Chapitre 24

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Une semaine et quatre jours de voyage, c’est ce qu’il fallait pour arriver dans le royaume qu’elle allait devoir piéger.

Les premiers jours dans la calèche furent une torture à la fois physique et mentale. Son dos, ses jambes et ses fesses lui avaient donné d’affreuses courbatures. Mais surtout, la conteuse se haïssait pour avoir fait ce pari fou d’espionner le royaume d’Aldonya. Elle ne pouvait s’empêcher de repenser à la scène dans le boudoir. Ses mots tournaient en boucle dans sa tête.

Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie. Une vie pour une vie.Une vie pour une vie.Une vie pour une vie.

Finalement, elle réussit, sans trop savoir comment, à se détendre et à apprécier la fin du trajet. Les paysages ressemblaient beaucoup à sa campagne, peut-être était-ce pour cette raison. Elle n’avait pas vraiment l’impression d’être partie. La seule différence notable était que la campagne du royaume du nord était bien plus vallonnée que Rivermoore.

Et voilà deux jours que Lyra avait posé les pieds sur les terres de Polaris, la capitale d’Aldonya.

À Silverthrown les maisons, principalement à colombage, sont toutes de grandes bâtisses tout en hauteur collées les unes aux autres. On y retrouve des fenêtres et des portes aux couleurs vives un peu partout et dans tous les sens, en dessous, au-dessus, sur les côtés. Les toits en pointe chatouillent le ciel avec leurs tuiles. Il y règne une certaine désorganisation.

Mais ici, à Polaris, les demeures sont toutes faites de pierres blanches réfléchissant la lumière du soleil sur les pavés gris clairs. Les toits tout plats sont pour la grande majorité encerclés de moulures, de lierre et de glycines aux pétales pâles.

Le palais aussi était bien différent de celui de Silverthrown. Il ne possèdait pas de grandes tours de pierres, ni de cour intérieure encerclée par d’imposants remparts. Celui de Polaris était plus raffiné. Un seul et même bâtiment en forme de U, soutenu par des colonnes blanches cannelées. Comme toutes les autres bâtisses le toit était plat, si ce n’est le fronton présent à la base, une fantaisie de l'architecte pour accroître la prestance du palais.

Le bruit de la portière s’ouvrant ramena Lyra dans l’instant présent. La main que lui tendait le cocher était bien fine et douce pour un homme. À l’autre bout en effet se tenait fièrement un jeune garçon d’une quinzaine d'années. Les joues rebondies - signe qu’il sortait à peine de l’enfance - étaient constellées de tâches de rousseur, sans doute dû à ses journées passées sur les routes en plein soleil.

Ses tâches rousses lui rappellaient Kayden. Elles ressortaient toujours quand il était gêné ou se mettait en colère. Lyra secoua vivement la tête afin de faire sortir l’image de ce traître de son esprit.

Elle gratifia le jeune cocher d’un charmant sourire et le remercia pour l’agréable trajet passé en sa compagnie. Bien évidemment elle mentait. Le trajet n’avait pas été de tout repos et elle venait tout juste de se rendre compte que la personne avec qui elle avait passé plusieurs jours en tête à tête n’était qu’un enfant. Le garçon lui baisa la main, content que son travail soit enfin remarqué, puis remonta sur son siège avant de faire claquer les rênes des chevaux.

Lyra laissa son regard s’attarder sur la silhouette de la voiture disparaissant au loin.

  • Il avait l’air gentil, pensa-t-elle.

La nuit commençait à tomber. Tout était très calme.

À Silverthrown même le soir on entendait les derniers commerçants continuer à vendre leurs marchandises, alpaguant les paysans dans les rues. Les enfants jouant et riant. Les anciens assis sur des bancs, commérant sur les derniers ragots.

Polaris était bien différent, beaucoup plus silencieux, plus discipliné. Pour une ville amoureuse des arts, Lyra s’attendait à entendre de la musique à chaque coin de rue, voir des comédiens déambuler sur les pavés, rencontrer des peintres à la recherche de leur muse.

Rien de tout cela. Juste des routes vides et des bâtiments parfaitement bien rangés.

La voilà devant les portes du palais de Polaris. Cette situation lui rappelait étrangement son arrivée à Silverthrown. Faites que cette fois-ci tout se passe bien. Elle déglutit difficilement.

  • Je n’arrive pas à croire que vous êtes ici !

Une voix enjouée fit sursauter Lyra.

  • Je vous ai fait peur ? Veuillez m'excusez, ce n'était pas mon attention. Vous semblez tendue très chère ?
  • Lysandre de Lomond, souffla Lyra comme pour se rassurer. Ce n’est rien, ne vous inquiétez pas. Le voyage joue un peu sur mes nerfs.

Comme le gentilhomme qu’il était, Lysandre déposa le bout de ses lèvres sur le dos de la main de Lyra. Bien que la situation dans laquelle se trouvait la jeune femme était critique, elle ne pouvait s’empêcher de penser que le duc était d’une beauté à couper le souffle. Glacial et calme comme un océan avant une tempête. Enfin c’est ce qu’elle avait lu un jour.

  • Je suis ravie que ses Majestées d’Ambrume vous aient nommé Ambassadrice des arts. C’est un titre exceptionnel ! Si vous voulez mon avis, ici il a bien plus de poids que tous les titres de noblesse, plaisanta-t-il. Son Altesse a hâte de faire votre connaissance, iel ne parle que de vous depuis une semaine.

Son rire était à la fois timide et distingué. À ce rythme la mission de la conteuse allait se retourner contre elle. Ce n’est pas lui qui allait tomber amoureux d’elle, mais bien Lyra.

  • J’ai cru comprendre qu’à Aldonya l’art était le pilier de toute votre civilisation, vous êtes donc également un artiste Monsieur le duc ?
  • Artiste je n’irais pas jusque là, rougit-il, mais je me débrouille assez bien avec un pinceau, je suis également violoniste à mes heures perdues. Mais vous tremblez de froid ? Je parle, je parle et ne vois même pas que notre invitée de marque grelotte. Venez avec moi je vais vous mener à votre chambre et demander à ce que l’on vous fasse couler un bain chaud.
  • Merci Lysandre, de prendre soin de moi. Pour être honnête avec vous j’avais une certaine angoisse à l’idée d’être aussi loin de chez moi.

Lyra s’approcha de lui, toujours tremblante, le regard suppliant d’une biche en détresse. Elle passa ses mains autour du bras du duc et fit bien attention à ce que sa poitrine frôle légèrement ce dernier. Assez pour que cela le trouble mais sans être du rentre dedans grossier. Visiblement son stratagème eut l’effet escompté. Lysandre s’attarda sur le décolleté de la jeune femme, décolté qui lui valait d’avoir si froid. Avant de se reprendre, le regard brûlant. Pourtant il ne se déroba pas de la prise de la jeune femme, bien au contraire.

  • Mais maintenant, et grâce à vous, je n’ai plus peur, lui murmura-t-elle.

La mission pouvait commencer.

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