous. Comme l’histoire de la petite paysanne était celle qu’elle avait la plus répétée pour le bal, les mots lui venaient immédiatement. Elle prit beaucoup de plaisir et cela se voyait à son sourire. Un sourire immense et lumineux. Elle était resplendissante d’assurance et de gaieté. Personne ne pouvait détourner son regard d’elle, du moins c’est ce que le Renard pensait.

Après les applaudissements les spectateurs repartirent à leur boisson et leur conversation. Mais le quatuor, fatigué par leur route, ne rêvait que de dormir. Achim et Anastasia insistèrent pour dormir dans la voiture dans la grange. Il y faisait bon. De plus, ils préféraient surveiller les chevaux et surtout la précieuse cargaison de Lyra.

Les deux cochers souhaitèrent une bonne nuit aux jeunes gens et partirent en direction de la grange, en prenant chacun au passage une bouteille de vin d’un bon cru. Maximilien invita Lyra et le Renard à le suivre. Ils montèrent les marches, traversèrent un long couloir d’où se faisait face plusieurs portes menant à des chambres. Finalement le géant s’arrêta devant une en bois clair. Il passa la clé dans la serrure, tourna la poignée et l’ouvrit.

C’était une chambre comme on pouvait s’y attendre d’une petite auberge. Une pièce sans prétention, mais joliment décorée avec des éléments de la forêt: un bouquet de fleurs sauvages, une guirlande de feuilles mortes aux couleurs chaudes, un pot contenant des glands et des pommes de pain. Maximilien avait très bon goût en matière de décoration d'intérieur. À droite, une commode brune prenait la poussière, sur laquelle trônait un pichet d’eau et une bassine en porcelaine. Un guéridon recouvert d’un napperon minutieusement travaillé faisait face à une cheminée qui réchauffait un large fauteuil de cuir orangé. À gauche, contre le mur beige, le lit était recouvert de fourrures et de gros édredons pour protéger les dormeurs du froid.

  • Il y a un problème, il n’y a qu’un lit, constata le Renard.
  • Évidemment qu’il n’y a qu’un lit, je vous avais bien dit que j’étais complet. En quoi c’est dérangeant, ça doit pas être la première fois. Vous me la ferez pas à moi, j’ai été jeune aussi, termina Maximilien avec un clin d'œil et une tape du coude au Renard.

Le chef de la garde parut outré, il ne savait plus où regarder. Son masque fixait d’un côté les poutres au plafond, les flammes dans l’âtre de la cheminée et la porte. Il aurait aimé fuir cette situation plus qu’inconfortable.

  • Ne faites pas l’enfant. Si ça vous embête à ce point, je dormirai sur le fauteuil, déclara Lyra.
  • Non, je vais plutôt dormir dans la grange, renchérit le Renard.
  • Si vous voulez mon avis, vous allez déranger nos deux amis. Surtout avec ce qu’ils ont dû siffler.

Il ne sembla pas comprendre les propos de Lyra.

  • Et puis ils vont prendre toute la place dans la voiture, et si vous dormez dans la paille humide vous allez attraper la mort. Alors je vous aurais sauvé pour rien.
  • Très bien mais je vous laisse le lit. Je dormirai sur le fauteuil.

Absorbés par leur contestation, ils n’avaient pas remarqué que Maximilien était déjà parti, refermant la porte derrière lui.

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