Chapitre 36

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Trois changements de garde. Et aucun signe du Renard. Lyra se doutait qu’une libération ne se faisait pas en un claquement de doigt. Mais il prenait quand même son temps. Des jours qu’elle pourrissait en cellule.

Bien que l’espoir avait redonné à ses yeux une nouvelle lueur, Lyra demeura muette et toujours à l’écoute des discussions qui faisaient échos dans la prison. Mais les conversations devenaient de plus en plus discrètes, de plus en plus secrètes. Les gardes étaient aux aguets même dans les tréfonds du palais. Lyra avait un mauvais pressentiment. Et plus elle voyait les gardes nerveux et trépignant et plus ce pressentiment lui tordait les boyaux.

Le soir venu, comme à chaque changement, on entendait les pas descendre les escaliers en colimaçons. C’était la relève. Et comme à chaque relève, les cachots redevenaient silencieux, l’homme d’église ne priait plus, la femme ne comptait plus les pierres et les gardes reprenaient leur place, bien droit. Pourtant ce soir-là Lyra ne compta pas deux personnes mais bien trois. Deux gardes. Et Lysandre de Lomont.

  • Je te pris de m’excuser Lyra, je comptais te rendre visite bien plus tôt mais tu comprends la famille, les obligations, les trahisons et les coups d’états ça prends beaucoup de place dans un emploi du temps, énuméra Lysandre visiblement plus fatigué que moqueur. Mais je ne suis pas un monstre, je t’ai rapporté des macarons préparés par Antonio. Ca te changera de … du pain, conclut-il.

La prisonnière fusilla son interlocuteur du regard. Mais elle ne prononça pas un mot et ne bougea pas d’un pouce.

  • Je te reconnais bien là, bornée et résistante. Pourtant j’entends ton ventre gronder d’ici. Tu devrais les prendre. Si ce n’est pas pour toi, prends les pour ton chevalier servant.

À ses mots, les gardes qui étaient restés en retrait avancèrent dans la lumière des torches. À leurs pieds, à peine conscient, le Renard doré était maintenu par les bras. Sa respiration sifflante résonnait entre les murs de pierres, comme s'il avait été frappé de nombreuses fois au ventre et à la cage thoracique. Des tâches de sang séché maculaient sa chemise poussiéreuse. Ses mains et ses pieds étaient enflés et couverts de bleus violacés.

  • C’est un coriace, impossible de lui soutirer la moindre information. Comme la torture physique ne fonctionne pas sur lui, nous verrons ce que lui fait la torture mentale. Dis-moi Lyra, comment penses-tu que ton cher et tendre Renard va réagir en étant enfermé dans la cellule voisine à celle qu’il aime, la voyant subir les pires atrocités, impuissant. Pas sûr qu’il tienne très longtemps. Et toi non plus.

Lysandre fit un mouvement de tête strict. Un ordre muet pour indiquer aux gardes d'enfermer le prisonnier. Sans ménagement, les deux soldats jetèrent le Renard dans la cellule à droite de Lyra. Il resta allongé au sol, ses membres douloureux tremblants.

  • Kay ! tenta d’hurler Lyra, mais sa voix éraillée après des semaines sans avoir prononcé un mot ne lui permit que de sortir un râle déchirant.
  • Ne t’inquiète pas, on n’a pas touché à son visage, il était déjà bien assez amoché comme ça, précisa Lysandre en dévoilant fièrement le masque doré. Passe une bonne nuit Lyra, c’est sans doute ta dernière ici.

Une fois le duc reparti, les deux nouveaux gardes se dirigèrent vers le coin de repos, à gauche de la pièce, où une table en bois et quatre chaises les attendaient. L’homme d’église reprit ses lamentations dans sa langue et la femme recommença son compte à partir de 298 grosses pierres.

De son côté, Lyra s'était déjà précipitée contre les barreaux de la cellule accolée à la sienne. Elle avait tellement maigri, que son bras passait aisément entre la grille. Kayden était loin, mais elle parvenait, en se contorsionnant au maximum, à toucher le bout de ses doigts. Ils étaient froids. Prise de panique, elle l'appela plusieurs fois. Pour le réveiller. Pour être sûr qu’il n’était pas mort. Plus elle l’appelait, plus sa voix reprenait de sa clarté.

  • Kay je t’en prie, réveille toi. Je te jure que si tu meurs ici je te tue !

Un grognement de douleur franchit les lèvres du Renard.

  • Par le soleil et la lune d'Ambrune, merci, souffla finalement Lyra.

Kayden se releva difficilement, utilisant le peu de force pour au moins s’adosser au mur de pierre.

  • Où est-ce qu’on est ? demanda-t-il hagard.

Il toussa et cracha un filet de sang. Les coups que lui avait administrés Lysandre de Lomont et ses soldats étaient plus forts que le Renard n’imaginait. Mais là tout de suite il avait surtout sommeil. Ses paupières se fermaient malgré lui et sa tête dodelinait prête à se reposer sur les pavés froids et humides. Lyra le remarqua.

  • Non ne vous endormez pas, si vous me laissez toute seule encore une fois je vous jure que…

Mais Kayden n’entendit pas la fin de sa phrase et sombra dans un sommeil obscur.

-¤-

En ouvrant les yeux, il ne discerna que des formes encore floues. Puis à sa gauche le dos d’une jeune femme aux longs cheveux chocolat complètement emmêlés était adossé à des barreaux de fer. Il essaya de détendre les muscles de son dos endoloris mais le moindre mouvement lui procurait une vague de douleur dans tout le corps.

  • Bienvenue chez les vivants, dit le dos.
  • Lyra ? Combien de temps ais-je dormi ?
  • Pas longtemps, vous vous êtes plus évanoui qu’endormis.

Kayden ne dit plus un mot. Il regarda autour de lui. Des torches flamboyantes, seules sources de lumière. Des grilles. L’odeur d'humidité et de mort. Le couinement des rats. Le goût rance d’air impur. Et surtout les murs de pierres. Des murs proches, beaucoup trop proches. Toujours plus proches. Il a l'impression qu’il se rapproche un peu plus à chacune de ses respirations. Pourquoi ils se rapprochent ? Allez-vous-en ! Arrêtez !

  • Kayden vous allez bien ?

Sa respiration était de plus en plus saccadée.

  • Ça se … ça se rapproche. Il ne faut pas…pas. Pitié.

Lyra ne comprenait pas. Qu’est ce qui se rapprochait ?

Il semblait suffoquer, manquer d’air. Il essayait tant bien que mal de se remettre sur ses jambes, mais elles ne pouvaient les supporter lui et ses tremblements. Alors il tombait, s’éraflant la paume des mains et les genoux contre le sol irrégulier.

  • Kayden, regardez-moi ! ordonna Lyra.

Mais Kayden était absent, perdu dans les peurs de son esprit. Il s’était à présent recroquevillé dans le coin gauche de sa cellule, les mains devant le visage, fuyant ce qui le terrorisait.

Heureusement pour Lyra, il s’était réfugié dans le coin qu’ils partageaient. Seuls les barreaux les séparaient l’un de l’autre. Alors elle s'assit d’abord à côté de lui. Et elle lui répéta que tout allait bien. Que maintenant ils étaient tous les deux. Il semblait si petit et menu dans ce coin sombre.

  • Kay, regardez-moi, insista-t-elle plus doucement.

À travers la grille elle pu lui attraper la main. Les muscles du jeune homme étaient tendus comme la corde d’un arc prêt à tirer. Elle réussit, progressivement, à le positionner de sorte qu’ils se tiennent l’un en face de l’autre. Tout en gardant les yeux fermés, il marmonnait des phrases incompréhensibles. Alors, précautionneusement, Lyra posa sa main contre la joue de Kayden. Le contact frais sur son visage brûlant le sortit de sa bulle de cauchemars. Sa respiration était toujours difficile mais au moins il la regardait droit dans les yeux. Des larmes mouillaient le contour de ses yeux accentuant encore plus le vert sapin de ses iris.

  • Maintenant respirez en même temps que moi. Inspirez profondément, tout en expliquant, Lyra montrait l’exemple et il la suivait. Et expirez lentement.

Ils recommencèrent l’exercice plusieurs fois. À chaque expiration, Kayden reprenait des couleurs.

Finalement sa respiration se calma.

  • Merci, murmura-t-il en posant sa tête contre les barreaux.
  • Vous m’avez fait peur, dit Lyra en faisant de même.

Leurs têtes se touchaient et leurs doigts s’entrelaçaient. Lyra était effrayée que le Renard se soit fait capturer mais en même temps elle était reconnaissante de ne plus être seule dans cet enfer.

  • Vous n'aimez pas les endroits clos c’est ça ? C’est pour ça que vous préférez être à cheval plutôt que de monter en calèche. Et c’est pour ça que vous êtes parti dans la grange cette nuit à l’auberge ?

Il ne répondit pas mais hocha de la tête en signe d’affirmation. C’était presque vrai. Il détestait être enfermé dans un espace étroit et c’était vrai aussi pour les calèches dont il redoutait l’étroitesse. Mais cette nuit à l’auberge c’était tout autre chose qui l’avait fait fuir comme un lâche. Et pour ça aussi il se détestait.

  • Je suis désolé. J’étais censé vous délivrer et me voilà pris…

Il laissa sa phrase en suspens. Quelque chose l’avait intrigué. Il lâcha la main de Lyra et se dirigea -ou plutôt boita- à l'avant de la cellule, vers le couloir de la prison.

“Père Windslow ?” fut tout ce que comprit Lyra car à présent Kayden parlait dans une langue inconnue. Une langue dont les sonorités ressemblaient beaucoup à celles des prières de l’homme d’église. Et comme pour lui donner raison, l’homme avait cessé ses messes basses, visiblement effaré par la vision d’un fantôme du passé. Sa bouche était grande ouverte et sa barbe tressautait, secouée par les tremblements de son menton. Le supposé Père Windslow eut rapidement besoin de s’asseoir et alors tous deux commencèrent une discussion pleine d’entrain, dont Lyra ne comprenait pas un traître mot.

Kayden revint finalement vers elle. Il se tenait le front, relevant ses cheveux roux. De cette façon on ne pouvait que voir ses trois larges cicatrices.

  • Je n’en revient pas, souffla-t-il. Je le pensais mort. Je les pensais tous morts.
  • Vous le connaissez ? osa demander Lyra.
  • C’est un très vieil ami.

Lyra le regardait intriguée.

  • Je crois qu’il est temps que l’on ait cette discussion, conclut Kayden.

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