Chapitre 23

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  • Eugène Merryweather, suite aux nombreuses preuves retrouvées à votre domicile dans l’est de Rivermoore et aux témoignages entendus lors de ce procès. Nous vous jugeons coupable de haute trahison à la couronne et nous vous condamnons à mort.

La sentence proclamée par la Reine Thelma s'abattit sur la famille Merryweather. La mère de famille éclata en sanglots, soutenue par ses deux aînées. Cassandra et Enora, les yeux humides et les sourcils froncés, ne parvenaient même pas à trouver une parole réconfortante. Obélia, blanche comme un linge, dont les lèvres tremblaient frénétiquement, fixait le sol.

Une exclamation de surprise commune s’éleva de l’assemblée. Le Renard doré, en retrait sur la gauche, secoua la tête mollement avant de rapidement tourner son masque vers Lyra et sa famille.

D’abord apeurée par le verdict, c’est une colère bouillonnante qui s’empara de Lyra. Ardente, fulgurante et violente. Alors que l’audience était invitée à quitter le tribunal et retourner vaquer à son occupation, les femmes Merryweather ne parvenaient pas à se lever de leur sièges. Lyra, la rage et le désespoir à l’âme, fondit devant les deux souveraines s'apprêtant à partir.

  • Majestée, je vous en prie. Je vous en supplie ! Il a fait tout cela que pour nous. Pour nourrir sa famille, geignit Lyra.

Sa gorge sèche ne lui permettait pas de prononcer de longues phrases.

Thelma qui, tout comme son épouse, avait gardé une certaine tendresse pour la jeune femme, frola sa joue d’un geste de la main. Après tout ce n'est pas parce que son père était un traître qu’elle était faite du même bois. La conteuse avait le regard sincère et rempli d’admiration pour les deux reines, Thelma le voyait bien. De plus, elle avait joué un rôle dans le traité de paix.

  • Par égard pour toi la conteuse de Rivermoore, je t’accorde cinq minutes d’audience. Suis moi.

Alors Lyra, chancelante, marcha à la suite des deux reines, du chef de la garde, de deux domestiques. Le petit groupe traversa couloirs et portes avant d’arriver dans un boudoir aux larges fauteuils couleurs crèmes, aux meubles en merisiers et aux lourds rideaux bleu roi. Un parfum acidulé de jasmin et de citron embaumait la pièce. Thelma et Ellyana s'installèrent sur le sofa, côte à côte. Inséparable comme toujours. Pourtant les parents de Lyra seraient séparés à tout jamais.

  • J’entends ce que tu me dis, finit par déclarer Thelma, faisant référence à la plainte de Lyra. Mais si je laissais passer ce … cas, le peuple pensera que je privilégie certains nobles. Je représente la justice, aussi sévère et cruelle soit-elle. Elle est toujours juste.

Lyra se crispa, elle sentait les larmes monter. Le tapis ocre à ses pieds semblait si doux et épais qu’elle eut un instant l’impression qu’elle pourrait se fondre à l’intérieur comme dans des sables mouvants.

  • Sache que nous t’apprécions Lyra Merryweather, poursuivit Ellyana calmement. Beaucoup même. Mais cette affaire est bien trop importante. La guerre, les morts qu’elle pourrait engendrer… Le risque est trop grand pour donner une autre chance à ton père.
  • Mais…, les mots restèrent bloqués dans la gorge de Lyra.

Elle avait envie de hurler, de frapper dans les murs, de se faire mal physiquement. Au moins sa douleur serait visible, peut-être que les reines comprendraient alors. C’était son père. Son père qu’elle aimait tant. Bien que protocolaire, il était doux, gentil, aimable, il pouvait aussi se montrer drôle et surprenant, mais également entêté, tête en l’air, paresseux et mauvais joueur.

  • Je suis désolée, conclut Thelma, ma décision est irrévocable, nous avons trop à perdre. Cependant ton père aura droit à sa sépulture dans votre caveau familial.

L’intention de la reine se fixa derrière Lyra.

  • Renard, préviens deux de tes hommes qu’ils partiront pour le royaume du nord glaner des informations dans trois jours. Qu’ils te fassent un rapport tous les deux jours puis viens me les partager. Nous parlerons des détails plus tard.

L’un des domestiques tendit une tasse d’or et de porcelaine à la reine. Cette dernière souffla élégamment sur le fumet avant de porter le liquide foncé à ses lèvres.

  • Une vie pour une vie, murmura Lyra.
  • Pardon ?
  • J’échange la vie de mon père contre la mienne.

Un silence pesant s’empara de la pièce, laissant les personnes présentes muettes.

  • Ne dis pas ça, tenta de la raisonner Ellyana. Tu es sous le choc, tu divagues. Ta mort ne sera pas une solution, bien au contraire.

Thelma, ne prononça pas un mot mais le crissement de sa tasse contre la coupelle témoignait de sa désapprobation.

  • Je ne mourrais pas. Et mon père non plus. Je vous donne ma vie, mon corps, mon âme. Utilisez-moi comme espionne. Je pourrais aller dans le royaume voisin, comme les deux gardes du Renard doré. Les hauts placés me connaissent déjà, ils pourront me faire rapidement confiance et puis j’intéresse Lysandre de Lomont, le fils de la première ministre. Il sera plus facile de lui soutirer des informations, un peu de charme, de fausse naïveté et le tour est joué.
  • Te rends-tu comptes de la dangerosité de ce que tu proposes ? Tu seras seule là-bas, personne pour te protéger. S' ils soupçonnent quelque chose nous ne pourrons pas te venir en aide car cela reviendrait à avouer que nous avons engagé des espions pour leur nuire. La guerre serait déclarée et alors tout ce que nous avons entrepris pour conserver cette paix tombera à l’eau. Comment pouvons-nous être sûr que tu ne joues pas un double-jeu, que tu n'aides pas ton père et le clan de Childéric ? demanda Thelma qui s’était levé et avançait pas à pas vers Lyra, presque menaçante.
  • Parce que je vous ai toujours été fidèle ma reine, déclara humblement Lyra posant un genou à terre à la façon des chevaliers prêtant serment à leur souverain. Gardez mon père en prison, le temps que je revienne de cette mission et surveillez ma famille si cela est votre souhait. Je m’engage à vous faire porter des informations capitales. Étant la fille du traître, ceux qui connaissent mon père pourront me transmettre des missives à son attention. J’aurais alors leur plan et le nom d’autres félons. Mais pour cela mon père doit rester en vie.
  • C’est de la folie, s’emporta Ellyana.
  • De la folie, certes, mais cela pourrait marcher, confirma Thelma, sa main passant sous son menton dans un mouvement d’intense réflexion. Si on leur offrait Lyra.

Sa femme lui lança un regard noir, aussi affuté qu’une lame.

  • Non pas comme ça, s’indigna Thelma. On leur fait croire que Lyra nous représente pendant l’un de leur évènement, en tant que Conteuse officielle d’Ambrume. Ce titre n’existe pas mais on peut le créer. Ça pourrait fonctionner. Ils étaient impressionnés par sa représentation. Et ce sont de grands mécènes, adorateurs des arts vivants.

Thelma posa une main sur l’épaule de Lyra et l’autre sous son menton, l’obligeant à relever son visage vers elle.

  • Tu es encore plus courageuse que ce je pensais. Ou bien tu es simplement désespérée. Mais j’adore ça. Renard, explique lui dans les grandes lignes ce qu’elle va devoir entreprendre. Tu as trois jours. Lyra, tu partiras à la fin de cette semaine. Mais saches que tu ne sauras pas quand tu rentreras chez toi. Alors embrasse tes parents et tes sœurs, et dis leur au revoir. Jusqu’à ce que tu me prouves que je peux te faire confiance et que tu es utile à la couronne, ton père restera enfermé mais aucun mal ne lui sera fait.

Lyra les remercia et s’inclina lors de leur départ.

Une secousse l’enserra et la força à se retourner. Kayden, qui avait relevé son masque au-dessus de sa tête, l’empoignait par les épaules.

  • Tu es folle de faire ça, tu ne connais rien à l’espionnage. Tu sautes à pieds joints dans la gueule du loup.
  • Je ne savais pas que nous étions proches au point de nous tutoyer, grogna Lyra et d’un coup sec de l’épaule elle s’échappa de la poigne du chef de la garde.

Dans la panique, il ne s’en était pas rendu compte. Le tutoiement lui était venu tout naturellement, s’imposant à son esprit comme s’imposait une ritournelle entêtante. Ses joues prirent une teinte cramoisie faisant ressortir plus encore ses tâches de rousseur mais surtout les trois balafres sur son visage. Pourtant il ne pouvait s’empêcher de parler.

  • Une vie pour une vie. Lyra c’est ridicule. Vous ne devriez pas être punie pour les crimes de votre père !

La colère qu’éprouvait Lyra depuis le début de la journée ne faisait que s’accroître avec le temps. Mais chaque fois que son regard se posait sur lui, chaque fois qu’elle entendait sa voix, la colère grandissait, dévorante, faisant petit à petit place à la haine. Une haine viscérale. Et maintenant il osait la toucher.

Paf

Le masque doré fit un bruit métallique en tombant au sol. Kayden, le visage de côté suite à l’impact de la main de Lyra sur sa joue, ne bougeait plus. Les yeux rivés sur son masque à terre.

  • Tout ça. Tout ce qui m’arrive est de votre faute ! Tous les tourments, toutes les questions, tous les sentiments qui se bousculent dans ma tête. Votre faute ! Et maintenant vous envoyez mon père à la potence. Si vous êtes restés chez nous c’était pour cette raison ? Fouiller les papiers de mon père et démasquer sa trahison ? Ruiner une famille ? Félicitation à vous Monseigneur c’est une réussite.

Elle le considéra gravement un instant. Dans cette position pitoyable, il rapetissait à vue d'œil.

La jeune femme regagna rapidement la chambre qu’elle occupait durant les festivités passées. Ce temps de joie et d’insouciance lui semblait si loin à présent. Thelma lui avait interdit de repartir avec sa mère et ses sœurs. Le temps qu’on lui indique sa mission, elle était prisonnière de ce palais de marbre. Elle claqua la porte. Action vaine, mais elle avait terriblement besoin d'extérioriser sa rage. Constatant l’inutilité de son geste, elle lâcha un sanglot plaintif et enfantin. S’adossant à la porte en bois, elle glissa jusqu’au sol. Elle rapprocha ses genoux contre sa poitrine puis posa sa tête dessus, de sorte à former un rond avec son corps. Un cocon réconfortant que le mal ne pourrait jamais perforer.

  • Je ne suis qu’une idiote. Pourquoi ai-je proposé ça ? Espionne, et pourquoi pas bourreau ou charcutière tant que j’y suis.

De grosses larmes coulaient à présent sur ses joues. Elle renifla bruyamment.

  • Je veux juste rentrer chez moi. Dans ma maison avec mon père, ma mère et mes sœurs. Je veux juste rentrer chez moi.

Elle fixa la main, avec laquelle elle avait frappé Kayden. Elle était rouge et elle lui lançait. Alors elle frappa cette fois-ci le parquet. Une fois, deux fois, trois fois. Toujours plus violemment.

Lyra finit par s’effondrer, secouée par ses sanglots.

Ça faisait mal.

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