Chapitre 27

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  • Une idée, une idée, allez c’est tout ce que je demande !

Lyra faisait les cent dans sa chambre. Après le départ de Lysandre, la jeune femme n’avait pas tenu à rester. Il se méfiait du véritable motif de sa venue. Savait-il exactement ce qui se tramait, elle en doutait mais rien que le fait qu’il se posait des questions mettait en danger la mission de Lyra, et sa vie par la même occasion.

Qu’est-ce qu’elle devait faire ? Personne ne viendrait à son secours, Thelma l’avait prévenue. Pourtant, à l’heure actuelle elle aurait accepté l’aide de n’importe qui, même de lui. Il fallait qu’elle trouve en six heures une bonne excuse pour Lysandre, qu’elle arrive à faire face à Jude, à son invité spécial, à toute la cour de Polaris, qu’elle trouve une histoire à conter, qu’elle répète encore et encore et encore.

Devant elle, le miroir de la coiffeuse en bois refletait l’image d’une jeune femme extenuée. De lourds cernes aux coins des yeux assombrissant son regard, une peau terne, des lèvres pincées, des cheveux débraillés, et des épaules tombantes de désespoir sous une ample chemise de nuit.

Lyra détesta l’image qui lui faisait face. Ce n’était pas elle, ça ne pouvait pas être elle.

Un bibelot en porcelaine représentant un chérubin fesse à l’air et sourire jusqu’aux oreilles, décorant la coiffeuse, narguait de ses yeux peints le misérable reflet.

Alors elle essaya. Elle passa les paumes de ses mains sur son visage pour se réveiller, elle força un sourire, coiffa du bout des doigts ses épis et redressa les épaules. La conteuse ouvrit la bouche, elle voulait dire les mots. Les quatre mots que l’on retrouvait dans toutes ses histoires. Les quatre premiers mots. Les plus importants. Ceux qu’elle connaissait sur le bout des doigts.

  • Ça ne rime à rien ! explosa-t-elle.

De rage elle empoigna l’angelot et le lança de toutes ses forces contre la coiffeuse. Le miroir se brisa en mille morceaux à l’impact. Le sol était couvert d’éclats de porcelaine et de miroir. Elle contempla le champ de bataille. Aucune satisfaction, même pas l’ombre d’une maigre consolation. Rien.

Sept ans de malheur. De toute façon, elle n'était plus à ça prêt.

Lyra s’agenouilla pour ramasser les débris. Le bruit avait sans doute alerté les domestiques, et ils ne tarderaient pas à arriver. Elle voulait au moins ramasser le plus gros. Ce n'était pas à eux de nettoyer ses élans de colère. En prenant un morceau de porcelaine elle se demanda si ça lui ferait mal une petite coupure. Une simple petite coupure. Juste pour voir ce qu'elle ressentirait. Alors elle appuya délibérément le morceau coupant contre l’intérieur de sa main. Effectivement ça faisait mal, un peu.

Est-ce que c’est ce qu’elle ressentira quand elle se fera couper la tête pour haute trahison ? Ou est-ce que ce sera mille fois plus douloureux ?

Elle essuya les perles de sang contre sa chemise de nuit, tâchant de cercles écarlates le lin blanc.

  • Il … était … une fois, murmura-t-elle difficilement, le cœur au bord des lèvres.

Des larmes brûlantes coulaient à présent sur ses joues, brouillant sa vision.

Si Madeleine l’avait vue ainsi elle se serait précipitée pour l’enlacer, puis après des mots réconfortants la jeune fille lui aurait préparé un thé bien chaud et parfumé. Si c’était Marie elle l’aurait disputée, lui demandant pourquoi elle se lamentait de la sorte alors qu’elle était une femme forte qui pouvait surmonter toutes les épreuves, puis elle lui aurait préparé des crêpes au sirop d’érable.

Mais là il n’y avait personne pour elle, ni Madeleine, ni Marie, ni ses amis, ni sa famille. Il n’y avait pas plus de thé ni de crêpe.

Tout ça c’était sa faute. Tout avait commencé ce matin là au marché. Pourquoi avait-il fallu qu’elle ouvre sa bouche ? Pourquoi fallait-il qu’elle se mette ainsi en scène ? Pourquoi avait-elle raconté cette histoire stupide ?

Quelques secondes plus tard, on toquait à la porte.

  • Veuillez m'excuser, j’ai entendu du bruit. Puis-je entrer ?

Lyra alla ouvrir. Dans l'encadrement de la porte se tenait un homme d’une cinquantaine d'années. De fins cheveux poivre et sel, des lunettes rondes posées sur un bec d’aigle cachant des pattes d’oies aux coins des yeux, une moustache taillée soigneusement, un habit de domestique parfaitement repassé.

  • Je suis désolée, j’ai trébuché et cassé un objet mais je vais nettoyer.

Elle ne s’en était pas rendu compte à cause des épais murs, mais en ouvrant la porte de la musique lui parvenait du rez-de-chaussée. Visiblement Jude de Lior n’avait toujours pas terminé son concert. Pourtant la lune était réveillée depuis un moment maintenant.

  • Je suis là pour ça Mademoiselle. Mais vous saignez ! Êtes-vous blessée ?

Lyra avait pris soin de cacher sa main derrière son dos mais elle avait oublié de cacher également les traces de sang sur sa chemise de nuit et les sillons de larmes séchées sur son visage.

Elle rassura l’homme lui expliquant que ce n'était qu’une coupure très fine, qu’elle n’avait pas besoin de soin et qu’elle avait déjà ramassé les éclats par terre.

  • Très bien, dans ce cas je vais me retirer, mais n'hésitez pas à faire appel à moi si vous avez besoin d’aide.
  • Je n’y manquerai pas, merci et passez une bonne soirée.

Lyra referma la porte sur l’expression de surprise du domestique. C’était bien la première fois qu’on lui souhaitait une bonne soirée.

Elle attendit de ne plus entendre les pas dans le couloir pour poursuivre son ménage.

Une fois tous les débris jetés et un cadre de miroir tout nu caché par un énorme vase contenant de grandes fleurs colorées, Lyra se mit au lit.

Tant pis pour le lendemain, elle verrait bien. Elle avait simplement besoin de dormir et de ne plus penser à rien. Même pas à cette soirée passée avec Lysandre de Lomond.

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