Chapitre 25

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Lyra n’avait jamais rien entendu d’aussi beau. Les cordes vibraient en accord avec les sentiments du musicien. Des sentiments puissants, euphoriques, parfois chaotiques mais toujours harmonieux. Les yeux fermés, concentré sur son oeuvre, la peaufinant, l’affinant ou au contraire la faisant exploser dans une symphonie de notes telle que la jeune femme ne parvenait plus à respirer. C’est comme si elle avait oublié comment faire, comment inspirer, comment expirer. La musique aspirait tout son être, elle ne savait plus qui elle était et peu importe, elle n’avait pas besoin de savoir, elle n’avait pas besoin de respirer, elle n’avait pas besoin d’exister. Il n’y avait que la musique à l’instant présent, dans sa tête, dans ses oreilles, dans sa bouche, dans son sang.

À la fin du morceau, des applaudissements lointains transpercèrent le voile onirique. Lyra mit un moment avant de reprendre conscience de son enveloppe corporelle, de ses muscles et de sa propre existence.

  • Je sais, ça fait toujours cet effet la première fois, indiqua Lysandre de Lomond en se penchant vers elle.

C’est vrai que lui aussi était là. Lyra avait complètement fait abstraction de sa présence et de celle de tous les autres nobles autour d’elle.

  • Croyez-moi, un jour on s’y fait et on arrive à garder les pieds sur terre. Vous devriez tout de même applaudir. Son Altesse est assez susceptible.

Alors machinalement Lyra applaudit, mais ses gestes étaient encore maladroits comme lorsque l’on dort si profondément que nos membres s'engourdissent et ont du mal à se réveiller.

  • C’était … je … je n’ai pas les mots, souffla Lyra difficilement.
  • Comme cela est ironique pour une conteuse, ria Lysandre, les yeux bleus pétillants.

Mais où est-ce qu’elle avait mis les pieds ? À peine cinq heures que Lyra avait pénétré dans le royaume d’Aldonya et déjà elle avait été envoûtée par le duc et la voilà à la merci d’une simple harpe. Une mission suicide, voilà dans quoi elle s’était embaquée. Thelma avait raison. Elle se ferait emprisonner, torturer puis exécuter sur la place publique. Le même sort attendrait sa famille à Ambrume.

  • Ne serait-ce pas notre invitée venue D’Ambrume ? Votre présence parmis nous est un honneur, chère Ambassadrice des arts.

Lyra sentit une pression sur sa côte. Lysandre venait de lui donner un coup de coude. Le musicien qui avait aussi bien joué n’était autre que son Altesse d’Aldonya, Jude de Lior. Et iel venait d'adresser ses salutations en personne à Lyra.

La conteuse ne s’était même pas rendue compte qu’elle s’était levée de son siège et avait avancé vers l'estrade. Elle était totalement spectatrice de ce qui l’entourait. Pourtant il était temps qu’elle deviennent actrice.

  • Votre Altesse, finit-elle enfin par dire au grand soulagement de Lysandre qui avait retenu sa respiration jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche. L’honneur que vous me faites de m'accueillir au sein de votre magnifique palais me laisse sans voix. De même que votre aisance pour la musique. Tous les habitants d’Ambrume ont entendu parler du talent de son Altesse mais n’en n’ont jamais été spectateur. Malgré mon talent d’oratrice j’ai bien peur de ne pouvoir leur conter ô combien ce que je viens de vivre était irréel et merveilleux.

Jude de Lior gloussa de contentement. Visiblement iel aimait être complimenté.e et Lyra avait tapé en plein dans le mille.

  • Vous allez me faire rougir, même si il est vrai que personne n’a jamais entendu plus belle musique que la mienne. Le duc de Lomond est loin de m'égaler mais il se débrouille bien, je lui ai appris tout ce qu’il sait ! L’avez-vous déjà entendu jouer du violon ?
  • Je n’ai pas encore eu cette chance, mais un jour peut-être… déclara Lyra un regard vers le duc.

Ce dernier lui répondit par un charmant sourire. L’idée semblait lui plaire.

  • À présent allons nous sustenter ! Je meurs de faim. Mon chef nous a préparé une spécialité de Polaris: ses célèbres poires au foie gras. Vous m’en direz des nouvelles Lyra. Asseyez vous à mes côtés pendant le repas, je veux tout apprendre de votre parcours.

Lyra redoutait le plat principal. Le sucré salé n’a jamais été sa tasse de thé. Pourtant elle ne laissa rien paraître. Assise à la gauche de son Altesse, elle lui raconta comment elle en était venue à devenir la conteuse de Rivermoore, l’aide financière qu’elle voulait apporter à sa famille et puis la passion qui en était née. Jude de Lior écoutait attentivement, les yeux écraquiller, buvant les paroles de la jeune femme.

Iel semblait naïf. Parfait, cela pourrait faciliter la mission de Lyra. Et à bien y regarder, sa naïveté pourrait bien venir de son jeune âge. En effet, Jude de Lior ne semblait pas avoir plus de 18 ans. Iel avait le visage aussi juvénile que le petit cocher de ce matin. De grands yeux noisettes, des cheveux lisses d’un blond doré, la peau blanche des nobles ne prenant que rarement les rayons du soleil, petit.e de taille et le corps svelte. C’est sur la tête de cet.te adolescent.e que reposait la couronne d’un royaume au lourd passé, à présent puissance émergente du monde ? Difficile à croire sans le voir.

Arriva bientôt le foie gras sur son lit de poire. Les nobles invités à partager le repas royal applaudirent une fois toutes les coupelles en argent relevées. La présentation était digne d’un véritable artiste culinaire. L’assiette était splendide. La poire était sculptée en forme de cygne. On distinguait clairement dans la chaire blanche et granuleuse du fruit le long cou gracieux de l’animal surmonté d’une fine tête. Ainsi que les ailes déployées qui protégeait la rondelle de fois gras. Et autour de l’oiseau, comme l’ondulation de l’eau d’un lac, serpentait une confiture de figue. Pourtant Lyra ne voulait pas porter ce mets bien que délicat à sa bouche. Mais l’intensité du regard de Lysandre et le sourire radieux de son Altesse l’a poussait à goûter.

Elle ferma les yeux, s’apprêtant à être écoeurée.

Le goût, légèrement sucré, était d’une douceur semblable aux câlins de milles édredons en plumes de cygne. Lyra n’avait jamais touché un tel duvet pourtant elle était persuadée que la sensation devait être similaire. Le foie gras fondait sur sa langue. Et la confiture de figue relevait le tout en une note plus acidulée. Un pur régal. Lyra en aurait presque les larmes aux yeux. Les habitants de ce royaume étaient forcément des descendants de divinités, ou des anges. Des messagers au services des arts.

  • Je vois que vous êtes sensible aux talents de notre chef cuisinier.
  • En effet, votre Altesse. Veuillez excusez mon appétit, je ne m’attendais pas à un tel chef d'œuvre, admit Lyra les joues rougies par la gêne.
  • Ne vous excusez pas très chère Lyra. C’est un plaisir de vous voir ainsi profiter du repas. Antonio ! s’exclama soudain Jude de Lior.

Un grand homme à la peau basané et au long cheveux bruns attachés en une queue de cheval basse apparu derrière Lyra. Au vu de sa toque et de sa veste blanches, elle en conclut qu’il travaillait en cuisine.

  • Vous m’avez demandé votre Altesse ?
  • Vous avez fait des merveilles ce soir encore. N’est ce pas Lyra ?

En relevant la tête jusqu’aux yeux du cuisinier, Lyra se fit mal au cou.

  • Je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon de toute ma vie. Je vous remercie de m’avoir permis de goûter à un tel délice.

Le grand homme ne laissa paraître aucune reconnaissance. Pas un hochement de tête ni même un rictus. Sans doute était-il embêté d’avoir été interrompu dans son travail. Il reparti aussi rapidement qu’il était arrivé.

  • Il n'est pas très bavard mais il est merveilleux derrière les fourneaux.

Lyra pensa à Maximilien. Le gérant du Cochon Grillé serait tellement déçu si il avait entendu les mots de la jeune femme. Elle se promit de retourner manger dans l’auberge de son ami dès qu’elle rentrerait. Si elle rentrait.

Le repas se termina sans encombre. Lyra prit même du plaisir, oubliant un peu la véritable raison de sa venue. Elle avait discuté avec sa voisine de table, qui n’était autre que l'ambassadrice d’Aldonya. La femme était ravie de revoir Lyra et lui demandait quand elle se produirait à Polaris. Lyra n’en avait pas la moindre idée. Sa venue dans la capitale était due à un faux prétexte inventé par Thelma et Ellyana. La conteuse ne savait pas si Jude de Lior la laisserait conter.

  • Demain, affirma t-iel. J’ai un invité spécial et je veux lui faire une belle surprise !

Première nouvelle ! Comme le dit le proverbe, mieux vaut tard que jamais. Mais Lyra aurait aimé avoir du temps pour répéter. Surtout que cela faisait un moment qu’elle ne s’était pas exercée. L’angoisse qui avait finalement pris un peu de repos revenait à la charge pour malmener son estomac.

Les convives sortirent de table en même temps, tout en faisant bien attention de laisser leur Altesse en tête du cortège. Jude les conduisit vers le boudoir qui avait également fonction de salon de musique. Visiblement les polarisiens se réveillaient en musique, faisaient de la musique pendant la journée puis allaient se coucher en musique.

  • Vous voulez qu’on les suive ? demanda Lysandre qui ne quittait plus Lyra.

Mais Lyra ne pensait plus qu’à l’histoire qu’elle devrait conter le lendemain. Elle n’était pas prête. Si elle voulait entrer dans les bonnes grâces de Jude, il fallait qu’elle lui fasse bonne impression à iel, à sa cour, et se serait un point bonus si elle plaisait également à “son invité spécial”.

  • Pas vraiment… Le voyage m’a fatigué. Je pense que je vais retourner dans mes …

Non. Sa mission n’était pas de se montrer en spectacle. Elle devait récupérer des informations sur Childéric III. Et ce n’est certainement pas auprès de la jeune personne gouvernant ce royaume qu’elle allait rapidement avoir les réponses à ses questions. Par contre quelqu’un de son âge, proche de la monarchie mais suffisamment distant du pouvoir et qui était sensible à ses charmes...

  • Enfin, ce que je veux dire, se reprit-elle. Je n’ai pas envie de voir beaucoup de monde. Mais je n’ai pas envie non plus que la soirée se termine.

Et elle laissa la fin de sa phrase en suspens. Allait-il sauter à pied joint dans ce grossier mensonge ?

  • Et bien, vous m’avez fait comprendre que vous désiriez m’entendre jouer du violon. Si vous le souhaitez je peux vous faire un concert privé ?

Touché coulé. Il était tombé dedans tête la première.

  • Avec plaisir, Monsieur de Lomond, minauda-t-elle.

En prenant le bras du duc comme plus tôt dans la journée, elle remercia intérieurement ses parents de l’avoir faite si belle et avec des “arguments” si avantageux.

Que le spectacle commence.

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