Chapitre 42

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Pour le moment, Lyra restait discrète, restant principalement dans sa chambre. Elle avait encore besoin de se reposer mais surtout elle redoutait que s’il l’apprenait, Kayden l’a renvoie de force chez elle.

Elle passait donc la plupart de son temps à récupérer les heures de sommeil manquées et prendre du temps pour elle. Madeleine pensait toujours à prendre un ou deux livres, empruntés à la bibliothèque du château, lorsqu'elle rendait visite à la conteuse. La lecture lui faisait passer le temps. En parallèle, elle essayait de réfléchir à un plan d’action. Mais elle avait beau se creuser la tête, imaginer les stratagèmes les plus alambiqués, elle ne savait pas comment se montrer utile. Après une journée à ruminer, des feuilles jonchant le sol et un crayon de bois mordillé jusqu’à la mine de graphite, elle décida qu’il était temps de lire un nouveau roman.

Mais à son plus grand désarroi, Madeleine n’avait pas récupéré les bons livres la dernière fois et lui avait laissé ceux qu’elle avait déjà lus.

Tant pis, je vais bien pouvoir passer une soirée sans lire.

Elle s’allongea dans le lit, espérant que le sommeil pointerait le bout de son nez. Mais à rester ainsi, elle ne faisait que cogiter davantage. Elle regarda à travers sa fenêtre. Le ciel était d’un bleu sombre, presque noir. Et bien que la plupart des étoiles n’apparaissaient pas encore complètement, la lune était déjà bien visible.

Sur la pointe des pieds, elle entrouvrit la porte menant au couloir.

Personne.

Pas un bruit.

C’est juste un aller retour à la bibliothèque. Personne ne me verra.

Elle prit une robe de chambre qui traînait sur une chaise et livres en main, elle s’engouffra dans l’obscure couloir.

Sur le chemin jusqu’à la bibliothèque, Lyra ne rencontra que deux domestiques. Un homme, les bras chargés de linge. Et une femme qui courait une coupe de fruit dans les mains, visiblement quelqu’un avait une fringale nocturne. Tous deux ne firent pas attention à elle, poursuivant leur tâche malgré l’heure tardive.

Lyra arriva rapidement devant la pancarte en bois où étaient sculptés les mots “Bibliothèque et archives royales d’Ambrume”. Le bois de la porte grinça. Lyra se pinça les lèvres et entra rapidement. En refermant derrière elle, elle laissa échapper un soupir de soulagement. Elle avait réussi. Elle laissa les deux romans sur le comptoir de retour. Le lendemain, les bibliothécaires les rangeraient à leurs places.

Elle se dirigea ensuite directement vers l’allée des romans d’aventure. Elle choisit un livre dont la couverture lui était inconnue. Fière de sa trouvaille, elle allait repartir aussi vite qu’elle était arrivée mais elle entendit un crépitement. Comme un feu dans l’âtre d’une cheminée.

S’avançant à pas de loups vers l’origine du bruit, elle fut surprise de constater qu’en effet un feu avait été allumé. Elle trouva cela étrange. Le printemps était bien entamé et malgré l’air frais de la nuit, cela ne méritait pas un feu de cheminée. C’est alors qu’un morceau de papier fut jeté dans l’âtre.

Lyra n’était pas seule.

Cachée derrière le mobilier de bois, elle était invisible aux yeux de l’autre personne. Cependant elle non plus ne voyait rien. La curiosité étant l’un de ses pires défauts, ou de ses meilleures qualités, elle poussa les livres de l’étagère en face d’elle, de façon à créer une petite interstice et découvrir l’identité de cet insomniaque.

Curiosité, oui. Mais adresse, absolument pas.

En poussant la pile, le livre du bout tomba. Elle réussit à le rattraper de justesse, mais perdit l’équilibre, trébucha et se réceptionna sur un pupitre derrière elle où reposait un imposant dictionnaire. L’impact fit claquer la lourde chaîne qui retenait le livre en un tintement sinistre, et surtout bruyant.

  • Qui est là ?

Pour la discrétion, on repassera.

  • Je suis désolée, je ne voulais pas vous déranger. Je venais simplement chercher un roman, s'excusa Lyra en apparaissant de derrière la bibliothèque.
  • Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas à Rivermoore ?

De toutes les personnes présentes dans le château, pourquoi fallait-il que ce soit lui ? Ce n’est pas comme si elle était restée cloîtrée dans sa chambre exprès pour ne pas croiser Kayden. Et l’unique fois où elle en sortait, en pleine nuit de surcroît, elle tombait sur lui.

  • Euh… Si ! Lyra est chez elle. Moi je ne suis qu’un rêve, un songe. Une vision de ton esprit endormi ! tenta-t-elle avec une voix d'outre tombe et mimant un fantôme.
  • Lyra, je sais que je ne dors pas.
  • Mince. Comme on dit qui ne tente rien n’a rien, plaisanta-t-elle finalement.
  • Non mais sérieusement, je t’ai demandé de rentrer chez toi.

Elle se dirigea, sans faire attention à lui, vers la cheminée.

  • Pourquoi as-tu allumé un feu ? Il fait bon ce soir. C’est pour jeter les mots doux de tes admirateurs ? esquiva-t-elle un sourire taquin sur les lèvres.

Debout devant les flammes, la lumière chaude éclairait en contre jour la jeune femme. Son habit léger et sa robe de chambre laissaient alors entrevoir les formes de son corps dans une ombre sensuelle.

Kayden reporta vite son attention vers les documents posés sur la table en face de lui, gêné mais aussi intrigué par cette vision.

  • J’aurais dû me douter que tu ne m'écouterais pas, finit-il par souffler, abattus.

Lyra haussa les épaules.

  • C’est Damien et Alphonse. Ils m’informent de l’avancée de Childéric. Les messages sont codés bien évidemment. Mais pour plus de précaution je préfère les détruire une fois les avoir compris. Et pour ça, il n’y a rien de mieux que le feu.

Et il jeta le reste des documents dans la flambée.

Tous deux regardèrent en silence les feuilles se brunir, rétrécir, se tortiller dans le brasier avant de disparaître dans un amas de cendre. Tout était calme. La lueur de la lune éclairait d’un filet argenté les titres des livres à travers les quatre petites fenêtres. Pas un bruit si ce n’est le craquement du bois dans la cheminée. L’odeur boisée se mélangeait à celle si caractéristique des livres et du papier. Le temps était comme suspendu. Pas de dispute, pas de guerre. Seulement deux personnes, profitant de la présence de l’autre mais n’osant pas bouger.

Lyra regarda finalement du coin de l'œil le chef de la garde. Le roux de ses cheveux se mariait parfaitement avec la lumière ocre du feu sur sa peau. Ses yeux verts suivaient la danse effrénée des flammes. Il sembla sentir son regard sur lui car il se tourna vers elle.

Lyra aimait bien quand ils se voyaient en dehors des événements publics car il ne portait pas son uniforme guindé. À la place, il préférait les chemises amples qui laissaient entrevoir la musculature de son torse ainsi que les tâches de rousseurs le long de son cou et à la naissance de ses épaules. Il ne mettait pas non plus de gant, elle pouvait alors examiner ses mains couvertes de cicatrices. Mais surtout sans son habit militaire, elle avait l’impression qu’un poids se déchargeait de ses épaules.

  • Pourquoi tu n’en fais toujours qu’à ta tête ? demanda-t-il les yeux rieurs.
  • Et toi pourquoi estimes-tu avoir le droit de me dire ce que je dois faire ?
  • Parce que je dois te protéger.

Le sang de Lyra bouillait dans ses veines. Elle se mordit la lèvre inférieure furieusement, fermant les paupières, serrant les poings. Elle était en colère. C’était ça, de la colère.

Mais pas seulement. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Son corps entier brûlait. Toutes ses pensées se brouillaient dans son esprit. Son cœur palpitait tant dans sa cage thoracique qu’elle en avait des difficultés à respirer. Et puis s'il pouvait arrêter de la fixer si intensément avec ses yeux là, s'il pouvait arrêter d’être si attirant, s'il pouvait arrêter de la déstabiliser de cette façon.

Depuis leur première rencontre, son cœur n’avait cessé d’être maltraité par tous les retournements du Renard doré. Au début, il l'a traitait avec mépris. Puis il était devenu plus aimable. Plus tendre. Un rapprochement et une confiance mutuelle étaient nés après qu’elle lui ait sauvé la vie. Ils s’étaient même presque embrassés le soir à l’auberge, et le Soleil et la Lune étaient témoins d’à quel point elle en avait eu envie. Mais le lendemain, il était de nouveau distant. Ensuite il a arrêté et condamné son père, elle l’a haï si fort. Avant de la rejoindre dans un pays ennemi, jusqu'à la suivre en prison.

  • Ecoute moi bien Kayden. Tu ne me dois rien du tout. Je n’ai pas besoin de toi pour ça. J’ai vécu plus de deux décennies sans avoir eu besoin de toi. Et dans les années à venir je n’aurais toujours pas besoin de toi. Si je reste, c’est parce que j’en ai envie. Uniquement parce que j'en ai décidé ainsi, affirma-t-elle en tapant son index contre le torse du jeune homme, obligeant ce dernier à reculer jusqu’à être bloqué par la table.

Ses yeux lançaient des éclairs. Pourtant Kayden l’avait déjà vu furieuse, mais là c’était différent. Finalement elle rangea son doigt vengeur pour ne laisser que son poing fermé sur lui. Elle baissa la tête, ses épais cheveux recouvrant la moindre expression de son visage.

  • J’ai envie de rester près de toi. Et le pire, c’est que j’ai envie de te voir à chaque instant du jour et de la nuit. Je n’ai pas besoin de toi. Mais …, elle hésita.

Sa voix se brisa en un murmure presque inaudible.

  • Mais j’ai envie de t’aimer. Éperdument.

Kayden n’en croyait pas ses oreilles. Avait-il bien entendu ? Oui, il était certain d’avoir compris ce que Lyra venait de lui dire. Il avait assimilé chacun de ses mots. Il était toujours attentif aux moindres faits et gestes de la conteuse. Son attention était toujours portée sur elle. Même entouré d’une foule il cherchait désespérément sa présence. Mais là, en cet instant il n’y avait qu’elle et lui. Et elle mettait tous ses sens en éveil.

Il posa une main hésitante sur la joue de la femme qui faisait trembler son cœur. Elle releva la tête vers lui. Ses iris jaunes ne vacillaient pas. Elle le fixait. Sondait son âme. Elle était à la fois incroyablement courageuse et en même temps si vulnérable.

Alors, ne sachant plus si le rêve devenait réalité ou si la réalité se mêlait au rêve, il rompit l’espace entre leurs corps et déposa sur ses lèvres le baiser qu’il avait toujours gardé pour elle.

Tendue par la surprise, elle ferma rapidement les yeux pour répondre à son étreinte. Au départ timide, leur baiser se fit plus passionné au fur et à mesure que leurs mains découvraient l'autre. Les doigts de Lyra s'entremêlaient dans les cheveux de Kayden tandis qu’il avait déposé une main dans le creux de son dos, l’attirant toujours plus contre lui.

La chemise de nuit de Lyra était assez fine pour qu’il sente sous ses doigts la peau et la pointe de ses seins frémir. Une vague de chaleur nouvelle irradiait son être, naissant du bas de son ventre elle fusait dans ses jambes, sa cage thoracique, ses bras, sa tête. Jamais encore il n’avait ressentis cette folle et enivrante sensation.

Lyra le savait, les lèvres de Kayden avaient la saveur d’un coucher de soleil d’été. Et elle voulait en connaître davantage. Elle détacha ses mains de la chevelure rousse pour les passer sous sa chemise. Elle sentait le sillon de chacune de ses cicatrices sur son ventre endurci par le travail et les entraînements. N’y tenant plus, elle retira le vêtement qui l’empêchait de profiter pleinement du spectacle. La lueur des flammes léchait les contours de ses épaules et de ses bras musclés. Un corps meurtri, mutilé, qui avait pris le dessus sur le passé. Elle n’eut pas plus le temps de le contempler car Kayden embrassait à présent son cou. Ses baisers et ses caresses étaient si intenses que Lyra peinait à respirer. Des picotements furieusement agréables parsemaient sa peau. Elle avait l’impression que sa poitrine allait exploser. Elle récupéra rapidement les lèvres de Kayden pour s’empêcher de gémir. Il ne fallait pas faire plus de bruit.

Ils arrêtèrent à contre cœur, reprenant leur souffle. En voyant l’autre, les joues rouges et échevelé, ils pouffèrent de rire front contre front.

  • Tu vois Kay, c’est ça la différence entre un baiser et un bouche à bouche, plaisanta Lyra les yeux pétillants.

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