Chapitre 49

7 minutes de lecture

Crowley venait enfin d’arriver à la tour Ouest. Le cheminement avait été horriblement long et terriblement douloureux. En s’aidant des murs, il avait clopiné jusqu’à l’aile Ouest du château. Il regarda la première marche de l’escalier en colimaçon. Il ne lui restait plus qu’à monter. Y parviendrait-il seulement ? Son calvaire était loin d’être terminé. Il posa un pied et hurla. La douleur était inhumaine. Mais il le fallait. Childéric l’attendait déjà sûrement tout là-haut. Alors, il inspira profondément, serra les dents et appuya tout son poid sur la rampe pour éviter de poser le pied à terre.

-§-

Childéric attendait patiemment dans la plus haute tour du château de Silvertown. Assis sur un large fauteuil de velours carmin, il contemplait le décor. La pièce dans laquelle il se trouvait était une sorte de boudoir et de bibliothèque. De forme octogonale, le mobilier et la décoration avaient été pensé pour en faire un lieu intime et confortable. De lourds et moelleux tapis cachaient le plancher de bois. Coussins et sofa donnaient envie de s'asseoir et de se laisser aller à un instant de lecture. La pièce avait été longuement visitée. Cela se voyait à l’écoulement de la cire des bougies. Presque toutes étaient consumées.

L’ancien roi entendit des pas dans l’escalier, les grognements étaient ceux d’une bête agonisante, sur le point de rendre son dernier souffle.

  • Tu as été long Crowley, un peu plus et j’aurais commencé un bouquin.

Crowley, rampant pour atteindre les dernières marches, n’avait même plus assez de salives pour s'excuser.

  • Peu importe, tu es là, c’est tout ce qui compte maintenant.

Une lueur d’espoir et d’amour zébra les yeux de l’homme de main. Il était utile à son roi, même brisé, lacéré, au bord de la mort, il lui était toujours utile. C’est tout ce qu’il désirait.

  • Maintenant grimpe là-haut et détruit ceux qui m’ont trahi.

Et il sortit de derrière le fauteuil un canon aussi long qu’un fusil. L’arme était grossière, pas d’ornement, ni d’or, ou d’incrustation. Étrange pour un homme qui aimait tant l’ostentatoire.

Des pas précipités retentirent de nouveau dans l’escalier.

  • Ne me dis pas que tu les as laissés te suivre ?
  • Impossible, j’ai gravement blessé le garçon ! Et personne n’était derrière moi, je vous le jure, geignit Crowley.
  • Peu importe, débarrasse-t'en.

Deux gardes franchirent le pas en premier. Mais la Faucheuse les attendait, l’homme prit de plein fouet la main mortellement affûtée. Il tomba mollement sur le tapis brun, défiguré. La femme para le coup avec son sabre, laissant le temps aux autres d’atteindre le haut de la tour.

La reine, le chef de la garde et la conteuse de Rivermoore.

  • Childéric, cracha Thelma.

Ce dernier, fou de rage, attrapa l’épée qui était accrochée à son flanc et transperça de sa lame le dos de la soldate.

  • Dépêche-toi sombre idiot, on n'a pas le temps ! hurla-t-il à Crowley.
  • Pas si vite, on a un combat à finir, déclara Kayden. Et cette fois, je terminerai ce que j’ai commencé.
  • Tu tiens à peine debout, ricana Crowley, que le piteux état de Kayden venait de le revigorer.

Le canon sous le bras, il grimpa à l’échelle qui menait vers le toit. Lorsqu’il ouvrit la trappe, le vent, le froid et la pluie s’engouffrèrent instantanément.

  • C’est trop tard Thelma. Le canon va détruire tout ton petit monde parfait. Tout ce que tu m’as pris, je le récupère dans les cendres et les larmes. Vous paierez tous pour votre crime infâme. Pour vous être détourné de moi ! Votre dieu. Même le soleil n’ose pas montrer ses rayons lorsque je suis là, s'égosilla-t-il.

Et comme pour lui donner raison, le tonnerre éclata de nouveau, répandant encore plus d’eau dans la pièce.

Kayden se jeta sur l'échelle et la grimpa aussi rapidement qu’il le pouvait. Sans même réfléchir un seul instant, Lyra le suivit. Bientôt, dans le boudoir octogonal de la plus haute tour du château de Silverthrown, il n'y avait plus que l’ancien roi, la reine et deux cadavres.

Quand ils descendront, elle se fera une joie de les punir pour lui faire une telle frayeur.

Si ils redescendent un jour…

Elle chassa cette idée morbide de la tête. Elle devait rester concentrée, elle avait son propre combat à mener.

Cette scène me semble familière, pas toi Childéric ? Sauf que cette fois, je ne t'exilerai pas.

Childéric rit.

  • Regarde-nous Thelma, on est ridicule. Ton épaule maintenue par une écharpe et moi la main enrubannée. Pourtant, tu sais que tu as perdu. Même si je ne te tue pas, c'est tout ton peuple qui mourra par la même arme qui m’a valu de perdre mon trône. L’ironie n’était-elle pas une chose merveilleuse ?

Thelma se mit en garde. Elle en avait plus qu’assez d’entendre les élucubrations de ce fou. Elle attaqua.

-§-

La pluie battante était si forte que Lyra voyait à peine à deux pieds d’elle. Les tuiles glissantes menaçaient de tomber et de l’emporter dans leur chute. Entre les gouttes, elle distinguait Kayden devant elle, qui luttait pour ne pas tomber et Crowley, se maintenant tant bien que mal à la flèche de la tour.

Les cheveux de Lyra collaient contre son front, ses joues, ses bras, tout comme ses vêtements qui lui collaient à la peau. Elle avalait l’eau par gorgée. La pluie s'insinuait partout, jusque dans ses poumons. Elle essayait de hurler, d’expliquer à Crowley qu'il n'était pas obligé de faire ça. Mais ses mots étaient mangés par la tempête. Il n’y avait rien à faire.

L’homme de main s’agenouilla de sorte à avoir une meilleure prise sur le canon. Il allait tirer. Il visait droit devant lui. Peu importe où l’impact serait, il ferait des dégâts et c’est toute la ville qui s'embraserait puis le château.

Kayden glissait dangereusement sur les tuiles. Sa plaie s’était rouverte. Il le savait, car à chacun de ses mouvements, il sentait sa peau se déchirer un peu plus. Il hurlait, mais tout comme Lyra, son cri était emporté dans les airs tumultueux. Il utilisa sa dague pour l’aider à grimper, la coinçant entre les tuiles comme une prise.

Il arriva jusqu’à la flèche, derrière Crowley. La Faucheuse sentit une présence et se retourna rapidement.

  • Encore toi ?

Mais personne ne l’entendit.

Personne ne l’entendit non plus lorsqu’il se fit transpercer par la lame du chef de la garde.

Tout ce qu’il vit avant de tomber du haut de la plus haute tour de Silverthrown était le regard vengeur du petit garçon qu’il avait torturé. Ce regard vert qui ne l’avait jamais quitté.

Le canon suivit la chute de l’homme. Il roula sur les tuiles et tomba. Kayden et Lyra ne surent jamais à quel moment il avait touché le sol.

Mais ils avaient une certitude. Silverthrown était sauvé.

Kayden se replia sur lui-même. Le tonnerre battait en rythme comme un gong dans son crâne. Sa vision se brouillait. Il fallait qu’il s’allonge, reprendre sa respiration et fermer les yeux un instant, juste quelques minutes de repos.

Son cœur rata un battement. Une tuile, sous son pied, venait de céder. Il glissait.

Tant pis, de toute manière il n’avait plus aucune force. Autant laisser faire la gravité. Au moins il pourrait se reposer à tout jamais.

L’obscurité totale.

Était-il enfin mort ? Il ne ressentait plus la chute.

Pourtant, il ressentait encore le froid et la pluie.

En ouvrant les yeux, il vit Lyra qui les maintenait au bord du précipice, tenant leurs corps grâce à la fine gouttière de pierre.

  • Où tu croyais aller comme ça ? demanda-t-elle.

-§-

Thelma était confiante quant à l'issue de ce combat. Childéric avait toujours été un pleutre et un mauvais escrimeur. Elle, elle, était cheffe de la garde royale avant de devenir reine. Elle était sa cheffe de la garde.

Alors pourquoi avait-elle autant de mal à suivre les assauts de son ennemi ?

Il s’était sans doute entraîné sur son île exilée. Il avait eu le temps de réfléchir à son plan, de corrompre les gardes, de ramener des savants, de s'exercer au combat.

À cet instant, Thelma regrettait beaucoup de ses choix.

La blessure à son bras la faisait souffrir. Mais elle y était presque. Childéric aussi était blessé et dû à ses mauvaises conditions physiques il fatiguait plus rapidement. Il ne fallait pas grand-chose pour qu’il ploie. Juste un petit quelque chose. Mais il fallait que cela arrive vite, sinon c’est elle qui y passerait.

Justement, Kayden et Lyra descendaient l’échelle. Ils étaient seuls. Et ça, Childéric le remarqua.

  • Le château devrait déjà être en train de brûler. On devrait entendre le peuple hurler et supplier. Pourquoi ? Qu’a donc fait ce bon à rien ?!
  • Il est tombé, annonça Lyra, tout comme votre plan de destruction.

Childéric chancela. Toute détermination avait quitté son corps. La haine aussi. Il ne restait que la terreur.

Il trébucha.

Thelma leva son épée.

  • Attends Thelma, tu ne vas tout de même pas me tuer. J’étais ton roi avant. Tu te battais pour moi. Toi qui es si indulgente.
  • Je ne referai plus la même erreur. Il y a des personnes comme toi que l’on ne peut pas sauver d’eux-mêmes.

Kayden recouvrit le visage de Lyra avec ses bras.

Elle n’entendit que le son que fait la lame en acier contre la chair. Un bruit lourd. Puis le silence.

C'en était fini de la vengeance de Childéric et celle de Kayden.

  • Ellyana va m’en vouloir, elle adore son boudoir, termina Thelma un faux sourire sur les lèvres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire NeverlandClochette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0